La Thaïlande tente de convaincre qu’il n’y a pas d’esclavage derrière ses crevettes

Ministère du travail, de la pêche, bureau de la lutte contre le trafic d’êtres humains, police, industrie: Bangkok n’a pas lésiné sur la composition de sa délégation envoyée au Salon international de l’alimentation (Sial) organisé près de Paris, puis qui se rendra à Bruxelles.

« Nous ne sommes pas dans le déni. Beaucoup de mesures concrètes sont en train d’être mises en place », a promis Sarun Charoensuwan, du ministère des Affaires étrangères, lors d’un séminaire spécialement organisé sur le thème.

Il y a fort à faire, tant les accusations portées contre la Thaïlande ces dernières années sont de nature à faire passer l’envie de manger les crevettes élevées dans les nombreuses fermes autour de Bangkok, vendues notamment aux Etats-Unis (25% des exports) et en Europe (15%).

En juin, le quotidien britannique The Guardian publiait une enquête accablante sur le traitement réservé aux migrants birmans et cambodgiens sur les bateaux thaïlandais. Le poisson qu’ils pêchent est ensuite transformé en farine pour nourrir les crevettes d’élevage.

Enrôlement forcé, journées de travail de vingt heures. Et surtout passages à tabac, tortures et meurtres des travailleurs récalcitrants ou affaiblis. Le journal cite même le cas d’un migrant écartelé entre plusieurs bateaux, devant ses collègues.

En 2011, un rapport de l’Organisation internationale des migrations (OIM) expliquait que les pêcheurs, vendus aux capitaines des bateaux par des trafiquants, pouvaient rester « des années » à travailler sur les navires sans être payés. Parfois sans mettre le pied à terre, en naviguant jusqu’au large de la Somalie, d’autres bateaux assurant le ravitaillement.

En France, le distributeur Carrefour a suspendu ses achats de crevettes à la Thaïlande en juin, après l’enquête du Guardian. Auchan et Casino n’en importaient pas de ce pays.

Soucieuse de son image et d’un secteur qui représente 40% de ses exportations agroalimentaires, l’un des piliers de son économie, la Thaïlande veut résoudre le problème en « ramenant les migrants illégaux dans le marché formel du travail », explique M. Sarun.

Les militaires au pouvoir depuis le coup d’Etat de mai ont lancé une vaste politique de régularisation, avec des centres d’enregistrement où les migrants peuvent obtenir des papiers.

1,4 million de travailleurs immigrés sont désormais enregistrés légalement, dont 50.000 dans le secteur de la pêche, selon les derniers chiffres officiels. Mais des centaines de milliers d’autres sont toujours dans la clandestinité.

– « Sur le terrain rien n’a changé » –

Une nouvelle loi oblige les patrons pêcheurs à établir des contrats de travail en règle, à respecter salaire minimum et temps de repos, et à ne pas embaucher les moins de 15 ans.

A l’automne 2013, 178 entreprises du secteur ont signé une charte de « Bonnes pratiques de travail », sous l’égide du gouvernement et de l’Organisation internationale du travail (OIT). Parmi elles, Charoen Pokphand (CP) Foods, ancien fournisseur de Carrefour, ainsi que du britannique Tesco et de l’américain Walmart.

« Nous sommes très déçus par ce programme », fustige toutefois Andy Hall, militant britannique, auteur d’un rapport sur l’exploitation généralisée de la main-d’oeuvre dans l’industrie agroalimentaire thaïlandaise pour lequel il risque de la prison ferme.

« C’est un programme entre le gouvernement et l’industrie. Ils ont fait des formations mais ils n’ont pas inclus les travailleurs ou les syndicats », regrette-t-il.

La charte prévoit aussi un renforcement des inspections à bord des bateaux et la mise en place d’un numéro d’urgence pour les travailleurs menacés, qui semble peu utilisé pour le moment.

Mais « sur le terrain rien n’a changé » estime Andy Hall, évoquant « la corruption » des forces de l’ordre, qui empêche tout contrôle sérieux sur le long terme.

Les importations de Carrefour, qui surveille la situation via des ONG, sont toujours suspendues.

emi-bur/fpo/gib

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