Nicolas Sartini, Directeur central exécutif Lignes Asie-Europe de CMA CGM : Tout savoir sur les porte-conteneurs

Le porte-conteneurs est-il définitivement le symbole de  la mondialisation ?

Oui bien sûr. L’efficacité du transport en conteneurs permet de faciliter le transport international. Les transporteurs maritimes ont accompagné le développement de la globalisation en adaptant sans cesse leurs capacités de transport. En quelques années, les tailles de navires sont passées de 2000 evp (NDLR : équivalent vingt pieds soit environ 6 mètres de long) à plus de 16 000 avec des navires tels que le Marco Polo. Les transporteurs maritimes accompagnent les évolutions du commerce international. Ils ouvrent actuellement les routes maritimes sur les pays émergents d’Afrique et d’Amérique du Sud.

Photos : © Philip Plisson

Quelles sont les principales lignes opérées par CMA CGM et avec combien de bateaux ?

CMA CGM a construit en 35 ans (anniversaire fêté en juin cette année) un réseau mondial qui dessert les grandes routes Est Ouest :  Asie vers Europe ;   Asie vers Etats-Unis (route Transpacifique) ; Europe vers Etats Unis (Transatlantique), tout en étant présent sur toutes les lignes Nord Sud, telles que Afrique au départ d’Europe et d’Asie ; Amérique du Sud au départ d’Europe et d’Asie ainsi qu’Océanie au départ d’Europe, d’Asie et des Etats Unis. Grace à une organisation de lignes avec des hub (NDLR : ports d’interconnections),  CMA CGM peut, avec ses 400 navires, assurer le transport entre 600 ports dans le monde. La ligne Asie >Europe est la ligne historique du Groupe et reste la plus importante en volumes. Chaque semaine, plus de 30 000 conteneurs sont chargés au départ d’Asie vers l’Europe.
Au total, CMA CGM a transporté 10.6 millions de conteneurs en 2012 se plaçant au 3ième rang mondial derrière le danois Maersk et l’italo-suisse MSC.

Sur la ligne « Europe-Asie-Europe », les bateaux naviguent-ils toujours à plein ? 

Sur cette ligne, le trajet qui compte le plus est celui qui va dans le sens Asie (la Chine représente 80% des volumes) vers l’Europe. C’est le trajet dominant, celui sur lequel les frets sont les plus rémunérateurs. Le sens Europe > Asie est qualifié de trajet de repositionnement (des conteneurs). Le ratio est de deux conteneurs à l’import en Europe pour un conteneur réexporté d’Europe vers l’Asie. En général, les navires sont saturés en conteneurs (légers) quand ils quittent l’Asie mais saturés en poids quand ils repartent vers l’Asie car les marchandises sont plus lourdes (et plus pauvres en valeur).

Photos : © Philip Plisson

Quels sont aujourd’hui les grands ports de chargement et de déchargement entre l’Europe et l’Asie ?

Les principaux ports en Asie sont chinois avec en tête Shanghai, 30 millions de conteneurs en 2012. Puis vient la région de Shenzhen, servie par plusieurs ports dont le plus important est Yantian.  Sont ensuite servis une multitude de  ports en Chine, tels que Ningbo, Dalian ou Xingang. Vient ensuite le hub du Sud Est Asie : pour CMA CGM, il s’agit de Port Kelang en Malaisie dans lequel nous traitons les conteneurs en provenance du Vietnam, d’Indonésie, de Thaïlande et du Bangladesh. En Europe, Hambourg et Rotterdam sont les ports plus importants. Le Havre joue cependant un rôle clé pour CMA CGM, car nous y disposons de notre propre terminal et y croisons une vingtaine de lignes.

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Photos : © Philip Plisson

Un bateau fait-il toujours la même ligne ?

En général, un navire est construit pour une ligne déterminée.  Le Marco Polo a ainsi été construit pour la ligne FAL1, notre principale ligne entre l’Asie et l’Europe. En revanche un navire peut être amené, au cours de sa vie,  à passer d’une ligne à une autre : c’est ce que nous appelons le cascading. Par exemple, le CMA CGM Voltaire, navire de 6500 evp, construit en 2000 pour la ligne Asie > Europe, a été « cascadé » plusieurs fois. Construit et exploité pour la ligne FAL1, il a été remplacé après quelques années par un 8500 evp.  Il est passé ensuite sur les lignes Asie > Méditerranée avant d’être une nouvelle fois remplacé par un 8500 evp transféré du FAL1, lui-même remplacé par un 11000 evp. Il est maintenant exploité sur les lignes Asie > Amérique du Sud Cote Ouest où il est déjà trop petit !  Il sera sans doute affecté à un service Asie > Afrique.

Quels sont les principaux critères de rentabilité d’un navire comme le Marco Polo ? Et d’une manière générale d’une ligne ?

La taille des navires sur une ligne donnée joue un rôle clé. L’accroissement de la taille entraine des économies d’échelle. Un navire tel que le Marco Polo donne un avantage économique de l’ordre de 10 à 15% par rapport aux navires de taille inférieure. Cela est vrai tout autant que le navire est plein.

Le remplissage et l’optimisation des navires est le travail des services commerciaux. Il ne s’agit d’ailleurs pas uniquement d’assurer le remplissage mais d’optimiser le chargement en sélectionnant les frets qui embarquent sur le navire. C’est un travail de yield management qui s’apparente à ce qui est fait par les compagnies aériennes ou les chaines d’hôtellerie.

Photos : © CMA CGM

A quelle vitesse navigue habituellement un porte-conteneurs ? 

La situation a considérablement évolué au cours des dernières années.  Au début des années 2000 quand le transport maritime a connu une explosion avec  l’émergence de la Chine comme atelier du monde, il y a eu une double course, à la taille des navires et à leur vitesse. On manquait alors de capacité et il était impératif de faire tourner les navires le plus rapidement possible. Des vitesses de service autour de 24 ou 25 nœuds étaient courantes. Je me souviens avoir été à bord d’un des navires de CMA CGM à une vitesse de….28 nœuds, aidé il est vrai par des courants favorables ! A partir de 2008, le rythme de croissance des échanges a ralenti et la surcapacité s’est installée. Le prix du fuel a explosé dépassant, à l’été 2008, les 700 dollars par tonne. S’est alors imposé le concept du slow steaming qui génère trois effets : une forte réduction de la consommation de soutes, une réduction des émissions de CO2 (1 tonne de fuel brulée équivaut à 3 tonnes de CO2),  et  enfin un effet sur la gestion de la surcapacité. L’abaissement de la vitesse de service entraine l’allongement de la durée des voyages : sur la ligne Asie > Europe, la durée des voyages est passée en quelques années de 56 à 84 ou 91 jours. Il faut donc maintenant 12 ou 13 navires pour opérer une ligne là où il n’en fallait que 8. Aujourd’hui, et c’est paradoxal, des navires équipés de moteurs surpuissants à 14 cylindres battent des records de…..lenteur. Sur le trajet retour entre l’Europe et l’Asie, les navires naviguent à des vitesses de l’ordre de 12 ou 13 nœuds. La consommation de soutes est divisée par 6 par rapport à la vitesse maxi de ces navires

Que consomme un porte-conteneurs sur cette liaison Europe – Asie ?

Quand les navires allaient à pleine vitesse dans les années 2005-2007, un voyage entre l’Asie et l’Europe se traduisait par une consommation dépassant les 10 000 tonnes de soutes. Actuellement la consommation s’est abaissé autour de 7 500 / 8 000 tonnes, ce qui représente encore un budget de 5 millions de dollars au cours actuel  (environ 600 dollars la tonne)

La propulsion nucléaire a-t-elle été envisagée pour ce type de bateaux ?

Des études préliminaires ont été faites mais depuis l’accident de Fukushima et le rejet du nucléaire par un grand nombre de pays, ce dossier a été refermé. En revanche, des études sur l’utilisation du Gaz naturel liquéfié (LNG) sont très avancées. Les premiers navires utilisant ce nouveau carburant vont bientôt être lancés par d’autres compagnies.

Perdez-vous souvent des conteneurs en mer et pour quelles raisons ?

Sur de grands navires de la ligne Asie > Europe, le dernier incident de cette sorte remonte à 2007. Cela dit, sur des navires plus petits et dans des conditions de mer extrêmes, cela peut arriver. Pour éviter de tels incidents, nous avons mis en place à la CMA CGM un  fleet center  qui a la double mission de suivre la vitesse des navires pour éviter tout excès,  et d’assurer un routage météo optimisé pour contourner les dépressions trop brutales. Il peut arriver, en hiver, que nos navires perdent quelques heures au large du Portugal pour éviter de s’engager dans le Golfe de Gascogne lorsque la houle est trop forte, au-delà de 7 ou 8 mètres de creux.

Comment gérez-vous la perte d’un conteneur avec votre client ?  

Les clients sont bien sûr informés et cela devient ensuite un problème d’assurance. Nos clients sont assurés et remboursés à hauteur de la valeur de la marchandise perdue.

Un conteneur peut-il flotter longtemps ?

En général les conteneurs coulent. Il est toutefois déjà arrivé qu’un conteneur perdu dans une grosse tempête dans le Golfe de Gascogne se retrouve au nord de la côte atlantique espagnole. Cependant, je le rappelle, nous transportons plus de 10 millions de conteneurs par an et si nous en perdons 5 dans l’année, c’est un maximum.

Quel type de marchandise peut-on transporter dans des conteneurs ? Avez-vous parfois vu des choses surprenantes ? 

Nous transportons tout ce qui rentre dans des boites… et le  reste ! Nous transportons principalement des biens de consommations et des produits semi-finis, et de plus en plus de produits réfrigérés (fruits, légumes, viandes…). Il est aussi possible de transporter des projets spéciaux tels que des wagons, des locomotives, des hélicoptères, des voiliers. Il y a quelques années, nous avons transporté le trimaran d’Ellen Mac Arthur, de Grande Bretagne à Hong Kong.

Photos : © Philip Plisson

Savez-vous tout ce que vous transportez sur vos bateaux ? 

Les clients nous déclarent la marchandise qu’ils nous confient mais nous ne la contrôlons pas. En ce sens, nous sommes comme la Poste qui reçoit une enveloppe cachetée par son expéditeur et qui la remet cachetée à son destinataire. Nous sommes très prudents sur l’identité de nos clients et effectuons des vérifications pour tous ceux qui chargent avec nous pour la première fois. Nous tenons également à jour des listes de clients blacklistés. Nous suivons ensuite scrupuleusement les règles lorsque des sanctions s’appliquent contre un pays. Nous venons, par exemple, de suspendre notre activité à destination de l’Iran car les sanctions étaient devenues trop contraignantes et que nous ne voulions pas prendre le risque de nous faire boycotter aux Etats Unis

Est-il imaginable aujourd’hui, comme le craignent certains Etats, à commencer par les Etats-Unis, qu’un engin explosif de forte puissance voire une bombe atomique miniaturée, puissent être transportés, à son insu, par un porte-conteneurs et être activés au cœur d’une ville portuaire ? 

Il est possible que des marchandises prohibées soient chargées sur nos navires en dépit de notre vigilance. Pour les bombes atomiques, les services secrets veillent…

CMA CGM a connu quelques déboires avec des conteneurs qui, à son insu, se sont avérés être remplis d’armes. Comment expliquez-vous cela et comment se règlent ce genre d’affaires ?

Encore une fois, les clients nous remettent des conteneurs scellés et nous en déclarent le contenu. Si le client est connu et ses papiers en règle, nous embarquons ses conteneurs. Nous pouvons toutefois être victime de gens mal intentionnés.

Avez-vous connu – et si oui, est-ce courant – des cas de passagers clandestins ?

Cela peut arriver mais nous avons des procédures très strictes dans les pays où ces cas sont susceptibles de se produire. Nous sommes assurés pour ces incidents et les assureurs se chargent du retour des clandestins dans leur pays d’origine.

Comment se compose  l’équipage d’un bateau comme le Marco Polo ? 

Le navire est sous pavillon anglais.  Il compte un équipage d’une vingtaine d’hommes. L’état-major est croate et les marins philippins. Le navire jumeau du Marco Polo, le Jules Verne naviguera sous pavillon français.

Sous quel pavillon navigue la majorité de vos bateaux ? Quelle est votre position sur le pavillon français ?

La majorité de nos navires (NDLR : 400) est sous pavillon européen. Une vingtaine navigue sous pavillon français. Le pavillon français est plus cher que d’autres pavillons européens. Il n’est tenable que si les navires ont fait l’objet de systèmes de financement favorisés.

La piraterie est-elle un danger pour les porte-conteneurs ?

Bien sûr. Les deux grandes zones de piraterie sont actuellement l’Océan Indien et le Golfe de Guinée. Les unités menacées sont les plus petits des  porte-conteneurs d’une capacité de moins de 4 000 evp. Sur ces navires, s’ils sont stationnaires dans l’Océan Indien, nous embarquons des Equipes de protection embarquée (EPE). Les grands navires sont protégés par la hauteur de leur franc bord et par leur vitesse, 18 nœuds dans les zones pirates.  La situation dans l’Océan Indien semble s’améliorer début 2013, alors qu’elle se dégrade dans le Golfe de Guinée. Une étude récente a montré que le cout de la piraterie avait représenté 6 milliards de dollars en 2012 en frais de soutes, surprimes d’équipage, primes d’assurance etc…

Va-t-on faire plus gros que le Marco Polo ?

Dès son premier voyage – opéré à l’heure près ! –  il a été démontré que cette taille de navire était réaliste. Un de nos concurrents (NDLR : Maersk)  va mettre en service, dès l’été 2013, un navire de 18 000 evp. On pourra aller au-delà si les trafics reprennent leur croissance.

Est-il plus intéressant de faire naviguer plusieurs petites entités plutôt qu’une très grosse unité ?

Les armateurs recherchent les économies d’échelle et les grands navires sont pertinents sur le plan économique. En revanche, un très grand navire a besoin d’être « nourri » (feeder en anglais) par des navires de plus petites tailles qui apportent des volumes en provenance des ports secondaires via des hubs de transbordement. A titre d’exemple, le Marco Polo est alimenté à Malte, le hub de CMA CGM en Méditerranée, par une quinzaine de feeders en provenance d’une quarantaine de ports de la Méditerranée, d’Agadir à l’Ouest à Poti, au fond de la Mer Noire.  

Verra-t-on un jour un porte-conteneurs CMA CGM emprunter les nouvelles routes arctiques ?

Les porte-conteneurs ont encore besoin de plusieurs dizaines d’années de réchauffement climatique avant d’emprunter cette route.

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