La reprise des exportations de céréales ukrainiennes, un enjeu stratégique

Paris, 1 août 2022 (AFP) – La reprise des exportations de céréales ukrainiennes, marquée lundi par le départ d’un premier navire depuis Odessa, est un premier « signal positif » tant le blé, indispensable à l’alimentation, est un enjeu stratégique dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie.

– « Signal positif » –

Après la signature le 22 juillet d’un accord entre l’Ukraine et la Russie, sous l’égide de l’ONU et avec la Turquie comme médiateur, le premier bateau rempli de céréales ukrainiennes a quitté le port d’Odessa (sud) lundi matin, à destination du Liban.

« Il est attendu le 2 août à Istanbul. Il continuera sa route vers sa destination à la suite des inspections qui seront menées à Istanbul », a indiqué le ministère turc de la Défense.

Selon le ministre ukrainien de l’Infrastructure Oleksandre Koubrakov, le navire Razoni est chargé de 26.000 tonnes de maïs.

Pour Gautier Le Molgat, analyste au cabinet Agritel, « c’est un signal positif » car « cela va rassurer » les marchés mondiaux et les pays importateurs.

« Mais ce n’est pas un gros bateau », note-t-il toutefois auprès de l’AFP, estimant que l’Ukraine n’allait pas pour autant exporter, à ce stade, de plus grosses quantités.

Les livraisons de blé, maïs et tournesol d’Ukraine se faisaient avant le conflit à 90% par la mer et pour l’essentiel par le port d’Odessa, qui concentre 60% de l’activité portuaire du pays.

– Le Liban, « un symbole très fort » –

Selon l’Observatoire de la complexité économique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui compile des données sur le commerce international, le Liban importait en 2020 plus de 60% de son blé d’Ukraine, le rendant fortement dépendant des livraisons ukrainiennes, au même titre que l’Egypte, le Maroc, l’Indonésie ou encore le Pakistan.

« C’est un symbole très fort » d’envoyer le premier navire vers le port de Tripoli (nord), juge Claude Georgelet, directeur d’AgritechTrade et selon qui, « les négociations étant sous l’égide de l’Onu (…), il y avait sans doute une obligation morale d’aider les pays en difficulté sur le plan alimentaire » comme le Liban.

Toutefois, le chemin vers un retour à la normale reste long. Aucun pays n’a réussi depuis fin février à combler le manque de grains provoqué par le conflit, aggravant les risques de famine.

– « Beaucoup d’interrogations » –

Si l’accord signé le 22 juillet fait naître de véritables espoirs à l’échelle internationale, il soulève aussi des incertitudes sur la reprise opérationnelle du trafic maritime dans la mer Noire.

M. Le Molgat évoque ainsi « beaucoup d’interrogations » sur la façon dont « les bateaux vont arriver dans cette zone ? Et à quel prix ? ».

L’analyste se dit « dubitatif » sur « la possibilité de reprendre le rythme d’exportations d’avant-guerre » en partance d’Ukraine. « On est encore très loin de voir comment va se déployer ce corridor au quotidien ».

En 2020, l’Ukraine représentait à elle seule 13% des exportations mondiales de maïs et 9% de blé et de colza, selon l’Observatoire de la complexité économique.

– Des prix très élevés –

Une vingtaine de millions de tonnes de grains (blé, maïs) sont aujourd’hui bloquées dans les silos des ports de la mer Noire.

Pour faire face aux difficultés logistiques, l’Ukraine et ses alliés européens ont dû déployer d’immenses efforts ces dernières semaines pour évacuer les céréales par la route ou le rail, sans parvenir toutefois à compenser la mise à l’arrêt des ports, avec des exportations six fois moins importantes que par la mer.

Sur les marchés, « les investisseurs avaient déjà anticipé » un futur accord « depuis mi-mai », les prix diminuant légèrement, relève Claude Georgelet, qui analyse les marchés agricoles depuis 25 ans.

L’incertitude liée aux approvisionnements entraînée par le conflit en Ukraine avait entraîné la flambée des cours du maïs et du blé, ceux-ci se stabilisant depuis à un niveau très élevé — respectivement +38% et +25% depuis le 1er janvier.

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