« On va nous chasser, nous, les pêcheurs. C’est certain! », tempête le septuagénaire dans ses bottes blanches en caoutchouc. Ce matin de juillet, comme tous les jours entre 4h30 et 5h, il est allé relever ses filets dans les eaux de la mer Egée, au large de Poros.
Dans le Golfe saronique, cette petite île touristique ne veut pas d’élevage intensif de daurades et de loups de mer destinés aux cuisines françaises ou italiennes.
Et la colère qui agite ce petit territoire de 3.000 habitants, séparé du Péloponnèse par un étroit bras de mer, s’étale jusqu’au centre culturel de l’île. « Oui au tourisme maritime, non à la pisciculture », proclame l’une des banderoles.
Plusieurs fermes piscicoles exploitées par le groupe gréco-espagnol Avramar, qui se présente comme le premier producteur mondial de poissons méditerranéens, existent déjà à Poros.
Mais un projet prévoit de faire de l’île l’un des principaux sites d’aquaculture en Grèce.
A terme, ces fermes piscicoles couvriraient un quart de l’île, soit 600 hectares de terre et 269 hectares en mer.
Pays méditerranéen avec plus de 15.000 km de côtes, la Grèce cherche à développer son industrie aquacole et a identifié de longue date 25 sites pour l’installation de fermes piscicoles.
L’Union européenne a alloué 92 millions d’euros de fonds au pays d’ici 2027 pour la promotion de l’aquaculture qui en Grèce a connu une hausse de 7% en volume en 2021, à 131.000 tonnes, selon l’Organisation hellénique des producteurs aquacoles (ELOPY).
A Poros, la production annuelle doit passer à plus de 8.800 tonnes, contre 1.100 tonnes actuellement durant les cinq premières années, affirme l’autorité de gestion du projet, POAY Poros, à l’AFP.
Le maire de l’île mène la fronde contre l’agrandissement des sites d’élevage. Poros « dépend à 95% directement ou indirectement du tourisme », explique à l’AFP Yannis Dimitriadis.
« On va devenir une zone industrielle, cela remet en question tout l’équilibre de notre économie », poursuit l’édile qui assure avoir déjà rencontré à deux reprises le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis pour lui exposer son opposition au projet.
Contactée par l’AFP, le groupe Avramar, qui a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de 157 millions d’euros, n’a pas souhaité livrer de détails assurant que le projet était en « phase préliminaire ».
Toutefois, selon la POAY Poros, la procédure d’approbation par les autorités grecques doit être terminée d’ici novembre 2024.
– « Nous ne voulons pas être Santorin ou Mykonos » –
Avec ses bâtisses couleur pastel, ses placettes blanches d’où jaillissent lauriers roses et bougainvilliers fuchsia, Poros cultive l’image d’un tourisme à taille humaine loin des méga complexes hôteliers.
« Nous ne voulons pas être Santorin ou Mykonos », explique Magdalena Iwaszko, propriétaire d’un petit établissement hôtelier.
« Les touristes viennent ici pour se relaxer (…) L’implantation de fermes piscicoles aurait d’énormes conséquences environnementales. Personne ne veut de l’aquaculture ici! », s’inquiète-t-elle, installée sur l’une des terrasses qui bordent le port de l’île.
« Poros, ce sont des eaux claires comme le cristal et une côte intacte ».
L’embarcation de Tasos Ladas a mis le cap au nord, dépassé un îlot surmonté d’une chapelle blanche avant d’atteindre une petite baie lovée dans un décor aux déclinaisons émeraude et turquoise.
Tapissée de pins, la partie nord de l’île, Kalavria, est abandonnée au refrain entêtant des grillons et au béguètement des chèvres.
Aucun bateau de plaisance ne barre l’horizon, juste de grosses cages sphériques flottantes.
« Je ne suis pas opposé (fondamentalement) aux fermes piscicoles. Notre mer se vide de ses poissons d’année en année. Donc elles sont un mal nécessaire. Mais il faut que ce soit fait correctement, avec un protocole strict et des contrôles et pas dans des zones touristiques » note le pêcheur.
Le maire s’inquiète aussi des conséquences environnementales où la concentration importante de poissons dans de petits bassins favorise le développement de maladies.
Il dénonce aussi le fléau « des déchets produits par ces poissons, les médicaments administrés aux poissons, l’utilisation en grande quantité de formol ».
« Tout ceci se répand ensuite dans la mer », ajoute-t-il, assurant que la surface de l’eau autour des bassines est devenue huileuse en raison des aliments donnés aux poissons.
Les fermes piscicoles réfutent ces accusations, affirmant que protéger l’environnement et veiller à la santé des poissons sont essentiels pour leurs activités.