Dans l’océan Indien, un épineux différend frontalier entre Kenya et Somalie

Nairobi, 15 mars 2021 (AFP) – La Somalie et le Kenya s’opposent depuis plusieurs années sur le tracé de leur frontière maritime dans l’océan Indien, avec en jeu une vaste zone de 100.000 km2 riche en poisson et en potentiels hydrocarbures.

Ce différend est examiné depuis lundi par la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, malgré l’absence annoncée des représentants du Kenya.

Souveraineté, pêche et hydrocarbures

La Somalie, à l’initiative de cette procédure devant la Cour internationale de justice (CIJ), estime que cette frontière devrait s’étirer en direction du sud-est, dans le prolongement de la frontière terrestre entre les deux pays, selon une ligne médiane conforme au principe international de l’équidistance.

Le Kenya revendique, lui, pour délimitation une ligne droite horizontale partant du point de frontière côtier (dans la localité de Kiunga) en direction de l’Est. Nairobi rappelle régulièrement exercer sa souveraineté dans cette partie de l’océan depuis 1979, lorsque le pays a proclamé les limites de sa zone économique exclusive (ZEE).

Une ZEE, qui s’étend jusqu’à 200 milles marins au large des côtes, définit un espace maritime sur lequel un État dispose de droits souverains pour l’exploitation des ressources.

Outre une question de souveraineté, l’enjeu est une zone maritime de plus de 100.000 km2, potentiellement riche en pétrole et gaz. Nairobi y a notamment accordé trois permis d’exploration pétrolière à la compagnie italienne ENI, contestés par la Somalie.

Il existe aussi un enjeu économique local côté kényan, car une redéfinition de la frontière en faveur de la Somalie amputerait les zones de pêche situées près de la frontière, notamment aux environs de Lamu (Est).

Une procédure qui s’éternise

Les deux pays étaient convenus, dans le cadre d’un mémorandum en 2009, de régler leur différend par des négociations bilatérales.

Deux rencontres se sont tenues, en mars et juillet 2014, sans réelles avancées. Une troisième prévue en août 2014 à Mogadiscio a tourné court : la délégation kényane ne s’est pas présentée, sans en informer ses homologues somaliens, invoquant a posteriori des raisons de sécurité.

Estimant que « les négociations diplomatiques (…) n’ont pas permis de résoudre leur désaccord », la Somalie a saisi le 28 août 2014 la CIJ, plus haut instance judiciaire de l’ONU.

Le Kenya a contesté cette saisine, et la compétence de la CIJ, estimant qu’un arbitrage judiciaire ne pouvait intervenir qu’une fois le processus de négociations achevé, ce qui n’est pas le cas selon Nairobi.

La CIJ s’est déclarée compétente en février 2017.

Initialement prévues en septembre 2019, les audiences au fond ont été reportées à trois reprises avant d’être fixées au 15 mars.

La semaine dernière, le Kenya a annoncé à la Cour dans une lettre qu’il ne participerait pas aux audiences, en raison notamment des difficultés dues à la pandémie de coronavirus.

Une source de tensions

Ce différend frontalier envenime régulièrement les relations déjà tumultueuses entre les deux pays.

Le dernier incident en date remonte à février 2019, lorsque le Kenya a rappelé son ambassadeur à Mogadiscio, accusant le gouvernement somalien d’avoir mis aux enchères des gisements pétrolifères et gaziers dans la zone contestée.

Le ministère kényan des Affaires étrangères avait violemment dénoncé un « affront » et une « captation illégale de ressources kényanes ».

Il avait rappelé le prix payé par le Kenya pour avoir « soutenu » le gouvernement somalien, confronté aux islamistes radicaux shebab, combattus par la force de l’Union africaine en Somalie (Amisom).

Le Kenya fait partie depuis 2012 de l’Amisom et a été touché ces dernières années par plusieurs attentats de grande ampleur sur son sol.

Mogadiscio avait rejeté ces accusations, assurant qu’elle n’entreprendrait « aucune action unilatérale concernant la zone disputée tant que la CIJ n’aurait pas rendu son jugement ».

Les présidents somalien Mohamed Abdullahi Mohamed et kényan Uhuru Kenyatta s’étaient rencontrés en 2019 à Nairobi, sous la médiation du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, et avaient affirmé leur volonté d’« œuvrer en faveur de la paix ».

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