La station américaine Amundsen-Scott est l’habitation terrestre la plus au sud de notre planète, et non, nous n’y vivons pas la tête en bas ! Inaugurée en 2008, elle a remplacé le fameux Dôme qui, en 1975, avait lui-même remplacé la première station construite pendant l’été austral 1956-57, en vue de la participation américaine à l’année internationale de géophysique (IGY).
Située à 90 degrés sud de latitude, elle trône sur la glace à une altitude réelle de 2836 mètres. Cependant, comme l’atmosphère des pôles est plus légère et fine, l’altitude physiologique ressentie par nos corps est de 3223 mètres. L’air y est plus raréfié et le temps d’accoutumance varie. Trop souvent, lors d’activités qui seraient banales ailleurs, on se retrouve soudain à bout de souffle. Un vague sentiment d’asphyxie nous envahit, désagréable et inquiétant.
Au milieu de la nuit, un tel sentiment peut provoquer une panique temporaire, le temps de reprendre son souffle. L’acclimatation peut être rapide… ou très lente, selon les individus. Ajoutez à cela la maladie de l’altitude et ses maux de tête lancinants, et vous comprendrez que pour certains, le salut est dans l’évacuation vers McMurdo, notre station logistique. Par chance, pour la vaste majorité, tout se passe à peu près bien !
Au Pôle, les variations quotidiennes de la pression atmosphérique affectent notre bien-être et notre sommeil. Au moment où je vous écris, la pression de l’air est de 690,3 millibars. La température extérieure est de -41 °C et la température au vent de -54 °C. En 1982, la température la plus basse jamais enregistrée a été de -82,8 °C.
Venteux et glacial
Le vent souffle en permanence. Ce matin, il est à 8 km/h et ne soulève pas de « drift », cette poussière de glace qui ressemble à de la neige. Elle s’accumule contre les obstacles, forme la surface du « sol » intégralement plat, à l’exception de zones de vaguelettes gelées appelées « sastrugi ». Oui, le continent est froid, sec, venteux, immense ! Toutefois, pour moi, le Pôle est surtout glacial. Lors de mes séjours précédents à McMurdo, je pensais que -30 °C était très froid. À peine arrivé ici, je suis allé prendre des photos sur le Pôle de Cérémonie, où flotte le drapeau Corse pour la troisième fois : -53 °C ! Pour la photo, j’ai retiré mes gants, lunettes et cagoule. Cinq minutes à peine… Cela fait maintenant une semaine et le haut de mon oreille gauche qui a pelé est toujours en cours de cicatrisation. L’extrémité de mes doigts de la main droite, qui tenait l’appareil photo, me picote toujours. À priori, ils vont aussi peler, laissant tomber la peau morte. Un de mes camarades, qui a passé 13 mois ici (l’été et l’hiver austral), voit le bout de son nez virer au jaune-orange dès qu’il sort. Je croyais qu’il y avait mis de la crème solaire. En réalité, son nez a gelé. Il ne le perdra pas. À l’intérieur, tout semble normal, mais dehors, au froid, les problèmes de circulation sanguine lui donnent une allure clownesque.
Construction Battalion et Old Pole
L’explorateur norvégien Amundsen et son équipe sont arrivés au pôle Sud le 14 décembre 1911. Ils n’y ont laissé qu’une simple tente, un drapeau norvégien et un message destiné aux Britanniques de Scott, qui n’y parvinrent qu’un mois plus tard, le 17 janvier 1912. Après eux, plus rien pendant 45 ans ! Ce n’est que durant l’été austral 1956-57 qu’une vingtaine de soldats du Bataillon de construction de la marine américaine a construit la première base du pôle Sud (CB, Construction Battalion. Le surnom de cette unité célèbre, représentée par une guêpe, est « SeaBees », qui ressemble phonétiquement à CB). Dès l’hiver austral 1957, la base sera occupée par la première équipe scientifique du pôle Sud, inaugurant ainsi la recherche sur place. Depuis, la station est occupée toute l’année. Cette première station évoluera dans le temps, mais gardera toujours sa structure initiale. Elle finira sous la glace. Avec les années et les blizzards, le drift s’est accumulé et seules ses antennes et autres dômes d’observation apparaissaient à la surface. J’ai lu quelque part que l’altitude du pôle Sud ne change pas, mais que tout finit sous la glace.

En 1975, la vieille station fut remplacée par un immense dôme « géodésique » circulaire, censé protéger les bâtiments de la glace envahissante. Parce qu’il était rond, il devait dévier vent et drift et éviter le sort du « Old Pole », nom donné à la vieille station qui fut dynamitée peu après.
La station électrique, les ateliers et le hangar de stockage n’étaient pas sous le dôme mais en surface, à ses côtés. Pendant trente ans, le dôme iconique tint le coup, mais rien n’arrête la glace. Les bâtiments annexes furent recouverts et le dôme lui-même se retrouva menacé. De plus, il commençait à perdre des panneaux et ne protégeait plus ses pensionnaires.
Une forme révolutionnaire
En 2008, il fut remplacé par la station actuelle, montée sur pilotis pour éviter l’entassement du drift. Sa base, en forme de V, capture et canalise le vent afin qu’il soulève et pousse les flocons de glace au-delà des bâtiments. Révolutionnaire, sa forme aérodynamique et son élévation sur pilotis hydrauliques, ajustables en hauteur, en font une structure totalement différente de ses prédécesseurs.
Mais, à leur image, la station électrique, les ateliers, la soute aux carburants et le hangar de stockage du Dôme — toujours utilisés au profit de la nouvelle station — sont désormais sous la glace, nous rappelant chaque jour que le drift est roi au pôle Sud.





