Coronavirus: Brittany Ferries entre deux eaux

Entre confinements des deux côtés de la Manche, quarantaine pour les arrivées au Royaume-Uni depuis la mi-août et tests obligatoires dans l’autre sens depuis décembre, la compagnie bretonne a vu fondre le nombre de voyageurs traversant la Manche.

Or, les passagers avaient apporté 55% des 469 millions d’euros de son chiffre d’affaires sur l’exercice 2019. Les comptes n’ont pas été arrêtés pour le suivant, mais Brittany Ferries n’a transporté que 750.000 personnes en 2020, contre 2,5 millions un an plus tôt.

« Tout le monde parle de la crise Covid et de la difficulté de voyager », soupire M. Roué. « On n’a aucune visibilité, et j’ai envie de dire que très, très vraisemblablement ça va continuer à durer. »

« Les chiffres au niveau passagers sont quasiment nuls », se désole-t-il, alors qu’arrive « la semaine 2 », la deuxième de l’année pendant laquelle les Anglais commencent à réserver leurs vacances d’été. « On sait très bien que les chiffres vont être archi-nuls! »

« On avait prévu notre redémarrage passagers au 22 mars », note-t-il: « On va attendre encore quelques semaines, mais on pourrait imaginer avoir un retard à l’appareillage. »

Brittany Ferries, qui d’habitude fait partir des bateaux vers l’Angleterre depuis Roscoff (Finistère), Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Cherbourg (Manche), Ouistreham (Calvados) et Le Havre (Seine-Maritime), ne transporte plus de passagers qu’entre Ouistreham et Portsmouth.

La situation est un peu meilleure pour le fret (32% du chiffre d’affaires sur l’exercice 2019): l’an dernier, la compagnie a transporté 160.000 poids lourds, contre 200.000 en 2019.

– Navires à quai –

« Jusqu’au 31 décembre, nous n’avions que cinq navires sur douze en exploitation, tous les autres étant arrêtés et mis au mouillage en attente d’un redémarrage », témoigne Jean-Marc Roué. Deux d’entre eux ont pu reprendre la mer, puisque Brittany Ferries a bénéficié d’un contrat du gouvernement britannique qui lui a permis de relancer des rotations fret depuis Cherbourg et Le Havre le 1er janvier.

Mais 2021 commence très lentement, notamment parce que les entreprises britanniques ont amassé des stocks à l’automne dans la crainte d’un Brexit sans accord.

A plus long terme, « il n’y a aucune raison pour que le trafic entre le Continent et la Grande-Bretagne connaisse une forte dépression », estime le responsable. Sauf bien sûr si la crise sanitaire s’éternise.

En attendant un retour à la normale, « on s’est mis en mode dégradé-protection », résume le patron de Brittany Ferries.

« Nous avons arrêté sept navires pour contenir les coûts et capitaliser notre volume fret sur uniquement cinq bateaux. Nous avons 600 à 700 personnels navigants au chômage partiel, on doit avoir également 200 sédentaires au chômage partiel, beaucoup de télétravail au siège… »

« Ayant bénéficié d’un PGE (un prêt garanti par l’Etat de 117 millions d’euros, NDLR), on est en capacité d’honorer toutes nos factures », souligne-t-il, se refusant à avancer une estimation de résultat pour sa compagnie –qui a aussi reçu plusieurs aides de l’Etat et des régions.

Son bras droit, le président du directoire Christophe Mathieu, évoquait en novembre une perte d’une centaine de millions d’euros en 2020, pour un chiffre d’affaires réduit de moitié.

Un audit de KPMG lancé par le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) « montre que Brittany Ferries a perdu 115 millions d’euros du fait du Brexit (…), et que nous allons perdre au moins 220 millions d’euros sur la crise Covid », note M. Roué.

« Ce qui veut dire qu’en quatre ans Brittany ferries a perdu 335 millions d’euros indépendamment du contexte concurrentiel, indépendamment de la pertinence de ses lignes, ou de la sa politique commerciale », soupire-t-il.

« Entre le Brexit et le Covid, il est absolument évident que nous avons une double peine », lance le dirigeant, qui appelle de ses voeux « un plan de redressement du Transmanche français » comprenant notamment une baisse des charges salariales, une compensation de frais engendrés par la sortie du Royaume-Uni du Marché commun ou un effort de promotion de la destination France chez les touristes britanniques.

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