Après 20 jours d’exploration des fonds marins au nord-est du Cap Corse, Laurent Ballesta et ses trois coéquipiers aquanautes sont sortis mardi 20 juillet des 5m² de leur Station Bathyale. De nombreuses études, à près de 120 mètres de profondeur, ont pu être réalisées à l’occasion de cette Mission Cap Corse Gombessa 6 soutenue par de nombreux partenaires dont l’horloger suisse Blancpain et la Fondation Prince Albert II de Monaco. Elles pourraient permettre de percer le mystère des anneaux de corail.
Et la porte de la Station Bathyale s’est ouverte. Après 20 jours enfermés dans leur capsule de vie de 5m2, Laurent Ballesta, chef d’expéditions sous-marines, biologiste et photographe, accompagné de trois autres aquanautes, Antonin Guilbert, Thibault Rauby et Roberto Rinaldi, ont pu ce mardi 20 juillet, dans le port de Monaco, retrouver leurs proches et toute l’équipe de la mission Gombessa 6. Depuis le 1er juillet, les quatre hommes étaient partis tenter de percer le mystère d’étranges anneaux de corail localisés à 120 mètres de profondeur, au nord-est du Cap Corse. Découverts il y a dix ans par l’IFREMER et l’Université de Corte dans le Parc Naturel Marin du Cap Corse et de l’Agriate, dans une zone de 4 km2, ces anneaux d’une circonférence parfois proche de 30 mètres, n’avaient jamais été approchés par l’homme.
« La mission se termine avec comme pour toutes les expéditions son lot de choses dont nous sommes fiers mais aussi de la frustration, confie Laurent Ballesta. On a approché de nouveaux horizons que l’on n’avait pas imaginés et ça nous donne l’envie d’aller plus loin. Mais les objectifs ont été atteints et c’est merveilleux. Scientifiquement, il y avait d’abord en priorité l’énigme de ces anneaux. Nous avons réussi à réaliser des carottages parfois à plus d’un mètre pour percer la roche au cœur de ces anneaux. C’était loin d’être gagné d’avance car nous n’avions pas la possibilité de tester ces manœuvres avant. Cela a pu être possible grâce à une collaboration avec la Sephismer, cellule de plongée humaine de la Marine nationale. Nous avons constaté que les noyaux étaient colonisés par des gorgones d’un genre qu’on voit habituellement dans d’autres milieux. Les Callogorgia par exemple se trouvent généralement dans des eaux bien plus profondes. Nous avons aussi trouvé dans les gorgones pas mal de faune associée qui vit au milieu des branches. Il y a aussi des porcelaines, ces petits coquillages nacrés que l’on croyait réservés aux récifs tropicaux. Nous espérons que les résultats de nos recherches permettront de comprendre l’origine de des anneaux, leur fonctionnement, leur âge, etc. Et il y a encore tellement de choses à découvrir. » Au-delà de la satisfaction d’avoir rempli les objectifs scientifiques, l’équipe a connu d’autres bonheurs. « Nous avons retrouvé une petite limace de mer nudibranche que nous avions déjà aperçue lors d’une plongée précédente et qui s’avère être une espèce nouvelle. Nous allons avoir le privilège de lui donner un nom et c’est une grande fierté. Ce sera très certainement le prénom de ma fille… »
Dans les derniers jours de l’expédition, une autre rencontre a particulièrement ému l’équipe. « Nous sommes d’abord tombés sur un alignement de grottes sous-marines qui méritent de plus amples explorations, poursuit le chef d’expédition. Et lors de notre dernière plongée, à l’entrée d’une de ces grottes, nous avons une chance incroyable en tombant sur un mérou à dents de chien, une espèce excessivement rare que je n’avais pour l’instant vue que dans de vieux livres. C’était un peu comme un message : ‘’revenez-nous voir, on a encore plein de surprises pour vous’’. »
Même satisfaction du côté des trois autres aquanautes. « Ce qui a été exceptionnel c’est de découvrir des lieux auxquels nous n’étions pas habitués, explique Thibaut Rauby. Avant le début de l’expédition, j’avais peur que passer 20 jours autour d’un fond de sable finisse vite par être lassant. Mais nous avons découvert une biodiversité incroyable. Ce fut une très bonne surprise. Nous avons l’impression d’avoir seulement entrevu quelque chose d’incroyable et, forcément, ça donne envie d’y retourner. »
Menée avec le soutien de nombreux partenaires dont l’horloger suisse Blancpain et la Fondation Prince Albert II de Monaco, la mission Cap Corse Gombessa 6 ne s’arrête bien évidemment pas à la sortie de la Station Bathyale. « Nous allons d’abord devoir analyser toutes nos recherches scientifiques, avance le chef d’exploration. Et puis nous ramenons aussi beaucoup d’images qui vont nous permettre de réaliser un film (avec Arte), un livre et alimenter des conférences. » Avec toujours à l’esprit l’objectif de sensibiliser à la protection environnementale, combat partagé avec l’Office Français de biodiversité, également partenaire. « Nous avons un peu croisé le pire et le meilleur. Nous sommes tombés sur des amphores peut-être vieilles de plusieurs milliers d’années, mais aussi sur des déchets plastiques… »
Il sera ensuite temps de repartir vers de nouvelles explorations. « Je ne me pose pas la question d’un endroit, je me pose la question du mystère, répond Laurent Ballesta au moment d’évoquer la prochaine destination. Est-ce qu’il y a quelque chose que nous n’avons pas encore compris, quelque chose que nous n’avons encore jamais vu ? Souvent, là où on mesure le mieux ce qu’on ne connait pas, c’est précisément ce que l’on prétend le mieux connaitre. Nous nous sommes formés en Méditerranée, c’est là que nous sommes devenus des biologistes. C’est la mer que nous connaissons le mieux et c’est donc là que nous mesurons le mieux les mystères potentiels à résoudre. Mais il est probable que les années à venir nous amènent aussi ailleurs. En revanche, ce qui est sûr c’est que je compte continuer des missions autour de la Corse où nous avons découvert beaucoup de choses ces deux dernières années qui vont mériter d’autres voyages. » Les fonds marins réservent encore tellement de mystères…
Premiers résultats scientifiques en septembre
Malgré une météo difficile qui a imposé quatre jours de stand-by, Julie Deter, Directrice Scientifique de l’expédition, dresse un bilan très positif de la mission. « Nous avons réalisé de nombreuses opérations comme nous l’avions espéré, confie-t-elle. Les plongées ont permis de réaliser trois carottages parfois à plus de 1 mètre de profondeur sur différents noyaux, une dizaine de prélèvements de sédiments sur deux anneaux ou encore une dizaine de prélèvements d’espèces dont trois semblent encore non identifiées. Des prélèvements d’ADN ont été également réalisés sur trois anneaux, les plongeurs ont posé des hydrophones et des courantomètres. Des modélisations 3D ont été produites sur quatre anneaux dont un qui avait été modélisé il y a 7 ans par la COMEX (Compagnie Maritime d’Expertise). On pourra ainsi voir d’éventuelles évolutions. Nous avons encore cartographié la zone et nous pourrons comparer avec le sonar d’il y a 7 ans et observer si les anneaux se sont déplacés. »
Dès septembre, les premiers résultats devraient commencer à donner quelques réponses aux nombreuses questions posées par ces anneaux. D’ici la fin de l’année, arriveront les résultats d’analyses d’ADN, avant, dans un an, la dernière salve de résultats. « On espère bien percer le mystère », pronostique la directrice scientifique. Mais d’ores et déjà, la mission a réservé quelques surprises. « Nous nous attendions à davantage d’homogénéité entre les anneaux, souligne Julie Deter. Or, nous avons constaté une multitude de formes, tout n’est pas aussi parfaitement dessiné que nous avions imaginé. Il y a plein de choses différentes. La première analyse des carottages montre aussi des couches différentes selon les prélèvements. Cela signifie qu’il s’est passé des choses différentes selon les endroits. »
Gérer 35 chercheurs français et étrangers sur le même projet était un autre défi de l’opération. « Il fallait répondre aux demandes de tout le monde, confirme la directrice scientifique. Toutes les études devaient être complémentaires. Nous devions aussi éviter une trop grosse compétitivité. Tout le monde s’est bien entendu avant. Par exemple, nous avons partagé les prélèvements sur les Gorgones entre l’Université de Marseille, l’Université de Montpellier et le Centre scientifique de Monaco. Nous avons aussi dû adapter les protocoles car d’ordinaire les recherches se font sur des profondeurs moins importantes. »
Allo ? c’est Thomas Pesquet !
Pour tous, ce fut un moment très spécial de la mission « Gambessa 6 ». Quelques minutes seulement, mais une émotion particulièrement intense. Le 11 juillet, Laurent Ballesta et l’astronaute Thomas Pesquet, en mission dans l’espace depuis le 21 avril, ont longuement dialogué et partagé leur expérience. Une connexion entre la station spatiale ISS, en orbite à 408 km de distance, et la Station Bathyale, 120 mètres sous les eaux. De l’espace au fond des mers. « Il est très sollicité et à l’habitude de répondre à plein de questions, raconte Laurent Ballesta. Alors, au lieu de le harceler de questions, nous avons essayé de le faire voyager et de lui raconter un peu notre expédition. C’était un honneur. » Et l’astronaute a adoré. « Il y a de nombreux parallèles entre nos deux missions, a confié Pesquet. Vos plongées me rappellent nos sorties extravéhiculaires. Nous évoluons tous les deux dans un milieu extrême, inhospitalier. Nous partageons aussi la notion de confinement, cette vie dans un milieu fermé avec de temps en temps une sortie dans un milieu difficile. Il y a aussi le parallèle d’avoir une équipe au sol qui travaille avec nous. » Le monde sous-marin n’est d’ailleurs pas inconnu pour l’astronaute. « Pendant notre entraînement, nous avons réalisé une mission de neuf jours sous l’eau, raconte-t-il. L’objectif était de se mettre en situation pour simuler une exploration spatiale. Tous les jours, on sortait en tenue de scaphandrier pour répéter les actions que nous ferions sur un astéroïde ou une autre planète. Des carottages notamment. Comme vous. ». « C’est tout à son honneur de ramener son expérience à la nôtre, ajoute Ballesta. Mais nous sommes bien conscients que ce qu’il fait demande bien plus de connaissances et présente bien plus de risques. » Les deux hommes se sont donné rendez-vous à leur retour sur terre. Celui de Thomas Pesquet est prévu en octobre ou en novembre.
La station Bathyale
La Station Bathyale, en référence à la zone bathyale qui désigne en océanologie les grandes profondeurs (> 200 m), juste avant la zone abyssale, a accueilli les explorateurs. Elle était installée sur une barge de l’Institut National de Plongée Professionnelle (INPP), tractée par un remorqueur de la Marine Nationale, Le Pionnier, dont le positionnement dynamique permet de conserver une position GPS précise, sans avoir à ancrer le navire. Pour éviter les interminables paliers de décompression d’une plongée classique, la Station Bathyale, module pressurisé de plongée à saturation, a été adaptée à l’expédition pour maintenir les plongeurs en surface à la pression des grandes profondeurs. D’une taille de 10m2 dont une cellule de vie de seulement 5m2, la station est divisée en trois parties, dont une « tourelle de plongée », ascenseur qui permet aux aquanautes d’accéder aux fonds marins.
Cette exploration a été rendue possible grâce au mariage de deux techniques : la plongée à saturation (confinement dans un espace maintenu sous pression) et la plongée sportive profonde (utilisation de scaphandres recycleurs). Les plongeurs ont respiré un mélange gazeux composé de 94% d’hélium et de seulement 6% d’oxygène. A 120 m de profondeur, la pression est 13 fois plus forte que sur terre. Étalée sur 4 jours, la décompression ne s’est faite qu’à la fin des trois semaines de mission.
En savoir plus : https://gombessa-expeditions.com/