Nodens : du vent dans les voiles, du whisky en cale (entretien avec Tristan Botcazou)

La devise de Nodens pourrait être « Fluctuat Nec Mergitur ». A peine lancée, cette nouvelle entreprise bretonne de whisky transporté à la voile fait face à un premier défi de taille : le capitaine du Corentin, bateau qui devait aller chercher les fûts en Irlande, annonce qu’il ne partira pas, pour des raisons personnelles. Après un mois de travail acharné pour trouver une solution, Tristan Botcazou, le fondateur qui a répondu à nos questions, va quand même proposer à la vente son whisky, mais embouteillé dans la verte Erin, et repousse à 2026 sa première traversée à la voile, sur un autre bateau. En parallèle, le chantier de restauration de l’Audiernais devrait permettre à Nodens d’avoir son propre bateau dès 2027.

Propos recueillis par Stéphane GAUDIN

L’Audiernais.

***

Pouvez-vous expliquer la démarche de NODENS en matière de transport durable du whisky irlandais et les avantages environnementaux liés à l’utilisation d’un voilier plutôt que d’une méthode conventionnelle ?

En repositionnant des navires du patrimoine classés Monuments Historiques vers des destinations en  adéquation avec  leurs spécificités techniques et leur identité celtique, comme le signifie le nom de l’entreprise (Nodens est le dieu celte de la mer et de la guérison), nous nous saisissons de notre héritage culturel, de notre patrimoine commun de notre terroir et de ses savoirs faires ancestraux.

Et parallèlement, concernant la préservation de l’environnement et des océans nous sommes à 100% dans l’innovation Low Tech. Oxymore ? En tout cas nous cochons toutes les cases de cette dernière (sobriété, efficience, pérennité, maintenabilité, accessibilité, autonomisation, empouvoirement, reliance, simplification). Avec un impact sur l’environnement remarquable car nos navires sont des petits puits de carbone (quelques dizaines de tonnes de bois) qui contribuent à la décarbonation du transport de marchandises. Une prouesse !

Pas de pollution liée à sa déconstruction de nos navires car toutes ses pièces sont remplaçables. Encore la sobriété.

Utilisation par nos vieux moteurs d’huile de friture ou du diester pour les manœuvres de port. Ce qui réduit considérablement nos émissions de carbone circulaire et nous ramène aux émissions de CO2 des machines agricoles qui produisent ces huiles, dans la mesure où elles utilisent du GO.

Ensuite, nous simplifions les chaînes logistiques : aujourd’hui, un whisky irlandais est transporté par camion, puis bateau, puis camion jusqu’à sa plateforme logistique française. Avec Nodens, nous irons chercher au plus près des distilleries (1-2km d’un port), puis ramènerons le whisky à quelques encablures de notre entrepôt d’embouteillage/stockage. Quasiment aucune pollution, un trajet direct, efficace.

Comment mesurez-vous l’impact carbone du transport à la voile par rapport aux autres modes de transport utilisés dans votre secteur ?

Nous remplaçons et simplifions à l’extrême des chaînes logistiques complexes. Exemple de produits cultivés ou produits dans un lieu difficile d’accès et qui nécessitent plusieurs modes de transport pour atteindre leur destination finale (certaines épices). Exemple aussi de la production insulaire de whisky (la légendaire île d’Islay) devant d’abord circuler en camion sur l’île, puis prendre une barge, puis reprendre la route jusqu’à Plymouth, puis prendre le ferry pour reprendre la route jusqu’à une plateforme logistique où pour la dernière fois, il reprendra la route vers son acheteur final. Nous proposons de prendre les marchandises insulaires à quai devant le lieu de production et de les transporter à la voile jusqu’à notre plateforme de Port Launay.

Nous renouons et actualisons le cabotage à la voile en nous substituant au transport routier ce qui en termes d’impacts sur les émissions de CO2 est bien plus intéressant et considérable que de le faire face à des porte-conteneurs sur du long-cours:

Exemple : Pour transporter une tonne sur un kilomètre un camion émettra 90g de CO2, un porte-conteneur 3g, un navire de l’armement TOWT 0.18g et nos navires 0.09g.

  • Economie de CO2 par T/km entre notre navire et un camion 89.91g.
  • Economie de CO2 par T/km entre un navire de l’armement TOWT (à voile) et un porte conteneur 2.82g.

Rapporté aux capacités de charge des navires : Notre plus petit navire qui a une capacité de transport de 30T ferait réaliser une économie d’émission de CO2 d’environ 2.7 Kg/KM parcourus. Ce qui illustre parfaitement l’intérêt de notre démarche et son impact environnemental. Le plus gros de nos navires peut charger 100T. Un navire avec les cales chargées à bloc naviguant 8 mois sur 12 aura un impact carbone considérable.

Quelles sont les principales caractéristiques de votre voilier breton ? Peut-on parler d’une restauration patrimoniale ou d’une construction originale ?

Nous utiliserons exclusivement des bateaux du patrimoine classé ou protégé, comme mentionné plus haut. Car ils ont des caractéristiques techniques uniques qui leur donnent la possibilité de se rendre au plus près des sites de production, puis ensuite de les acheminer au plus près des sites de consommation. Cela vient de l’époque où ils ont été conçus. A cette époque, peu de route carrossable et pas de réseau ferré. Les marchandises arrivent dans les grands ports et sont dispersées dans les petits ports côtiers grâce à ces petits cargos à voile. Là, il charge les productions locales pour les acheminer dans les grands ports ou chargées dans les grands cargos, elles sont exportées.

Nos navires pourront emporter de 30 à 100 tonnes. Le plus grand mesure 22 m et le plus petit 17.50. Ils datent respectivement de 1936 pour L’Audiernais, de 1950 pour Fleur de Mai et de 1958 pour Fée de l’Aulne. Ils sont en chêne massif et leur motorisation est évidemment issue des ateliers Baudouin de la série DK ou DNK . Leur voilure est celle de sloup à tape-cul ou celle d’un dundee en fonction de l’implantation de l’artimon. Ont tous des anciennes voiles avec patte à cosse et ralinguage à la main. Tous les éléments qui constituent le navire sont issus de l’artisanat.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées dans ce projet ?

Elles ont été nombreuses et notamment de redonner une image moderne et dynamique à ces bateaux, tout en conservant celle de monuments authentiques, traditionnels et historiques. La recherche d’investisseurs qui saisissent tout le potentiel de notre concept et qui désirent s’engager à nos côtés dans un projet à la fois commercial, écologique, culturel et équitable.

  • Trouver un armateur qui accepte de nous louer son navire traditionnel, avec ou sans équipage
  • Trouver un whisky qui correspond à notre concept, à la fois moderne et traditionnel, aux qualités exceptionnelles qui font chavirer nos clients.
  • Trouver une distillerie bord à quai dans un port écossais ou irlandais qui produit un  whisky de grande qualité et qui, en plus, accepte de le vendre à une société naissante comme la nôtre.

Comprendre le fonctionnement du marché du whisky avec ses réglementations administratives pays par pays, ses exclusivités, ses mœurs et ses coutumes centenaires.

Ce type de transport impose-t-il des conditions spécifiques de stockage ou de conservation pour les whiskys durant le trajet en mer ?

Oui, le nombre de fûts en cale et sur le pont est limité, ce qui n’est pas le cas des palettes de bouteilles. Mais la bonne nouvelle, c’est que le whisky va se bonifier en mer, et c’est un atout que nous allons mettre en avant. L’expérience avait déjà été concluante avec du rhum ramené des Antilles à la voile par une autre compagnie.

En quoi le projet NODENS contribue-t-il à la sauvegarde du patrimoine maritime breton ?

Actuellement, ce n’est pas moins d’une quinzaine de navires protégés que nous risquons de ne plus jamais revoir sous voile au large de nos côtes. Et pourtant, la crise économique que nous traversons est loin d’avoir atteint son paroxysme. 

Notre idée est simple, nous voulons poser les bases d’un nouveau modèle économique pour ces navires et démontrer que l’on peut parvenir à une autonomie financière réelle. Pour cela, nous avons créé un écosystème constitué d’associations et d’entreprises afin de répartir les missions et établir les complémentarités

A notre niveau nous allons tenter d’en sauver entre 3 et 5 et apporter notre retour d’expérience aux structures qui souhaiteraient suivre notre voix.

Quel rôle joue la transmission des savoir-faire maritimes dans votre démarche ? Travaillez-vous avec des associations ou des experts en patrimoine naval ?

Elle est fondamentale car c’est bien notre volonté de transmettre cette héritage qui nous a fait imaginer ce concept. Cette transmission est matérielle, mais également immatérielle. Chaque intervention sur ce type de navire est un témoignage des savoirs faires de nos aïeux et d’une époque. Nous travaillons avec tout l’éco-système du patrimoine maritime breton.

Comment la population locale et les acteurs du secteur maritime perçoivent-ils votre initiative ? Observez-vous une évolution de l’intérêt pour la culture maritime grâce à ce projet ?

La population locale est bien évident très satisfaite de savoir qu’un élément de leur histoire proche va perdurer dans les années qui viennent et qui plus est créer de la richesse. Pour les acteurs du patrimoine maritime c’est plus contrasté. Vous avez une première partie qui est emballée et nous assure de leur total soutien. Vous avez une seconde partie qui vous scrute avec attention et qui embrayera si les résultats sont à la hauteur de leur espérance.

Et enfin ceux qui survivent sur le modèle économique actuel (subventions/mécénat) et qui, malgré la situation financière de notre pays, ne voient pas l’ouragan qui s’annonce et, par voie de conséquence, la nécessité d’organiser des réformes profondes pour pérenniser ce patrimoine d’exception. Leur réaction est souvent incohérente et leurs propos déplacés voire agressifs. Mais nous n’avons pas de temps à perdre en querelle stérile et d’arrière-garde et allons de l’avant pour une mission qui œuvre pour le bien commun.

La traversée à la voile apporte-t-elle une plus-value à l’histoire du produit ? Comment cette aventure marine se reflète-t-elle dans l’image et la communication de la marque NODENS ?

C’est le cœur du projet ! Que l’imaginaire suscité par nos navires et les bienfaits qu’engendre le transport à la voile bénéficie à la notoriété du produit.

Nodens s’engage sur trois promesses :

  • La substitution quand cela est possible du transport routier par un transport maritime vélique et donc un effondrement spectaculaire de l’empreinte carbone des produits transportés.
  • Le recyclage et la pérennisation d’anciens navires de charge devenus « Monuments Historiques » qui ne demandent qu’à naviguer, à embellir le paysage et à transporter un maximum de marchandises.
  • Des produits d’exception. Nous avons trouvé une perle rare, la distillerie Boann, inconnue ou presque en France, qui propose un whisky remarquable. C’était important pour nous de ne proposer que des produits d’excellence.

Comment abordez-vous la sensibilisation du public aux enjeux du transport durable à travers votre projet et votre produit ?

Notre maître mot en la circonstance est « sobriété ». Nous avons bien conscience d’être à rebours de la société consumériste actuelle, bien que les choses soient en train de changer progressivement. Nodens est la parfaite illustration de ce concept (voir la réponse à la première question).

Nous communiquons de manière quasi-transparente sur notre activité via mon compte LinkedIn, et c’est assez apprécié par la communauté. On montre que l’entrepreneuriat peut changer les choses, à son échelle.

Concernant les produits distribués et/ou transportés, ils bénéficient d’une double image positive qui peut s’adresser à trois clientèles. L’une très attentive à la santé des océans et de la planète et qui souhaite écrire l’avenir,  une autre plus sensible aux patrimoines et aux témoignages que laisse derrière elle l’humanité et enfin la troisième qui fait la synthèse des deux premières.

Quel message souhaitez-vous transmettre à travers votre expérience à destination des professionnels du secteur maritime et du public de Marine & Océans ?

Que nous nous efforçons de transmettre l’héritage et les témoignages des marins qui nous ont précédés grâce à un projet contemporain. Un trait d’union entre notre passé et notre avenir. Que si ce projet rencontre son public et nos produits sa clientèle nous pourrions pérenniser de 3 à 5 Monuments Historiques. Et avec cette flotte, transporter par an des milliers de tonnes de marchandises, pour des projets commerciaux ou humanitaires. La marine marchande voit un souffle entrepreneurial nouveau depuis quelques années, et je vous remercie de nous donner l’occasion d’en parler au public de Marine & Océans.


Visiter le site WHISKY-NODENS.FR

 

 

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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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