Sortir les précieuses céréales d’Ukraine, un enjeu stratégique

Paris, 22 juil 2022 (AFP) – L’accord que s’apprêtent à signer l’Ukraine et la Russie vendredi pour reprendre les exportations de céréales ukrainiennes par la mer Noire est attendu de longue date par les marchés et pays importateurs, tant blé, indispensable à l’alimentation a été employé comme en arme diplomatique depuis le début du conflit.

– Corridors maritimes –

Depuis début juin, ces deux grandes puissances agricoles, qui représentent à elles seules 30% des exportations mondiales de blé, ont engagé d’âpres négociations pour ouvrir des corridors maritimes sécurisés, à la demande de l’ONU et avec la Turquie comme médiateur.

Une vingtaine de millions de tonnes de grains (blé, maïs) sont en effet bloquées dans les silos des ports de la mer Noire, à la fois à cause des navires russes mais aussi des mines placées par les Ukrainiens pour se prémunir d’un assaut naval de Moscou.

L’Ukraine et ses alliés européens ont déployé d’immenses efforts pour évacuer les céréales par la route ou le rail, sans parvenir toutefois à compenser la mise à l’arrêt des ports et notamment de celui d’Odessa, avec des exportations six fois moins importantes que par la mer.

L’issue semblait encore incertaine en milieu de semaine, mais l’Ukraine et la Russie ont fini par s’accorder sur les conditions d’exportation afin de soulager les marchés mondiaux. Elles devraient reprendre via des couloirs sécurisés pour les navires marchands, dont ils s’engagent à respecter la stricte neutralité.

– Le blé, une denrée précieuse –

Fruit des climats tempérés et facteur de paix quand il abonde, le blé s’est révélé être une véritable arme diplomatique dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, rappelant aux pays son importance stratégique alors que ses prix étaient déjà très élevés avant la guerre.

L’invasion du grenier à blé de l’Europe le 24 février par la Russie a provoqué une onde de choc sur les marchés, faisant flamber les prix des grains et planer le risque d’une crise menaçant la sécurité alimentaire de millions d’humains.

Une dizaine de pays produisent suffisamment de blé tendre pour exporter cette précieuse denrée, qui permet de confectionner de la farine et donc du pain. Elle est, de ce fait, une « céréale majeure de la sécurité alimentaire mondiale », rappelle Sébastien Abis, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques.

Aucun pays n’a réussi depuis à combler le manque de grains provoqué par le conflit, aggravant les risques de famine en Afrique subsaharienne, au Liban ou en Egypte, très fortement dépendants des livraisons ukrainiennes.

L’ONU a mis en garde à de nombreuses reprises face à la menace de nouveaux « ouragans de famine », 200 millions de personnes souffrant déjà de faim aiguë dans le monde.

– Difficultés opérationnelles –

Si cet accord fait naître de véritables espoirs à l’échelle internationale, il soulève aussi des incertitudes sur la reprise opérationnelle du trafic maritime dans la mer Noire.

« Les opérateurs restent très circonspects sur la capacité réelle à reprendre un rythme d’exportation et à redéployer des moyens logistiques » en Ukraine, souligne Gautier Le Molgat, analyste au cabinet Agritel.

L’accord sera piloté par des délégués de toutes les parties impliquées, et trois à quatre semaines sont encore nécessaires, selon les experts impliqués dans la négociation, pour finaliser les détails et le rendre opérationnel.

« Il va falloir sécuriser la marchandise, mais à quel coût? Quel transporteur, quel assureur va accepter d’aller dans la zone? », s’interroge l’analyste.

Saluant une « bonne nouvelle », il appelle toutefois « à se méfier des effets d’annonce », le contenu de l’accord et des contreparties obtenues par la Russie n’ayant pas été complètement dévoilé, et souligne que rien n’est joué d’ici la signature, prévue à 13H30 GMT en Turquie.

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