Les limites et les risques de l’intervention militaire saoudienne au Yémen

Pour la deuxième nuit consécutive, des raids aériens ont visé la milice chiite des Houthis et ses alliés dans différentes régions du Yémen, dont la capitale Sanaa.

Un porte-parole saoudien de la coalition réunissant une dizaine de pays arabes, dirigée par Ryad, a déclaré qu’il n’y avait pas de projet d’intervention terrestre dans l’immédiat.

Or, l’histoire récente « montre que des raids aériens sans forces correspondantes sur le terrain ne produisent pas de victoire décisive », rappelle Frederic Wehrey, spécialiste du Golfe à l’institut Carnegie Endowment for International Peace.

Ryad a lancé jeudi l’opération baptisée « Tempête décisive » pour appuyer le pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi, reconnu par la communauté internationale, mais dont les troupes, peu fidèles, n’ont pas repoussé les Houthis qui contrôlent désormais Sanaa.

« Beaucoup dans la région pensent qu’ils (les Saoudiens) auraient dû intervenir bien avant, et pas nécessairement en bombardant », relève pour sa part Sultan Barakat, chercheur à l’institut Brookings, dans une allusion aux avancées réalisées entre septembre et mars par les Houthis, sans réactions régionale ni internationale.

Selon lui, « si l’Arabie saoudite compte uniquement sur des raids aériens (pour parvenir à ses objectifs) et si les victimes civiles commencent à augmenter, ils perdront très, très vite tout soutien ».

De son côté, John Marks, expert du Moyen-Orient à l’institut Chatham House, estime que « se contenter d’écraser les Houthis changera certes la dynamique des factions », particulièrement compliquée au Yémen, mais cela pourrait « favoriser des groupes ultra-radicaux sunnites ».

Le Yémen était jusqu’à très récemment la chasse gardée d’Al-Qaïda mais, vendredi dernier, dans une surenchère anti-chiite, les jihadistes du groupe Etat islamique ont revendiqué leur première opération d’envergure dans ce pays en menant des attaques suicide à Sanaa (142 morts, 351 blessés).

– « bourbier » –

Les Houthis, principalement implantés dans le nord, sont issus de la minorité zaïdite, une branche du chiisme. Mais 70% des Yéménites sont sunnites.

En s’emparant de territoires dans le centre et le sud, les Houthis ont bénéficié du soutien de puissantes unités militaires restées fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh. Ce dernier, écarté du pouvoir en 2012 sous la pression de la rue, a juré de prendre une revanche sur son successeur, M. Hadi.

Le Yémen est depuis des décennies le théâtre d’affrontements incessants entre factions et tribus rivales, et tous les experts s’accordent à dire que l’intervention régionale conduite par Ryad a peu de chances de rétablir un semblant d’ordre.

Dans ce contexte, « la perspective de voir l’Arabie saoudite ou d’autres Etats arabes déployer des troupes au sol reste éloignée », estime Versik Maplecroft, cabinet de consultants basé au Royaume Uni.

L’Arabie saoudite sunnite « ne voudra pas se retrouver enlisée dans un conflit susceptible de se » prolonger, « et risquer une confrontation plus directe avec l’Iran », ajoute ce cabinet.

Pour Frederic Wehrey, l’efficacité des frappes aériennes ne doit « pas être exagérée: elles semblent viser des cibles fixes, identifiées au préalable, comme des bases aériennes et des centres de commandement, plutôt que des unités mobiles Houthis et des combattants dans des centres urbains ou des lignes d’approvisionnement ».

« Il est difficile pour moi d’imaginer que les Saoudiens vont déployer des forces terrestres pour expulser les Houthis, en raison de la probabilité d’un bourbier sans (stratégie de) sortie évidente », ajoute-t-il, en citant une possible exception: la création par Ryad d’une zone-tampon à sa frontière avec le Yémen.

M. Wehrey pense aussi qu’une opération terrestre constituerait une escalade « significative » avec Téhéran, grand rival régional de Ryad, alors que des informations aux Etats-Unis ont fait état de transferts d’armes et même de la présence de Gardiens de la Révolution iraniens au Yémen.

Toujours selon cet expert, les Saoudiens pourraient « utiliser l’opération aérienne pour disposer d’un meilleur levier dans des négociations en vue d’un accord de partage du pouvoir ». Et ils pourraient « raviver leurs relations avec (le puissant parti islamiste yéménite) al-Islah, lié aux Frères musulmans, pour gagner de l’influence sur le terrain ».

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