Jeune patron-pêcheur de 30 ans, Daniel Kerdavid quitte dès l’aube en ce début décembre le port de Quiberon, dans le Morbihan. A bord du Miyabi, un palangrier-ligneur de 9 mètres, il va pêcher autour de Belle-Ile lieu jaune et merlan.
Jusque-là rien de bien étrange. Cependant, une fois le poisson remonté à bord, un hameçon dans la bouche, le jeune pêcheur lui perce d’un coup assuré le crâne à l’aide d’un crochet, avant d’enfiler dans l’orifice une tige en acier, de lui trancher les artères et de le laisser se vider de son sang dans un bac rempli d’eau et de glace.
« Je tue le poisson, je ne le laisse pas mourir », souligne fièrement le jeune homme protégé des éclaboussures d’eau salée et de sang par une combinaison noire imperméable sur un pull mauve.
Il s’agit en effet de détruire en quelques secondes le système nerveux du poisson, moelle épinière comprise, tout en permettant au coeur de continuer à battre. « Ses organes internes continuent de fonctionner, surtout le coeur qui va vider l’intégralité du sang », explique le jeune breton qui n’a jamais mis les pieds au Japon, mais pratique cette technique séculaire d’abattage du poisson avec une assurance déconcertante.
« Le sang c’est la principale cause de dégradation du poisson », précise-t-il, expliquant s’être formé seul, en regardant des vidéos sur internet.
Débarrassé de tout son sang, les chairs du poisson sont plus gouteuses. Par ailleurs, l’animal peut se conserver bien plus longtemps.
La technique peut paraître à première vue cruelle, mais dans les faits il n’en est rien. « A partir du moment où je retire mon crochet le poisson ne ressent plus la douleur », assure Daniel Kerdavid, pour qui il est bien plus traumatisant pour le poisson de le laisser agoniser sur le pont comme cela se fait habituellement.
– ‘Extrêmement doux en bouche’ –
Une agonie à l’origine d’un grand stress, synonyme de chairs moins bonnes.
Ce sont 91 kg de poisson que le jeune ligneur ramène à terre vers 17H00. Les poissons les plus fragiles, comme le merlan et le lieu, sont tués à bord. Les autres, comme le congre, la dorade, la raye ou l’émissole, une espèce de requin de fond, le sont une fois arrivé à quai, après avoir été maintenus dans leur élément.
« Tout mon poisson est déjà vendu », se réjouit le pêcheur, disant avoir doublé ses prix -8 euros le kilo en moyenne pour le merlan- grâce à l’abattage du poisson selon cette technique très répandue au Japon.
Une partie de ses merlans, lieus et autres dorades sera livrée dès le lendemain au palace parisien Le Crillon. Une autre va au « Petit hôtel du grand large » à Saint-Pierre-Quiberon.
« Ah la vache! C’est beau! », s’exclame Hervé Bourdon, le chef de ce restaurant de 25 couverts, visiblement en extase devant les merlans livrés. L’ikejime « change complètement le goût et la texture du poisson. On a quelque chose qui va devenir extrêmement doux en bouche. C’est assez inouï », souffle-t-il, disant ne pas s’intéresser au prix: « Ce qui m’intéresse, c’est la qualité ».
Face à l’engouement grandissant des chefs, le jeune pêcheur installé depuis cet été à Quiberon se renouvelle sans cesse et cherche désormais la manière de pratiquer l’ikejime sur les homards afin d’éviter d’ébouillanter les crustacés vivants.
En France, seules deux autres entreprises proposeraient du poisson tué par ikejime: la société de mareyage France Ikejime, installée dans le Finistère et dont le poisson est gardé vivant dans des viviers le temps qu’il déstresse, et Damien Muller, un pêcheur corse qui pratique l’ikejime sur du thon rouge et de l’espadon.