Pour Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes et envoyé spécial du Président de la République, le One Ocean Summit qui s’est tenu à Brest du 9 au 11 février dernier a montré la puissance mobilisatrice de la France sur le sujet de l’Océan. Propos recueillis par Eugénie Tiger.
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Si l’on ne devait retenir qu’une chose de ce sommet pour l’Océan, quelle serait-elle ?
Pour la première fois, 41 chefs d’États et de gouvernement parmi les plus influents du monde se sont retrouvés autour de la table d’une grande coalition océanique, dont les États-Unis, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, les grands pays maritimes de l’Union européenne, le Royaume-Uni… — on notera l’absence de la Russie. Cette mobilisation est une inflexion majeure dans la quasi-absence de préoccupation collective internationale, s’agissant de la mer, dans les négociations autour du climat ou de la biodiversité. La mer ne peut plus être un side-event des différentes COP ! C’est aussi la première fois qu’un pays porte à ce niveau le sujet de l’Océan dans le cadre d’une présidence d’un Etat membre de l’Union européenne, et ce avec le soutien des Nations unies. À travers l’engagement à la fois fort et très personnel du Président de la République, le portage par de nombreux ministres et la mobilisation de notre réseau diplomatique, la France souhaite affirmer ainsi un véritable leadership océanique à l’échelle européenne et mondiale.
Quelles sont les principales annonces à retenir ?
Les mesures annoncées à Brest se distinguent par leur dimension à la fois réaliste et rapidement réalisable. Pour donner l’exemple, la France s’est engagée à ce que 30 % de ses zones économiques exclusives (ZEE) deviennent des aires marines protégées dès 2022, et non à l’horizon 2030. Nous avons également annoncé le traitement des décharges à risques situées sur nos zones littorales. Concernant la pêche durable, nous avons obtenu le nombre nécessaire d’Etats ratificateurs pour que l’Accord du Cap sur la sécurité des navires de pêche dans le monde puisse entrer en vigueur cette année. Par ailleurs, la France et les États-Unis ont signé un engagement prévoyant la négociation d’un traité interdisant la production de plastique à usage unique, un signal fort dans la lutte contre la pollution. Deux semaines plus tard, à Nairobi, lors de la conférence PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), les nations se sont accordées pour signer un traité juridiquement contraignant… En parallèle, et toujours à Brest, 40 grands ports européens se sont engagés à accélérer leur électrification pour décarboner toujours plus leur activité, tandis que deux transporteurs de conteneurs parmi les plus importants au monde ont rejoint le label Green Marine Europe.
Que répondez-vous à ceux qui avancent que la France choisit la facilité en étendant la surface de ses aires marines protégées dans des espaces peu fréquentés, comme les Terres australes, plutôt que dans des espaces saturés comme la Méditerranée ?
Lorsque l’on possède une ZEE de plus de 11 millions de kilomètres carrés, la deuxième au monde, en protéger un maximum est la marque claire d’une préoccupation forte. Sur ce point, nous sommes largement en avance sur bien d’autres pays. Les territoires ultra-marins, à travers la Polynésie française ou les Terres australes et antarctiques françaises, ont montré leur ambition. Concernant spécifiquement la Méditerranée, 21 pays bordent cette mer, nous sommes donc loin d’être les seuls à devoir prendre nos responsabilités… Là-bas comme ailleurs, l’idée est donc d’agir intelligemment, au plus près des réalités locales, pour éviter que des interdictions ou des moratoires n’entraînent l’effondrement de toute une économie dont dépendent près de 150 millions de personnes, et évidemment pour protéger la biodiversité d’une mer aujourd’hui gravement fragilisée, saturée et polluée.
À Brest, le Président Emmanuel Macron a confirmé le lancement de grandes missions d’exploration des fonds marins, ce qui inquiète certaines associations de défense de la biodiversité.
Nous parlons ici d’exploration scientifique, celle qui nous permet de cartographier et de comprendre ce qui se passe dans l’Océan pour mieux résoudre ses problèmes. Car c’est la recherche scientifique qui permet à nos gouvernements de prendre des décisions informées et constructives. Il est donc nécessaire de rassurer les inquiets. Je rappelle par ailleurs que l’Autorité internationale des fonds marins, organisation intergouvernementale, a été justement créée il y a bientôt trente ans, à la suite de la Convention sur le droit de la mer, pour contrôler strictement tout projet à visée économique. Le multilatéralisme est le gage de décisions concertées et transparentes.
L’association Bloom considère que ce sommet est un échec, notamment sur la question de la surpêche. Que lui répondez-vous ?
Qu’on ne règle pas le sort du monde en édictant des anathèmes qui finissent par vous isoler. Qu’à la défensive, nous préférons l’action. La surpêche est un sujet majeur, qui a fait l’objet à Brest d’une attention toute particulière, y compris dans des échanges avec les ONG. La surpêche, à ne pas confondre avec la pêche INN (illégale, non déclarée et non réglementée), pas moins vertueuse, contrevient complètement à notre vision d’une pêche durable. A travers les organisations internationales de gestion des pêches, des équilibres s’organisent. Nous cherchons également à composer des coalitions pour s’attaquer aux pêches pirates. En parallèle, certaines réserves marines doivent être classées d’où notre décision de protéger 30 % de notre ZEE. Le contrôle dans les ports doit être renforcé, ce que nous faisons déjà beaucoup en France. N’oublions pas, par ailleurs, qu’une négociation se joue en ce moment à l’Organisation mondiale du Commerce, sur la possible suppression de certaines subventions néfastes, qui financent légalement de grandes embarcations responsables de surpêche.
Un moment phare du sommet a été la signature, par la France et cinq autres États européens, de la Déclaration de Brest initialisant la transformation de la structure toulousaine Mercator Ocean International, engagée notamment dans la création d’un Jumeau numérique de l’Océan, en une organisation intergouvernementale. Quel est l’enjeu de cette initiative ?
Je retiens d’abord que la Commission européenne, en la personne de la Présidente Von der Leyen, s’est engagée à financer un Jumeau numérique de l’océan accessible à tous. C’est l’une des très bonnes nouvelles de ce sommet. Le Président Macron a rendu hommage à ce titre à la mission européenne Starfish présidée par Pascal Lamy. Pour identifier l’opérateur qui pourra mettre en œuvre ce projet, un appel d’offre sera lancé. C’est dans cette perspective que la Norvège, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie ont rejoint la France en signant la Déclaration de Brest. Forte d’une expérience de vingt ans et d’une considérable avance sur le sujet du jumeau numérique de l’océan, Mercator Ocean International est désormais une structure d’envergure européenne, apte à soutenir les initiatives de l’Union en matière de gouvernance internationale des océans.
Quelles garanties peut-on avoir quant au fait que les engagements pris à Brest soient concrétisés ?
Les engagements pris à Brest ont été publiés, en toute transparence. Ils sont ambitieux mais nous les réaliserons, et ce dans un temps court. Chaque engagement de Brest est porté par des acteurs ou opérateurs pertinents, que ce soit l’Agence française de développement, des entrepreneurs ou, évidemment, des ministères spécifiques. La secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Abba, était à Nairobi pour assurer le suivi de notre engagement. Je suis actuellement à New York (1) aux côtés de Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, pour porter, dans le cadre de la négociation BBNJ (2), la coalition pour la Haute Mer qui regroupe, depuis le One Ocean Summit, plus de 45 pays. Au fil des prochains mois, nous veillerons à ce que les engagements de Brest soient tous accomplis.
Ce sommet a ouvert une année 2022 marquée du sceau de l’Océan. Quels vont en être les grands rendez-vous et quel rôle va y jouer la France ?
Après la conférence intergouvernementale de New York sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ) ou la COP sur la biodiversité à Kunming, en Chine, du 25 avril au 8 mai prochains, l’un des rendez-vous clés sera la conférence des Nations unies sur les océans qui aura lieu à Lisbonne du 27 juin au 1er juillet, car toute la communauté internationale sera autour de la table.
La perspective française est toujours celle d’une construction positive et rapide. Pour porter cette vision, nous souhaitons justement pouvoir accueillir en France la prochaine conférence des Nations unies sur les océans de 2025. De la même manière que la COP de 2015 a donné naissance aux Accords de Paris, nous voulons, dix ans plus tard, faire de cette conférence un moment de bascule, qui réunisse et mobilise Etats, entreprises et organisations non gouvernementales. Qui puisse nous engager tous sur des critères de protection et de développement clairs, aux fondements scientifiques solides et actualisés en permanence. À Brest, nous avons lancé un mouvement pour construire véritablement l’avenir d’un océan vital pour nos équilibres mais aujourd’hui réellement menacé, y compris en raison du dérèglement géopolitique auquel nous faisons face.
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- Cet entretien a été finalisé le 9 mars 2022
- BBNJ : Biodiversity beyond national jurisdiction / Biodiversité au-delà de la Juridiction Nationale