Avec la déclaration d’Emmanuel Macron de « soutenir l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins », ces derniers s’invitent, enfin, sur le devant de la scène(1). De quoi parle-t-on précisément ?
Les grands fonds marins commencent à partir de mille mètres de profondeur, seuil au-delà duquel l’environnement change de façon significative. La Fondation de la Mer a calculé pour la première fois, avec le soutien du cabinet Advention, la superficie de ces grands fonds marins sur une planète recouverte à 71 % par les océans. Il en ressort qu’ils représentent 88% du plancher océanique, soit une surface totale estimée à trois cent vingt millions de km2.
Sur le plan juridique, à qui appartiennent-ils ? Dans leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives, les États sont libres d’organiser leur exploration ou leur exploitation. En revanche, dans la haute mer, dite « la Zone”, c’est à l’Autorité Internationale des fonds marins (AIFM) qu’il revient d’instruire et d’accorder les autorisations nécessaires. « La Zone », patrimoine commun de l’humanité, représente un peu plus de 50 % de l’ensemble des fonds marins.
Emmanuel Macron s’est donc engagé à soutenir « l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins » dans son discours prononcé lors de l’ouverture de la COP 27, le 7 novembre dernier. Une position nette, alors que l’AIFM était réunie en session à Kingston (Jamaïque), pour mettre en place un code de réglementation de l’exploitation des ressources de “la Zone”.
Selon la députée française de Gironde, Sophie Panonacle, « la déclaration du président a déjà entraîné d’autres pays avec nous. Il faut que la France soit leader sur ce sujet ». En effet, l’étude de la Fondation de la Mer révèle que la France possède la plus vaste surface de grands fonds marins dans le monde avec 9,5 millions de kilomètres carrés situés sous 1000 mètres de profondeur, soit 93% de sa ZEE totale (11 millions de kilomètres carrés).
Que contiennent donc ces grands fonds marins qui suscitent tant de convoitises ? Le plancher océanique, comme l’environnement terrestre, est composé de chaînes montagneuses, de plateaux, de pics volcaniques, de canyons et de vastes plaines abyssales. Il contient la plupart des minéraux que l’on trouve sur terre, souvent sous des formes enrichies, ainsi que des minéraux uniques, comme les encroûtements ferro-manganésifères enrichis en cobalt et les nodules polymétalliques.
Aujourd’hui, après des décennies d’oubli relatif, la possibilité d’une exploitation commerciale de ces ressources minérales suscite un regain d’intérêt de la part du secteur privé et des gouvernements dû essentiellement aux progrès technologiques réalisés pour l’extraction et le traitement des ressources profondes, et à l’augmentation de la demande internationale de minerais liée à la mondialisation et à l’industrialisation des pays en voie de développement.
De nombreuses alternatives à l’exploitation
Existe-t-il toutefois des alternatives à l’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins ? Oui, et elles sont nombreuses. Il s’agit d’abord d’investir massivement dans le recyclage de métaux en ciblant ce que l’on pourrait appeler les “mines urbaines”, c’est à dire les ressources stockées dans nos placards, nos entrepôts ou nos décharges, plutôt que d’ouvrir des mines sous-marines dont l’exploitation serait menée loin de tout regard. Aujourd’hui, selon l’International Panel for Resource Management, 34 métaux et terres rares ont un taux de récupération mondial inférieur à 1%. Or l’Europe estime que 350 000 emplois pourraient être créés si une politique d’économie circulaire des matières premières sensibles était mise en place. Et cela ne serait pas plus onéreux que de développer les technologies pour forer à plus de 1000 mètres de profondeur. Rappelons que le record de teneur en cobalt a été identifié en Polynésie et s’élève à …. 1,8% : 1,8kg de cobalt pour une tonne extraite de l’Océan.
Le gouvernement français ne s’y est pas trompé en annonçant, le 24 octobre 2022, que trois des cinq projets “matières premières » de France 2030(2) seraient dédiés au recyclage des déchets électroniques, pour en extraire le lithium, le cobalt, le nickel ou le manganèse. Cela passe aussi par un travail sur la durabilité et la réparabilité des objets dès leur conception pour faciliter le recyclage des métaux en fin de vie.
La Fondation de la Mer recommande également la mise en place de sanctuaires des profondeurs, de zones protégées reliées entre elles par des “passerelles” biologiques sous-marines. Une stratégie européenne doit aussi être mise en place. Si les États européens trouvent un consensus, l’Union européenne aura son rôle à jouer dans la définition des normes du code minier de l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM).
L’AIFM créée dans les années 90 doit, enfin, être réformée. Son mode de financement, fondé sur une taxe perçue sur l’exploitation, n’est pas compatible avec une volonté affichée de préservation des fonds marins. La publication des contrats d’exploration, la mise en place d’un système de comptes rendus ou encore d’un système de sanctions permettront à l’Autorité d’être plus transparente et efficace.
Protéger les grands fonds marins revient à éviter plusieurs risques : le risque de libérer le carbone stocké dans les profondeurs, d’éroder un peu plus la biodiversité marine, de détruire des ressources encore inconnues et qui pourraient être utiles à la santé humaine. C’est aussi maîtriser nos ressources en les recyclant à terre. Dans les années 1980, l’Antarctique échappait à l’exploitation minière grâce à un moratoire. Faire de même dans les grands fonds marins, c’est rendre service à l’Humanité.
- Ci-dessous la déclaration d’Emmanuel Macron sur les grands fonds marins à la tribune de la COP27 qui s’est déroulée du 6 au 18 novembre 2022, à Charm el-Cheikh, en Égypte : « Je veux être ici très clair, fidèle à ce que j’ai déjà dit : la France soutient l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. J’assume cette position et la porterai dans les enceintes internationales. »
- Le plan « France 2030 », doté de 54 milliards d’euros déployés sur 5 ans, vise à développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir. Il poursuit 10 objectifs pour mieux comprendre, mieux vivre et mieux produire à l’horizon 2030. En novembre 2022, un an après son lancement, 8,4 milliards d’euros ont été investis dans 1 752 projets innovants sur tout le territoire. Source : Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.