La SNCM doit rembourser 220 millions d’euros d’aide, un coup qui pourrait lui être fatal

Bruxelles a estimé que les compensations de service public reçues de 2007 à 2013 par la SNCM et son partenaire, la CMN, pour la desserte « de base » entre la Corse et Marseille, étaient conformes aux règles de l’UE.

Au moment où la SNCM doit signer une nouvelle délégation de service public (DSP) pour la période 2014-2020, « c’est une bonne nouvelle pour la pérennité de cette liaison maritime », a souligné devant la presse un porte-parole de la Commission, Olivier Bailly.

Mais elle en cache une mauvaise pour les aides perçues pour le service « complémentaire » de desserte de l’île, couvrant les périodes de pointe de la saison touristique.

Bruxelles, saisi en 2007 par le groupe italien Corsica Ferries, principal concurrent de la SNCM, a jugé qu’elles ne compensaient aucun besoin réel de service public et ont donc procuré un avantage indu à la SNCM, chiffré à 220 millions d’euros sur 2007-2013. Montant à restituer sous quatre mois à la collectivité corse.

« Nous attendions bien sûr cette décision car cela fait de nombreuses années que nous contestons cette notion de +service complémentaire+ (…) qui visait uniquement à favoriser une compagnie en difficulté financière », a commenté le directeur général de Corsica Ferries, Pierre Mattei.

« Les voies d’appels et de recours en droit pour contester cette décision de l’Europe existent. Nous allons les saisir avec la plus grande fermeté et la plus grande détermination », a rétorqué la SNCM.

Le président de son directoire, Marc Dufour, a souligné que ces recours étaient suspensifs et qualifié la décision de Bruxelles d' »incident de parcours ».

Les autorités françaises doivent indiquer d’ici deux mois à la Commission comment elles comptent récupérer ces subventions, et la somme exacte à recouvrer en incluant d’éventuels intérêts.

Il s’agit d’un coup très dur pour la SNCM et ses 1.400 salariés équivalent temps plein, en plein marasme financier: la compagnie dont les neuf ferries et cargos mixtes assurent des rotations entre le continent et la Corse, la Sardaigne, la Tunisie et l’Algérie, a essuyé 14 millions d’euros de pertes en 2012 – après 12 millions en 2011 – pour un chiffre d’affaires d’environ 300 millions.

« Si vous devez rembourser 220 millions d’euros, vous mettez la clef sous la porte, mais on ne l’imagine pas un seul instant », a commenté Frédéric Alpozzo, secrétaire général du syndicat CGT des marins de la SNCM.

« Cette condamnation est infondée. Cela fait des années que nous contestons l’acharnement juridique de Corsica Ferries, qui a oublié de dire à la Commission qu’elle a touché de son côté 150 millions de subventions de l’Etat au titre de l’aide sociale », a-t-il ajouté.

Ce dispositif, introduit en 2002 et supprimé dans la prochaine DSP, permettait à la Collectivité territoriale de Corse de rembourser les compagnies faisant bénéficier certaines catégories de passagers de tarifs préférentiels (jeunes, personnes âgées, familles et résidents en Corse).

« L’Europe a une drôle de conception du service public. Elle voudrait faire couler le navire SNCM qu’elle ne s’y prendrait pas autrement », a déploré pour sa part le président PS de la communauté urbaine de Marseille, Eugène Caselli.

« Véritable condamnation, cette décision met gravement en cause l’avenir de cette entreprise qui se trouve déjà en grande difficulté financière », a estimé le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, qui « espère une intervention ferme, rapide et efficace du gouvernement auprès des autorités de Bruxelles ».

L’exécutif européen n’en a d’ailleurs pas fini avec la SNCM: il examine en parallèle, toujours à l’initiative de Corsica, un ensemble de mesures de soutien d’environ 230 millions d’euros, liées à la restructuration et à la privatisation de l’ancienne compagnie publique entre 2002 et 2006. Là encore, elle pourrait exiger le remboursement de tout ou partie de cette somme.

Cette annonce intervient alors qu’un changement d’actionnariat inquiète fortement salariés et syndicats sur l’avenir de la SNCM, dont l’Etat détient 25% et le personnel 9%.

Veolia Environnement a prévu de reprendre en direct d’ici juin, pour un euro symbolique, les 66% que détient sa coentreprise de transport Veolia Transdev dans la SNCM. Une « remontée » contestée par les syndicats qui redoutent une absence de projet pour la compagnie.

Interrogé sur les conséquences de la décision de la Commission sur la pérennité de la SNCM, M. Bailly a reconnu que « la situation de l’entreprise n’est pas aujourd’hui totalement claire ». « Il y aura évidemment une décision à prendre de la part de l’entreprise sur le remboursement de cette aide », a-t-il dit, évoquant « plusieurs possibilités », dont « la reprise de l’activité par d’autres entreprises ».

La direction de Veolia, contactée par l’AFP, n’a pas fait de commentaire.

Le gouvernement, de son côté, persiste et signe en affirmant que le service complémentaire de la SNCM pendant les périodes de pointe « répond à un besoin réel de service public ». Lui aussi « se réserve toutes les voies de droit pour contester la décision » européenne.

burs-cel/ppy/pid

Veolia Environnement

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