Au large de la ville située au sud de Hobart, les enclos d’élevage sont nombreux, flottant dans les eaux de Tasmanie, région qui produit 75.000 tonnes par an de saumon (90% de la production australienne).
Mais en ce jour de fin février, ce sont des centaines de morceaux de poisson pourri qui ont déferlé sur la plage, révélant une surmortalité dans les élevages.
« Nous avons été alertés par des riverains », raconte Jess Coughlin, de l’association Neighbours of Fish Farming (NOFF).
« Dans le métier, ils appellent cela du +pop-corn+: quand les poissons meurent, ils coulent et quand ils se décomposent, des morceaux de chair et de graisse remontent à la surface sous forme de boules », explique-t-elle. Le phénomène est « si fréquent que les ouvriers ont un terme pour le désigner ».
« Ces +boules+ restent normalement piégées dans les enclos, mais là, on les a retrouvées sur nos plages », poursuit-elle. De quoi créer l’émoi.
« C’est extrêmement perturbant de se dire que cela fait partie du processus normal de notre production alimentaire, que régulièrement on laisse des poissons morts pourrir dans les enclos où on élève des animaux destinés à la consommation humaine », poursuit Mme Coughlin.
Derrière cette vague de poissons pourris, « les températures élevées de l’eau et une bactérie appelée +piscirickettsia salmonis+ ont provoqué une mortalité sans précédent » dans les enclos du canal d’Entrecasteaux, au sud-est de la Tasmanie, a expliqué l’Autorité environnementale de Tasmanie, reprenant les déclarations de Salmon Tasmania, représentant de la filière.
« Le saumon et nos élevages ne sont pas à l’abri des aléas de l’ environnement naturel », a souligné cette fédération professionnelle, assurant que ses membres faisaient « tout leur possible pour élever des poissons sains ».
– Au nom de l’emploi –
Au moins deux millions de poissons sont morts en l’espace de deux semaines, estime de son côté la fondation Bob Brown, dont les militants ont publié des vidéos de centaines de poissons morts pompés dans des enclos situés plus au nord, sur la base d’échanges confidentiels avec des employés de la filière.
Au-delà de cet incident révélateur, la filière est accusée de ravager l’environnement marin.
« Dans le passé, il y avait beaucoup plus de poissons et d’oiseaux migrateurs, on pouvait aussi régulièrement observer des baleines remonter dans nos fleuves. Ce n’est plus le cas » depuis l’essor de cette industrie dans les années 1990, décrit Jess Coughlin, racontant aussi les débris plastiques issus des fermes et le recours massif aux antibiotiques.
Le principal point de friction se concentre sur la côte ouest de la Tasmanie, dans la baie de Macquarie, où se concentre 10% de l’activité salmonicole de l’île.
L’endroit accueille le seul habitat sur la planète de la raie maugéenne (diputurus maugeanus), espèce menacée d’extinction selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont il ne resterait que 40 à 120 spécimens adultes, pour une population totale estimée à 4.100 spécimens, selon l’Australian Marine conservation Society.
Fin 2023, un avis scientifique au gouvernement, rendu public en vertu de la loi sur la liberté de l’information, relevait que les élevages de saumon « ont un impact significatif sur les raies maugéennes, accroissent le risque de leur extinction » et appelait, a minima, à réexaminer les autorisations d’exploitation accordées aux opérateurs dans cette région.
Mais le 24 mars, le gouvernement travailliste a au contraire adopté une loi excluant la salmoniculture du contrôle du ministère de l’Environnement, au nom de la défense de l’emploi.
Bob Brown, ancien député et pionnier du mouvement écologiste en Australie, ne décolère pas. Il estime qu’il aurait été possible de cesser cette activité dans la baie au vu de sa production limitée, d’autant que selon lui, dans la zone naturelle de Tasmanie, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, « le tourisme crée bien plus d’emplois que les fermes de saumon ».
« Il y a un vent de colère et de détresse que je n’avais pas vu depuis des décennies et qui s’intensifie », assure-t-il à l’AFP alors qu’approchent les élections fédérales en Australie, prévues le 3 mai.
Dans les quatre circonscriptions de Tasmanie, des candidats indépendants et des Verts font campagne face aux grands partis, sur la promesse notamment de mettre un terme à la salmoniculture en pleine mer.
« Beaucoup de jeunes s’engagent, c’est très encourageant », poursuit Bob Brown. « Je crois que le vote contre les travaillistes et les conservateurs va battre des records ».