Lettre ouverte au Gouvernement


Ce « coup de poing dans l’eau salée »
– que nous espérons ne pas devenir un coup d’épée dans l’eau saumâtre d’une transition énergétique ratée, se veut productif, en invitant le Gouvernement à revoir les objectifs de la filière des EMR annoncés le 27 novembre sur la période 2019-2028, qui se résument à un volume de capacités installées dans l’éolien offshore posé de l’ordre de 5 GW, soit une réduction d’un facteur deux ou trois par rapport à celui qui était attendu par les acteurs de la filière, ainsi qu’à un démarrage commercial dans l’éolien offshore flottant qu’on pourrait qualifier a minima de timide, tant sur les dates de lancement des premiers appels d’offre retardés pour l’après 2020, que sur la taille des projets limités à 250 MW.

Ces objectifs ne permettent pas, à l’évidence, de consolider les investissements publics et privés déjà réalisés sur nos territoires, qui dépassent pour les EMR 1,3 milliard d’euros depuis 2007 (Source : Observatoire des énergies de la mer). Plus généralement, le signal négatif envoyé à l’ensemble des acteurs de la filière dont nous faisons partie, ou encore à la jeunesse qui s’est engagée ces dernières années dans des formations ciblées autour de l’énergie et de la mer, obstrue l’avenir des forces françaises des EMR, en freinant durablement leur volonté de structurer une filière industrielle de rang européen. Cette ambition maintes fois revendiquée par ses acteurs pionniers permettrait la création d’au moins 15.000 emplois à l’horizon 2030 ; à comparer aux 2.600 femmes et hommes recensés dans la filière en 2017 (Source : Observatoire des énergies de la mer), confirmant une base solide déjà établie, mais surtout le fort potentiel de croissance de cette filière sur le sol national.

Les emplois français dans les EMR se concentrent d’abord aujourd’hui sur le développement des projets attribués ou en cours d’attribution dans l’éolien en mer posé, mais aussi dans la R&D de systèmes innovants hydroliens et éoliens flottants, ou encore houlomoteurs et valorisant l’énergie thermique des mers ; une part significative des premiers est en outre maintenue grâce aux succès de quelques grands acteurs qui, de la France, investissent dans des projets en déploiement ou déjà opérationnels à l’international : certains ont en effet su dépasser le concept traditionnel du “sea proven”, bien connu de la filière maritime, en exportant leurs technologies avant même de les avoir déployées en France ! Les Chantiers de l’Atlantique, s’il faut citer un industriel bien connu du Gouvernement, ont récemment annoncé qu’ils avaient raccordé via leurs sous-stations électriques fabriquées à Saint Nazaire, plus d’un GW de projets sur les côtes européennes… non françaises s’il faut le préciser. Cette véritable performance ne pourra durer éternellement, dans un contexte où d’autres pays affichent clairement et sans nuance leur forte ambition sur ces nouvelles filières énergétiques – l’investissement annuel dans l’éolien en mer à lui seul étant aujourd’hui de l’ordre de 22 milliards d’euros rien que pour financer les projets validés de nouvelles capacités en Europe (Source : Wind Europe), alors même que le premier milliard n’avait pas été encore franchi en 2008. Une dynamique est donc clairement enclenchée, et le Gouvernement français semble regarder passer ce train – une fois de plus diront certains observateurs et acteurs historiques du secteur des énergies renouvelables…

Notre passion pour l’économie bleue n’aveugle pas notre compréhension des enjeux spécifiques de la transition énergétique française, entre dénucléarisation relative et progressive, développement concomitant de filières renouvelables plus ou moins consolidées, ou encore maîtrise des dépenses publiques entre production décarbonée d’électricité et de chaleur, ou encore d’une nouvelle mobilité. Nous voulons cependant ici revenir sur l’importance de définir une vision stratégique claire et de long terme prônée de façon récurrente par le Gouvernement, et sur les enjeux de sa déclinaison dans le cadre des EMR pour ces dix prochaines années : la France, véritable puissance maritime et dont la souveraineté s’exprime dans tous les océans du monde, possède des atouts indéniables pour viser une place parmi les leaders mondiaux de ces filières d’innovation ; cette conviction que nous faisons nôtre se fonde sur le double potentiel énergétique et industriel des EMR, ainsi que plus généralement sur le levier critique que représente la valorisation durable de l’ensemble des ressources marines pour répondre aux enjeux énergie / climat de notre siècle.

Ainsi, et pour revenir aux enjeux de plus court terme et de la PPE, nous demandons expressément au Gouvernement d’intégrer dans sa réflexion ces éléments clés qui semblent avoir été totalement ou partiellement négligés dans les analyses qui ont été réalisées récemment :


La baisse remarquable des coûts de l’éolien offshore posé européen

ces trois dernières années sera directement transposable en France, et ceci dès l’appel d’offre en cours au large de Dunkerque ; 


  • L’éolien offshore flottant représente le plus grand potentiel industriel de la France en matière de transition énergétique ; il représente en outre une variable d’ajustement stratégique pour valoriser pleinement et de façon la plus compétitive possible les ressources en vents de nos côtes Atlantique et Méditerranéenne ; 

  • La ressource hydrocinétique en courants fluviaux et de marées fait état, en Métropole et dans nos territoires d’Outre-mer, des gisements parmi les plus attractifs au monde ; 

  • L’implantation d’usines et le développement d’un réseau de sous-traitance compétitif représentent des leviers économiques considérables à ne pas négliger dans le cadre de la définition de volumes de marché d’ici à dix ans. 
Sans chercher ici à être exhaustif, ces atouts de premier plan suffisent selon nous à justifier une attention particulière pour viser un développement raisonné en France de ces filières émergentes et à fort potentiel de croissance ; l’ensemble des EMR représente ainsi une opportunité réelle et crédible pour viser dans un horizon de 10 à 15 ans la génération de plusieurs milliers d’emplois “verts et bleus” à forte valeur ajoutée sur nos territoires. Elles sont susceptibles de fournir également des dizaines de gigawatts de capacités renouvelables complémentaires aux énergies terrestres, dans un contexte où les besoins de production renouvelable ne cesseront de croître au niveau mondial dans les décennies à venir. 
Dans ce sens, et pour se risquer à énoncer une base concrète de propositions, nous pensons qu’une série d’appels d’offres à lancer dès 2019 et fondée sur une planification continue d’au moins deux projets d’EMR par an, constituerait une base solide pour assurer la compétitivité de l’ensemble de la filière nationale d’ici à 2030, en France et à l’export. Les options principales sur lesquelles nous souhaiterions qu’une évaluation rigoureuse et complète des coûts / bénéfices soit réalisée portent sur : 

  • Un volume global de projets éoliens offshore posés de l’ordre de 10 GW sur la période 2019- 2028, conforté par le lancement prioritaire d’appels d’offre pour les projets déjà partiellement dérisqués comme celui d’Oléron ; 

  • Un cadencement plus ambitieux d’appels d’offre commerciaux sur l’éolien offshore flottant, afin de viser un objectif d’au moins 3 GW à l’horizon 2030 répartis sur les trois régions que sont la Bretagne, l’Occitanie et PACA, positionnant favorablement la France dans la course mondiale de cette filière à très fort potentiel ; 

  • L’intégration au sein de la PPE de la filière hydrolienne selon ses différentes composantes et spécificités, afin de donner une visibilité différenciée sur les volumes potentiels à considérer, même limités à quelques dizaines ou centaines de MW, entre l’hydrolien maritime et fluvial. 


Ne soyons pas naïfs : ces objectifs à la hausse que nous proposons pour chacune des EMR technologiquement matures ou ayant au moins atteint le stade de pré-industrialisation, seront considérés par certains comme trop ambitieux. Disons-le franchement, nous considérons les arguments mis en avant par ces derniers comme insuffisants ; témoigneraient-ils d’une méconnaissance des savoir-faire consolidés de la filière française dans ce domaine et de ses réalisations de la dernière décennie ? Si c’était le cas, nous accepterions bien volontiers de contribuer à cet effort nécessaire de pédagogie, qui doit en outre inclure une compréhension de la situation et des perspectives de développement de ces filières à l’international.

Ainsi notre définition d’une dynamique équilibrée et soutenant le développement maitrisé des EMR, intègre non seulement la maturité et les spécificités des différentes technologies au sein de nos régions maritimes, mais aussi le développement de projets dans d’autres pays clés en Europe qui naviguent de plus en plus vite, avec notamment des objectifs affichés autrement plus importants que ceux que nous proposons ici pour la France. Dans l’éolien offshore, l’Allemagne a par exemple récemment rehaussé ses ambitions, avec 20 GW de capacités installées en 2030, et le leader britannique vise à la même échéance 30 GW dans son scénario haut, sur un marché européen qui dépasse 16 GW de capacités installées aujourd’hui (Source : Wind Europe). Ces perspectives très favorables représentent finalement autant d’opportunités pour conforter les bases industrielles existantes, en développement et futures des acteurs français, que des risques concurrentiels à maîtriser, sur un marché dont les enjeux de compétition dépassent déjà le seul périmètre européen.

Au-delà du potentiel industriel des acteurs français, et afin de trouver un équilibre entre les convaincus que nous voulons représenter aujourd’hui et les plus réticents, nous proposons d’aligner ces nouveaux objectifs et le lancement progressif des appels d’offre associés, avec des conditions préalables telles que :

  •  Un coût complet de production de l’électricité inférieur à un seuil qui, selon la zone d’implantation et la taille du projet, varierait de 120 à 150 €/MWh pour les premières fermes commerciales d’éoliennes flottantes et hydroliennes ; un niveau de soutien nécessaire et bien en-deçà des tarifs d’achat préférentiels dont ont pu bénéficier d’autres filières alternatives ces dernières décennies en France, avant de viser au plus vite, et toute la filière le dit sans nuance aujourd’hui, des coûts inférieurs à 80 voire 60 €/MWh, ce qui est déjà le cas aujourd’hui dans l’éolien offshore posé ; 

  •  Un contenu local profitable aux ETI, PME et TPE, à la fois compatible avec ces exigences de compétitivité économique et valorisant pleinement les forces du tissu industriel français, avec le support des donneurs d’ordre déjà établis et ceux qui pourraient investir dans l’implantation de nouvelles usines en France. En fonction des technologies et considérant les atouts des acteurs déjà présents sur le territoire national, le taux de contenu local pourrait se situer de 80% à 100% au niveau européen, 50 à 70% au niveau français, et 30 à 50% au niveau régional, voire davantage pour certaines technologies émergentes. 
En synthèse, seule la reconnaissance au plus haut niveau de l’État de ces fondamentaux et surtout des leviers de développement socio-économique que représentent les EMR, pourra constituer une base solide pour (re)créer une confiance ainsi qu’une dynamique positive pour mener à bien les échanges des prochaines semaines entre acteurs publics et privés, nationaux et régionaux. Notre souhait est finalement double : il consiste d’abord à convaincre le Gouvernement qu’il est plus que nécessaire de réorienter sensiblement à la hausse les objectifs chiffrés de la PPE 2019-2028 en matière d’EMR ; il se fonde enfin sur notre conviction de jeunes entrepreneurs des EMR, dont la vision certes ambitieuse mais qui se veut crédible et réaliste, cherche à renforcer à court, moyen et long termes les opportunités de l’industrie nationale dans ce domaine stratégique à fort potentiel, en France et à l’international. 
Si la Mer est l’Avenir de l’Homme, les EMR sont l’avenir de la politique énergétique et industrielle de la France !

Les 9 signataires de cette tribune sont :

  • Matthieu BLANDIN Responsable EMR & éolien offshore du Groupe VALOREM (Études environnementales, Ingénierie électrique, opération et maintenance), il a créé avec GEPS-TECHNO et VALEMO la société AKROCEAN (Saint-Nazaire), spécialisée dans l’acquisition de données météo-océaniques, dont il assure la direction opérationnelle. Il est également Vice-Président de l’association NEOPOLIA (Pays de la Loire), en charge du cluster EMR qui regroupe une centaine d’entreprises positionnées sur cette filière.
  • Diane DHOMÉ Chef de projet chez SABELLA, une PME innovante et pionnière de la filière hydrolienne en France et dans le monde, qui a immergé au large d’Ouessant la première hydrolienne marine raccordée au réseau électrique français, et développe un projet plus large contribuant à l’autonomie énergétique de l’île. Diane est diplômée de l’une des premières promotions du Mastère Spécialisé « énergies marines renouvelables » de l’ENSTA Brest, l’une des formations nationales de référence dans le domaine des EMR.
  • Marlène KIERSNOWSKI Coordinatrice du site d’essais hydrolien SEENEOH, regroupant 4 entreprises dont les compétences-clés sont mises au service des turbiniers pour accompagner le développement de leur technologie par un test en milieu réel sous le pont de Pierre à Bordeaux. Elle a préalablement animé la commission EMR et Offshore du Syndicat des Energies Renouvelables (SER), et élaboré une politique publique régionale pour le développement des EMR en tant que chargée de mission pour la Région Aquitaine.
  • Renaud LABORBE et Jérôme CUNY Co-Fondateurs et Dirigeants d’Open Ocean (Paris & Brest), startup de technologie innovante qu’ils ont créée spécifiquement pour soutenir le développement des énergies marines renouvelables. Open Ocean a conçu et développé une offre innovante en ligne permettant d’accélérer les études de ressource et de caractérisation de sites en mer. Cette solution compte aujourd’hui des utilisateurs, développeurs de technologie ou de projets EMR, aussi bien en France que dans le reste de l’Europe et même en Chine.
  • Marc LAFOSSE Président d’Energie de la Lune (Bordeaux), cabinet d’ingénierie spécialisé dans les EMR et le génie océanographique ; Président de BlueSign (Paris), organisateur du forum Seanergy qui réunit annuellement la filière internationale des EMR en France ; Président de la Commission EMR du Syndicat des Energies Renouvelables (SER).
  • Hakim MOUSLIM Président Directeur Général d’INNOSEA (Nantes), société d’ingénierie et de conseil pour les projets et technologies d’énergies marines renouvelables, faisant partie depuis 2018 du groupe d’expertise maritime international London Offshore Consultants. INNOSEA et LOC rassemblent des références EMR auprès de plus de 150 clients et ont participé à 65% des projets éoliens offshore dans le monde.
  • Maxime PACHOT Consultant et expert maritime (conseil en gestion technique de flotte, transport et installation offshore, O&M), il est le fondateur et le directeur de Bright Future Marine Solutions, présent au Royaume-Uni et en France, après 17 années passées au sein de Bureau Veritas et SBM Offshore en contrôle de design, construction, livraison et opérations de navires, opérations offshore Oil&Gas, ou encore inspection de navires d’installations d’éoliennes.
  • Antoine RABAIN Ingénieur conseil et expert transition énergétique / économie maritime, il a développé dès 2007 chez Indicta puis chez MPrime une offre pionnière de conseil économique et stratégique pour les acteurs privés et publics des Énergies Marines Renouvelables, et a accompagné des Grands Groupes, des PME, des start-ups, des Régions maritimes, des clusters, des ports, ou encore des banques dans leurs stratégies de croissance et l’élaboration de politiques publiques. Il dispense en outre des cours au sein des différents programmes de formation ENR et EMR en France.
Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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