Le sort des marins de P&O n’en finit pas de révolter le Royaume-Uni

Liverpool, 31 mars 2022 (AFP) – « Si 800 personnes peuvent perdre leur emploi par Zoom, n’importe qui dans ce pays peut perdre son travail ». Devant le port de Liverpool, en plein vent glacial, Claire Cooper est venue manifester contre ce licenciement brutal par la compagnie de ferrys P&O.

Il y a deux semaines, du jour au lendemain, elle a congédié 800 personnes, qui doivent être remplacées par des travailleurs externalisés, majoritairement étrangers, et payés bien en dessous du salaire minimum.

Depuis, les manifestations s’enchaînent dans le pays. Les syndicats sont mobilisés et le gouvernement a promis d’agir pour mettre fin à ces pratiques et obtenir le départ du directeur général de P&O, Peter Hebblethwaite.

Ce dernier a estomaqué la classe politique en reconnaissant devant une commission parlementaire que les dirigeants de P&O avaient enfreint la loi en toute connaissance de cause, en se passant de négociations syndicales pourtant obligatoires. Depuis, ces derniers se font traiter tour à tour de gangsters, pirates, criminels ou capitalistes sauvages.

« Je suis effarée de voir que le directeur général peut dire en toute impunité qu’il a brisé la loi. Alors il y a une loi pour eux et une autre pour nous », ajoute Claire Cooper, tutrice pour des élèves handicapés, au milieu d’une trentaine de manifestants.

L’affaire rappelle des souvenirs douloureux à Liverpool, qui a connu il y a près de 30 ans un mouvement de grève massif de dockers, qui a duré plus de deux ans et s’est soldé par plus de 300 licenciements.

– « Manière brutale » –

P&O a paniqué tout le Royaume-Uni en expliquant que les nouveaux employés de ses bateaux, fournis par une agence d’externalisation, seraient payés en moyenne 5,5 livres par heure, certains moins.

Des tarifs qu’il a qualifiés de « compétitif » dans le transport maritime international.

Des « salaires de pauvreté » pour Daren Ireland, responsable régional du syndicat sectoriel RMT, interrogé par l’AFP.

Mais pour lui, c’est surtout « la manière brutale » dont ont été évincés les équipages de P&O qui a « créé l’indignation »: notification par Zoom pour plusieurs centaines d’employés, certains escortés par des agents de sécurité équipés de menottes, etc.

L’entreprise s’est justifiée en disant qu’elle perdait 100 millions de livres par an à cause de la pandémie de Covid-19, qui a décimé les voyages internationaux pendant environ un an et demi, et qu’elle devait agir d’urgence pour trancher dans ses coûts, au risque de devoir licencier ses 2.200 employés restants.

M. Ireland rétorque que P&O a profité des subventions gouvernementales pendant la pandémie pour maintenir les emplois, et maintenant licencie malgré tout à tour de bras.

Les nouveaux employés sont généralement étrangers, embauchés par les sociétés d’externalisation en Inde, Philippines, Colombie ou autres pays à bas salaires.

Emmenés par avion au Royaume-Uni, ils restent à bord des navires pendant plusieurs semaines d’affilée et donc techniquement en territoire international, ce qui permet de les rémunérer très en deçà des niveaux européens.

– Indemnités maximum –

Les employés limogés, essentiellement britanniques ou irlandais, étaient payés au-dessus du salaire minimum (9,50 livres par heure à partir du 1er avril).

Cela fait « des décennies » que les syndicats sectoriels tentent d’attirer l’attention sur le problème, affirme M. Ireland, qui remarque que P&O n’a pas touché aux employés en France ou aux Pays-Bas car les lois du travail y sont plus protectrices.

P&O explique avoir en effet outrepassé l’obligation de négociations en décidant de payer directement le maximum de pénalité risqué au tribunal, et affirme que certains marins toucheront des indemnités de 100.000 livres voire plus.

Le ministre des Transports Grant Shapps a annoncé un plan d’action en 9 points, dont la négociation avec la France, les Pays-Bas et d’autres pays européens de planchers de salaires sur les routes intra-européennes ou l’interdiction aux ports d’accueillir les compagnies qui ne respectent pas les salaires minimums.

Les représentants portuaires ont affirmé que c’était impossible à mettre en place.

Pour les syndicats, l’action gouvernementale est trop timide et trop lente: « ils auraient pu décider de régulations d’urgence, ils l’ont fait pour la pandémie, ils auraient pu faire une injonction contre P&O », fait valoir M. Ireland.

Pour lui, « le problème maintenant c’est surtout: qu’est-ce qui empêche un autre employeur de faire pareil? ».

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