Les subventions agricoles, éternelle épine dans le pied de l’OMC

« On en a plus qu’assez. Assez! »: Nandini Kharadahalli Singarigowda a fait des milliers de km pour manifester sur l’île indonésienne de Bali son opposition à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui y tient sa réunion ministérielle jusqu’à vendredi.

« Avant l’OMC, on vivait en paix », enrage la paysanne indienne, brandissant une banderole « L’OMC tue les agriculteurs ».

Ce sont des petits exploitants ou ouvriers agricoles indiens comme Nandini qui détermineront l’avenir de l’OMC et de la possibilité d’un accord à Bali.

Défendant ce qu’elle appelle la « sécurité alimentaire », l’Inde, à la tête de 46 pays en développement, veut pouvoir acheter riz et céréales à prix artificiellement élevés, afin d’aider leurs agriculteurs, pour ensuite les revendre à bas coûts aux plus pauvres.

Delhi veut ainsi nourrir plus de 800 millions de pauvres. Derrière l’apparence humanitaire, des observateurs y voient des visées électorales: le pouvoir à Delhi est en difficulté dans les sondages à l’approche d’un scrutin national.

Mais l’OMC, gendarme du libéralisme économique, craint que les stocks alimentaires ainsi constitués puissent être par la suite utilisés pour inonder les marchés étrangers avec des produits bon marché.

L’Organisation considère donc la « sécurité alimentaire » comme une subvention faussant la concurrence: en vertu des règles existantes, ce type de subsides est limité à 10% de la totalité de la production agricole.

Les pays en développement réunis dans le « G33 » crient à l’injustice, soulignant qu’Union européenne et Etats-Unis, eux, sont autorisés à subventionner massivement leurs agricultures.

Ces dernières ont ainsi plus que doublé aux Etats-Unis de 1995 à 2010 pour atteindre 130 milliards de dollars en 2010, tandis que celles de l’UE ont été réduites de 90 mds EUR en 1995 à 79 mds EUR en 2009, selon des données de l’OMC.

Pour l’ensemble des pays développés de l’OCDE, les subventions agricoles sont passées de 350 mds USD en 1996 à 406 mds USD en 2011, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques.

« Il ne faut pas oublier que les pays développés sont autorisés à subventionner leurs agriculteurs à hauteur de plus de 400 milliards de dollars, sans violer les règles de l’OMC », souligne Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation.

L’Inde dénonce ainsi le « soutien de façade » apporté par les pays riches qui ont promis au sein de l’OMC de réduire leurs subventions, selon les mots du très combatif ministre indien du Commerce, Anand Sharma.

« Nous ne pouvons plus permettre que les intérêts de nos paysans soient sacrifiés sur l’autel des ambitions mercantiles des riches », a-t-il déclaré en marge de la réunion de Bali.

Les Etats-Unis, fervents opposants aux demandes de Delhi, ont proposé un compromis à Bali qui consisterait en une « clause de paix » de quelques années, le temps de trouver une solution plus durable, durant laquelle les pays dépassant le plafond de subventions ne seraient pas poursuivis en vertu des règles de l’OMC.

« Nous soutenons la sécurité alimentaire », a assuré le ministre américain du Commerce, Michael Froman. « Mais si des pays prennent des mesures dans ce domaine, nous les exhortons à le faire d’une manière transparente et sans fausser les marchés », a-t-il récemment indiqué.

L’UE assure elle aussi être en faveur de la sécurité alimentaire. « Personne ne doute de l’importance capitale de la sécurité alimentaire pour les pauvres dans le monde », déclare à l’AFP le porte-parole de l’UE sur le Commerce, John Clancy. « L’ambition de l’UE est de voir adopter un paquet de mesures … dont la sécurité alimentaire », ajoute-t-il.

La paysanne indienne Nandini n’est pas convaincue. « L’Inde est un pays agricole et depuis l’OMC, la vie rurale en est arrivée à un point tel que les paysans se suicident. L’OMC exige qu’on réduise les subventions mais le pays en a besoin ».

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