« Le conseil d’administration a décidé d’autoriser ces rejets, mais avec des conditions fermes », a annoncé à la presse son président Didier Réault, adjoint au maire de Marseille. La décision, dite conforme, s’impose au préfet, a-t-il précisé. Concrètement, elle permet à l’usine Alteo d’effectuer des rejets contraires à la Convention de Barcelone de 1976 sur la protection de la Méditerranée.
L’élu a notamment promis de « meilleurs contrôles et un meilleur suivi des eaux rejetées », dans ce dossier dit des « boues rouges ».
Les rejets solides dus à la production de bauxite, eux, devraient en revanche disparaître d’ici au printemps prochainement grâce à un changement de process de production dans l’usine Alteo de Gardanne. Mais il faudra toujours évacuer l’eau, et c’est précisément sur cette poursuite d’autorisation que la décision devait être prise.
Si le groupe ne respecte pas ses engagements, « nous avons la possibilité de tout stopper, un arrêté peut être pris en ce sens par le préfet », a aussi fait valoir M. Réault, assurant que les rejets allaient en outre massivement diminuer — de l’équivalent de « 2.000 camions par an à 2 camions par an », selon lui.
Depuis près de 50 ans, l’usine de Gardanne, un ancien site de production d’alumine de Péchiney et du géant minier anglo-australien Rio Tinto, racheté en 2012 par le fonds d’investissement américain HIG et renommé Alteo, bénéficie d’un droit à expédier ces résidus à 7 km au large de Cassis, dans le canyon sous-marin de la Cassidaigne, par 330 m de fond.
« C’est dramatique, personnellement ça me choque beaucoup », a réagi après le vote Yves Lancelot, membre du conseil d’administration du parc, océanographe et ancien directeur de recherche au CNRS. « Les risques, on ne les connaît pas, c’est bien le problème, pour le moment, il y a des inconnues énormes », a-t-il poursuivi, regrettant un « chantage à l’emploi ».
« Interdire aujourd’hui tout rejet solide et liquide dans la méditerranée, c’est entrainer la fermeture immédiate de l’usine car aucune technologie de substitution n’est disponible », a ainsi plaidé le député François-Michel Lambert, pourtant écarté chez EELV, de la circonscription de de Gardanne.
– 20 millions de tonnes rejetées depuis 1966 –
Au départ de l’usine, qui compte 400 salariés et 300 sous-traitants, les rejets empruntent un émissaire de 47 kilomètres, traversant 14 communes et, pour finir, le tout récent Parc national des calanques créé en 2012.
Les rejets résultent du traitement de la bauxite, ce minerai de couleur essentiellement rouge, dont on extrait de l’alumine qui entre notamment dans la composition des écrans LCD ou d’abrasifs.
Selon le Parc national des calanques, quelque 20 millions de tonnes de ce mélange d’eau, de soude et de métaux lourds ont ainsi tapissé les fonds marins depuis 1966 et la première autorisation préfectorale.
« Cela me scandalise, mais si vous voulez comprendre le système, regardez la composition du conseil d’administration: il n’y a pas beaucoup d’experts… » a regretté M. Lancelot, qui a lui-même voté contre le texte adopté lundi.
Devant le centre de congrès de Cassis, près de Marseille et au coeur des calanques, une trentaine de membres de collectifs de défense de l’environnement s’était rassemblé lundi pour demander le rejet de la demande de dérogation d’Alteo.
« Ce qu’on veut, c’est plus du tout de rejets », a résumé Olivier Dubuquoy, docteur en géographie, reconnaissant toutefois « ne pas être surpris » par la décision prise en sens inverse. « Malheureusement, on se disait que cela ne se présentait pas sous les meilleurs auspices », a-t-il reconnu: « Ce que devait faire le parc, c’est gommer cette verrue… »
Parmi les manifestants, l’ex-navigatrice Florence Arthaud, installée à Marseille. « Je suis choquée par le rejet des boues rouges en plein milieu des calanques, et par l’attitude des politiques », a-t-elle confié: « L’eau, c’est la vie. »