C’est la Guyane qui concentre la hausse la plus spectaculaire, avec 125% de défaillances en plus. Un « constat inquiétant », selon Jean-Charles Aubert, greffier au tribunal de commerce de Cayenne.
Ces chiffres témoignent d’une « situation économique fragilisée », estime Me Aubert, qui constate une « augmentation d’assignations entre commerçants et de demandes d’ouverture de procédures par les entrepreneurs ». Dans la moitié des dossiers, il évoque la concurrence déloyale du secteur informel et des difficultés liées aux délais de paiement des débiteurs publics.
Ces retards, également dénoncés par la Fédération régionale du BTP, se cumulent à une « chute du volume de la commande publique depuis deux ans », pointe son président Emmanuel Bazin de Jessey. « Or, les entreprises du BTP sont largement dépendantes de la commande publique, notamment de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), qui représente 50% de cette commande ».
En février 2024, la CTG a pourtant adopté une programmation pluriannuelle d’investissements (PPI) de 1,3 milliard d’euros sur quatre ans. « Les montants sont faramineux, mais pour l’instant, aucun chantier n’est engagé », tance Emmanuel Bazin de Jessey.
Le diagnostic est partagé par l’Ordre des architectes de Guyane: « Aucun concours d’architecture, ni projet structurant, n’a été lancé depuis le début de cette mandature », déplore son président André Barrat.
« Même si des concours sont lancés maintenant, il faudra trois ans avant que cela ne se concrétise en chantier… On ne voit rien venir », déplore cette source, qui décrit une filière « sur un fil ».
Les bailleurs sociaux ont réduit la voilure et une opération d’intérêt national, lancée en 2016 pour quadrupler la construction de logements, accumule plusieurs années de retard, a relevé la Cour des comptes début septembre.
« Alors que nous devons encore rembourser les prêts garantis par l’État de la période Covid (…), nous allons droit dans le mur », alerte Emmanuel Bazin de Jessey.
– « Morosité » en Guadeloupe –
En Guadeloupe aussi, les défaillances d’entreprises sont légion: +28,5% de procédures, portées notamment par l’hôtellerie-restauration. « Sur les marinas, l’heure est à la morosité », constate Catherine Cadrot, présidente de l’Union des métiers de l’industrie hôtelière (Umih).
Elle y voit l’effet combiné de la hausse du coût de la vie, des charges et du prix des billets d’avion. « Notre économie est portée par le tourisme: l’évolution des prix grève le budget de nos visiteurs », juge-t-elle, constatant qu’il est devenu « difficile d’aller manger au restaurant pour moins de 80 euros à deux ».
Les restaurateurs subissent aussi la concurrence des « food trucks » et enseignes de snacking, qui « fleurissent un peu partout » avec « beaucoup moins de charges », juge l’Umih.
« Ce sont les charges qui ont plombé mon restaurant », confirme Eric Sellem, ex-patron de Ja’ri Beach, liquidé en juin.
En Martinique, c’est le Cobaty – association professionnelle du secteur – qui a sonné l’alarme début septembre: à une audience du tribunal de commerce, 24 des 50 entreprises liquidées relevaient du BTP.
Dans l’océan Indien, La Réunion limite la casse (+3%), tandis qu’à Mayotte les procédures reculent même de 17%, selon l’Iedom.
À ces facteurs conjoncturels s’ajoute une incertitude politique: le débat sur les exonérations de charges spécifiques aux outre-mer (Lodéom). Dans ses pistes d’économies avant son départ de Matignon, François Bayrou avait proposé de réduire de 350 millions d’euros ce dispositif dont bénéficient 50.000 entreprises pour un coût estimé d’1,5 milliard d’euros.
Fin septembre, le député socialiste guadeloupéen Christian Baptiste a plaidé en commission des Finances pour une réforme de ce mécanisme jugé complexe et peu lisible, tout en rejetant toute coupe budgétaire.
« Ce serait inacceptable pour notre tissu économique et catastrophique pour les petites entreprises », a-t-il résumé dans un courrier au Premier ministre Sébastien Lecornu.