Un « Emmaüs de la mer » à la recherche de trésors recyclables dans les cimetières de bateaux

Port-Saint-Louis-du-Rhône (France), 14 nov 2025 (AFP) – Aux portes de la Camargue, des dizaines de coques percées, recouvertes de lichen, gisent sur un terrain vague au fond d’un port. Un cimetière de bateaux devenu le terrain de jeu d’une association qui recycle des pièces de navires de plaisance voués à la casse.

« On est des pilleurs d’épaves », lâche en souriant Guillaume Delaunay, l’un des trois bénévoles de La Tribu Maritime, affairé à dévisser un vieux tableau de bord qu’il imagine déjà en jouet pour enfants.

Cette petite association, active sur la façade méditerranéenne, explore les bateaux promis à la destruction pour y dénicher des pièces détachées réutilisables ou recyclables qu’elle revend depuis peu à des particuliers, tel un « Emmaüs de la mer ».

Elle est l’une des rares ressourceries en France spécialisée dans le matériel maritime et nautique, avec la Recyclerie Maritime au Croisic (Loire-Atlantique).

Depuis janvier, elle estime avoir permis d’éviter 3,3 tonnes de déchets en intervenant en amont de la déconstruction des navires. Environ un tiers provient du cimetière de port Napoléon, à Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône), avec qui l’association a signé un partenariat. Le reste a été récupéré sur les bateaux de propriétaires volontaires.

Ce jour-là, la collecte est fructueuse: trois portes en bois exotique, des caillebotis et deux longs hublots en métal, « réutilisables sur un bateau, mais aussi dans un camping-car ou même une salle de bain… », s’enthousiasme le co-fondateur de La Tribu, Thomas Bekkers.

Conséquence de l’essor de la navigation de plaisance depuis les années 1950, la France compterait actuellement quelque 150.000 bateaux en fin de vie, selon le site du ministère de la Transition écologique, citant des chiffres de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Au port Napoléon, le directeur Emmanuel Juste voit les épaves s’accumuler depuis son arrivée, il y a huit ans. Un « empêchement à son activité économique » selon lui, puisque sur 1.000 places à sec (et 250 à flot), 50 bateaux ont déjà acquis le statut d’épave et 20 à 50 sont en passe de l’acquérir.

Un navire de plaisance « est vendu neuf, donc cher, à quelqu’un qui en a les moyens. Puis il est revendu d’occasion (…) à des propriétaires qui ont de moins en moins les moyens. Et avec le temps, le bateau se dégrade. Au bout de 40 ans, les propriétaires ne peuvent plus assumer le rattrapage des travaux coûteux », analyse-t-il.

Ces navires deviennent d’abord des « bateaux ventouses »: ils ne naviguent plus, se détériorent lentement, puis finissent souvent abandonnés à la suite d’un événement de la vie, comme un décès ou une faillite.

– 5 euros le compas de navigation –

Or pendant longtemps, ce stock d’épaves n’a pas été anticipé, regrette M. Juste, car ce n’est que depuis 2019 que la déconstruction des bateaux de plaisance est gratuite pour les propriétaires.

Gérée par l’APER (Association pour la Plaisance Eco-Responsable), éco-organisme labellisée, la filière de déconstruction, qui applique le principe de « pollueur-payeur », est financée par une éco-contribution sur la vente de bateaux neufs.

Depuis 2019, plus de 13.100 bateaux ont été détruits, dont 2.500 en Provence-Alpes-Côte d’Azur, selon les chiffres de l’APER, qui a signé une convention avec La Tribu Maritime fin 2024 pour développer la filière du réemploi.

Reste, pour le directeur de port Napoléon, le problème des coûts non pris en charge: le transport jusqu’au centre de déconstruction – jusqu’à 10.000 euros pour les plus grands navires – et surtout la destruction des bateaux sous pavillon étranger – environ 1.000 euros la tonne.

Alors « chaque kilo recyclé, ce sont des coûts en moins », assure Emmanuel Juste. D’où l’intérêt pour tous de développer cette filière.

Un constat partagé par les plaisanciers, venus chiner de bonnes affaires vendredi à la ressourcerie ouverte fin octobre par La Tribu, à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Oscar Damaso, éducateur spécialisé proche de la retraite et co-fondateur de l’association, accueille dans le petit hangar spartiate.

À la recherche d’un nouveau compas vertical pour leur bateau, Peggy Barroso et son amie lorgnent sur le prix scotché sur le bac: cinq euros. « Neuf, ça coûte entre 100 et 150 euros ».

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