Brexit, Aukus… quel avenir pour la relation de défense franco-britannique ?

Le 2 novembre 2010, le Royaume-Uni et la France signaient en grande pompe les accords de Lancaster house renforçant ainsi leur coopération nucléaire, de défense et de sécurité. Une interopérabilité accrue devait leur permettre d’effectuer des opérations extérieures conjointes dans le cadre du CJEF (Combined Joint Expeditionnary Force). Depuis, le Brexit et l’Aukus ont fortement dégradé la relation bilatérale. Simple tempête ou changement de cap ?

Le malentendu franco-britannique a commencé avec le Brexit. Persuadés qu’il n’existait pas d’alternative à l’Union européenne (UE) pour les nations européennes, les Français se sont enfermés dans une bulle cognitive et ne l’ont pas pris au sérieux. Aussi, lorsque le gouvernement de Sa Majesté a présenté le plan Global Britain, ont-ils a cru à la foucade populiste d’un pays aux abois. Il s’agissait en fait d’une révolution.

On a pu dire depuis les années 1960 que la Grande Bretagne avait « perdu un empire mais pas encore trouvé un rôle ». Le choc du Brexit l’a tirée de cette léthargie stratégique. Obligée de se remettre en cause, elle a été la première en Europe à comprendre que l’évolution du contexte contemporain rendait caduques les grilles de lecture héritées de la fin de la Guerre Froide. L’heure est à la compétition globale et aux chocs des puissances. Les nations, que l’on disait destinées à fusionner dans le village-monde, sont redevenues le pivot des relations internationales. D’autre part, les déterminismes géographiques d’antan ont perdu beaucoup de leur pesanteur à l’âge de l’information. 

Global Britain

Le concept de Global Britain répond à cette situation nouvelle. Plus qu’un plan d’action, il est une nouvelle façon de voir les choses. Récusant les approches gestionnaires, jugées anachroniques dans un monde multipolaire et conflictuel, il consiste avant tout à penser en termes stratégiques et offensifs. Les processus et les structures décisionnels eux-mêmes sont appelés à se réformer pour gagner en agilité. Le gouvernement entend combiner ses actions pour mener une stratégie « intégrée multi-domaines ».

D’autre part, les Britanniques répondent à l’appel du grand large. Ils réinvestissent des zones délaissées depuis leur retrait à l’est de Suez en 1971, notamment l’Indo-Pacifique. La France l’a constaté à ses dépens lors de la signature du traité tripartite entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (Aukus). Ce dernier entend réaffirmer le leadership du Royaume-Uni et son influence en tant que puissance moyenne globale sur les questions politiques, économiques, sociétales, scientifiques, environnementales ou militaires sous la bannière libérale. La décision, prise au printemps 2021, d’augmenter de 40 % son arsenal nucléaire est un signal fort envoyé à la communauté internationale de sa volonté d’assumer sans complexes de plus grandes responsabilités globales.

Pour porter son projet européen, dont personne ne partage la vision stratégique, la France a abusé du thème consensuel de l’amitié entre les peuples au point d’y croire. L’annonce de l’Aukus lui a rappelé que les Etats n’ont que des intérêts, selon le mot du général de Gaulle. Beaucoup d’illusions se sont alors dissipées à Paris, qu’il s’agisse de la perception extérieure de sa puissance réelle ou de la nature inconditionnelle des vieilles alliances. On peut être une puissance nucléaire démocratique et ne représenter qu’un second choix pour les anglo-saxons. 

Recomposition stratégique

Avec la recomposition géostratégique consécutive à l’Aukus, tout un pilier de la politique française dans le Pacifique a été réduit à néant. Il est probable que les Etats-Unis aient éprouvé un plaisir coupable à faire sentir sa faiblesse et son isolement à un pays dont le projet d’indépendance stratégique européenne s’oppose à leurs intérêts. Mise hors-jeu dans le Pacifique, la France a également mesuré ce que la fameuse solidarité européenne avait d’illusoire dès lors que l’Amérique était en cause. A choisir entre elle et Washington, les capitales du Vieux Continent n’ont pas balancé. Suprême humiliation, Josep Borrell, le chef de la « diplomatie européenne » a, pour une fois, réussi à se faire entendre. Mais pour se désolidariser de Paris et déclarer « l’incident » clos.

Les Britanniques ont eu leur revanche. Après leur départ de l’UE, que n’ont-ils entendu sur la solitude à laquelle ils semblaient promis ! Ils ont pourtant retrouvé une importante liberté d’action nationale tout en s’assurant une place privilégiée dans le condominium anglo-saxon. L’ironie du sort veut que ce soit finalement la France qui se trouve isolée comme jamais, peut-être, depuis les années 1930.

L’affaire des sous-marins a contribué à rompre la confiance entre les deux rives de la Manche. Les Français dénoncent une trahison. Les Britanniques annoncent la fin de l’innocence. Pour ne rien arranger, Londres juge la machine européenne terriblement gauche et provinciale et ne manque pas d’exploiter ses contradictions avec beaucoup d’habileté, tout en démontrant qu’une voie alternative à l’UE est possible. Ce n’est pas le meilleur moyen de réchauffer ses relations avec Paris, dont l’intégration dans une Europe-puissance est la priorité et dont la vocation de puissance d’équilibre s’accommode mal d’une forme d’unilatéralisme anglo-saxon.

Avancer main dans la main

En termes de défense, le secteur le plus important et le plus sensible, la relation bilatérale subit naturellement les contrecoups de ce contexte difficile. Certaines ambiguïtés demandent également à être clarifiées. Le Combined Joint Expeditionnary Force (CJEF) a atteint sa pleine capacité opérationnelle en 2020. Il doit notamment permettre l’engagement d’une force binationale de 10 000 hommes sur court préavis dans un conflit de haute intensité. Mais cette hypothèse est-elle réaliste au regard de la posture diplomatique de Londres et des réformes en cours de l’Army ?

La France et le Royaume-Uni sont deux puissance de poids égal. Leurs armées, qui partagent la même culture de l’engagement opérationnel, sont les premières d’Europe. Il leur est difficile d’affirmer un leadership dans leur relation, et impossible de l’accepter lorsqu’il se dégage conjoncturellement. Lorsque la complémentarité évidente entre les deux pays les a poussés à initier des projets de coopération militaire, ils ont trop souvent avorté du fait de leurs rivalités.

Mais nécessité fait loi. Plusieurs initiatives stratégiques sont devenues incontournables, notamment dans les domaines ultra-sensibles du nucléaire, qui engage la crédibilité et la force de dissuasion des deux puissances. Un programme de missiles antinavire et de croisière ambitieux lie les deux pays. Ils partagent une même perception des menaces, des intérêts géopolitiques vitaux identiques et des valeurs fondamentales communes en termes de droits de l’homme et de démocratie. Perfide Albion, sans doute. Bloody French, bien sûr. Mais ils se portent mieux lorsqu’ils avancent main dans la main.

Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCYhttps://theatrum-belli.com/author/raphaelchauvancy/
Officier supérieur des troupes de marine, auteur, conférencier et enseignant en stratégie et en influence (Ecole de Guerre Economique, intervenant IHEDN). Il est également contributeur du site THEATRUM BELLI (rubrique "Rivalités de puissance").

Les Infos Mer de M&O

CMA CGM valide la construction en Inde de 6 porte-conteneurs de 1 700 EVP dual-fuel au GNL

CMA CGM devient la première grande compagnie maritime internationale de transport par conteneurs à conclure un accord pour six nouveaux navires propulsés au...

Nodens : du vent dans les voiles, du whisky en cale (entretien avec Tristan Botcazou)

La devise de Nodens pourrait être "Fluctuat Nec Mergitur". A peine lancée, cette nouvelle entreprise bretonne de whisky transporté à la voile fait...

« Les ports ne peuvent plus subir la transition énergétique, ils doivent la piloter »

Par Loïc Espagnet - Président de SeaBridges Dans un secteur portuaire en pleine mutation, SeaBridges se pose comme un nouvel acteur animé par une ambition...

L’Axe Seine réinventé : un ouvrage collectif explore le lien entre Paris, Rouen et Le Havre

Une nouvelle parution consacrée à la colonne vertébrale logistique française Un nouvel ouvrage, intitulé L’Axe Seine réinventé, vient de paraître. Il plonge au cœur...

La crise de la pêche en Mauritanie peut-elle s’étendre au Maroc ? (par Gabriel Robin)

À Nouadhibou, poumon halieutique de la Mauritanie, les poissons se raréfient de plus en plus. Dans un reportage publié le 31 juillet 2025,...

« Ma connaissance pointue du nautisme me permet d’accompagner l’ensemble des professionnels du secteur » (Entretien avec Julie Leveugle)

Navigatrice expérimentée et amoureuse de l’Océan, Julie Leveugle a fait de sa passion un métier : celui de rédactrice web SEO au service des...

Plus de lecture

M&O 288 - Septembre 2025

Colloque Souveraine Tech du 12 sept 2025

Alors qu'il était Premier Consul, Napoléon Bonaparte déclara le 4 mai 1802 au Conseil d'État, "L’armée, c’est la nation". Comment ce propos résonne t-il à un moment de notre histoire où nous semblons comprendre à nouveau combien la nation constitue et représente un bien à défendre intelligemment ? Par ailleurs, si la technologie est le discours moral sur le recours aux outils et moyens, au service de qui ou de quoi devons-nous aujourd'hui les placer à cette fin, en de tels temps incertains ? Cette journée face à la mer sous le regard de Vauban sera divisée en tables rondes et allocutions toniques.

ACTUALITÉS

Le Bénin et la mer

Découvrez GRATUITEMENT le numéro spécial consacré par Marine & Océans au Bénin et la mer

N° 282 en lecture gratuite

Marine & Océans vous offre exceptionnellement le numéro 282 consacré à la mission Jeanne d’Arc 2024 :
  • Une immersion dans la phase opérationnelle de la formation des officiers-élèves de l’École navale,
  • La découverte des principales escales du PHA Tonnerre et de la frégate Guépratte aux Amériques… et de leurs enjeux.
Accédez gratuitement à la version augmentée du numéro 282 réalisé en partenariat avec le Centre d’études stratégiques de la Marine et lÉcole navale

OCÉAN D'HISTOIRES

« Océan d’histoires », la nouvelle web série coanimée avec Bertrand de Lesquen, directeur du magazine Marine & Océans, à voir sur parismatch.com et sur le site de Marine & Océans en partenariat avec GTT, donne la parole à des témoins, experts ou personnalités qui confient leurs regards, leurs observations, leurs anecdotes sur ce « monde du silence » qui n’en est pas un.