Un « Thanksgiving » un peu… électrique au Pôle Sud

Par Eric Chevreuil, 
Français de Los Angeles en mission sur une base américaine en Antarctique.
 
***

Pour nous, Thanksgiving tombe le samedi. Le premier Thanksgiving daterait de 1621. C’était un festival des moissons réunissant les Anglais, les coloniaux et les Indiens Wampanoag. Ils célébraient une bonne récolte ensemble, autour d’un repas. Le terme « Thanksgiving » arriva plus tard et le président Lincoln en fit un jour férié en 1863.  

Aujourd’hui, Thanksgiving représente un jour de gratitude, de réunion, de générosité. Elle est célébrée en famille avec un repas traditionnel, souvent devant un match de football américain à la télé. La dinde est la victime de cette célébration, et trop souvent seules celles de la Maison Blanche sont épargnées par le président en activité… Pour les autres, pas de quartiers : des tranches fines et des pilons épais !  

Nous avons le week-end, deux jours de récupération. Thanksgiving est une célébration culturelle ancrée dans les mœurs américaines. C’est une fête de famille, si possible à la maison, autour d’un repas traditionnel : de la dinde bien sûr, mais aussi de la purée, des haricots verts et de la tarte à la courge – pumpkin pie – ou aux noix.  

Je suis en Antarctique. Mon épouse est chez une amie d’enfance à Los Angeles. Lynda prend Thanksgiving très au sérieux et sa table est impressionnante. Mon fils, lui, le célébrera en même temps que moi mais à la station McMurdo, population 980. Ma fille et son mari iront chez ses parents. Bien sûr, nous avons le week-end mais le sous-marin des glaces continue de fonctionner. Le volontariat est à la base de notre culture.  

Pour le repas, la population a été divisée en deux services. Si on ne mange pas, on aide à la mise en place ou au démontage, au service ou à la vaisselle, ou bien on remplace le personnel de quart au centre des communications ou à la centrale électrique. 

Je suis du premier service et nous entamons un Happy Hour dans la coursive. Un genre de sangria, avec toutes sortes d’amuse-gueules. Je n’ai jamais vu autant de monde dans un couloir. Certains sont venus en costume trois pièces en vue des célébrations à venir (Noël et Jour de l’An). Tout le monde a fait un effort et je peux observer aujourd’hui une différence certaine avec nos journées normales.  

À table ! On abandonne l’apéritif pour découvrir la salle à manger superbement décorée. Nos écrans télé, d’habitude dédiés aux informations, projettent un magnifique feu de bois. Les fenêtres ont été occultées et nous mangerons dans une intimité presque nocturne !  

C’est un buffet et les tables se lèvent et se servent à tour de rôle, pendant que des volontaires offrent vin blanc ou rouge. Francis, le chef, et son équipe ont mis les petits plats dans les grands : c’est un festin. Le deuxième service attaque le « Happy Hour » dans le couloir et nous finissons le repas. Des volontaires nettoient tout en un tour de main et les festivités reprennent.  

Je suis volontaire pour le grand nettoyage de vingt heures. En trente minutes, la salle a repris son allure normale et il semble que la célébration n’a été qu’un rêve. Prochain rendez-vous : Noël !  

De permanence à la station électrique

Le lendemain, Dimanche, de 12:00 à 14:00, j’ai assuré la permanence à la station électrique. Au Pôle Sud, notre survie dépend d’une station électrique installée sous la glace. Au cœur de ce système, nous trouvons le carburant AN 8, un dérivé du kérosène qui reste fluide et brûle correctement dans le grand froid (son point de congélation est de –72 °C). Son acheminement au Pôle est complexe. Par avion LC 130, la méthode est coûteuse et inefficace car l’appareil en consomme presque autant qu’il n’en transporte. Par convoi terrestre (SPoT : South Pole Overland Traverse), l’affaire est plus rentable puisqu’ils arrivent à emporter en trois fois les 450 000 gallons nécessaires à notre fonctionnement (1,703,435 litres). Une fois arrivé, l’AN 8 est stocké dans le Fuel Arch, la galerie enterrée contenant nos réservoirs de stockage, et dans des réserves d’urgence dispersées autour de la station.  

La production d’électricité est assurée à la centrale principale. Celle-ci est équipée de trois moteurs Caterpillar 3512B couplés à des générateurs de 750 kW chacun. Un fonctionne en continu, un autre reste en veille et le troisième est en maintenance. Cette redondance est vitale… et rassurante. En cas de défaillance majeure, une centrale d’urgence (EPP Emergency Power Plant) prend immédiatement le relais avec ses deux générateurs de 250 kW chacun, installés dans le « Lifeboat », une aile protégée du bâtiment capable de fonctionner de manière autonome. 

Mais ces générateurs ne produisent pas seulement de l’électricité : ils dégagent une grande quantité de chaleur résiduelle qui est récupérée par des échangeurs thermiques. Ceux-ci la transfèrent dans un mélange d’eau et de glycol. Ce circuit de glycol circule à travers la station et alimente les radiateurs et unités de chauffage dans les zones de vie, les laboratoires et les infrastructures critiques. La centrale d’urgence est elle aussi reliée à ce réseau, garantissant que le « Lifeboat » reste habitable en toutes circonstances.  

En plus de la génération de l’électricité et du chauffage, la station contient aussi le système de pompage et de filtration de l’eau. Tout est donc centralisé derrière une grosse porte métallique, au milieu de ce tunnel qui relie les arches à la station élevée. À l’intérieur, on n’a pas l’impression d’être au Pôle Sud, sous la glace. C’est une station électrique normale qui pourrait aussi bien être dans un coin de ma ville de Folsom, en Californie. J’y suis pour deux heures, avec pour mission d’en faire le tour et d’enregistrer l’affichage d’une trentaine de jauges de températures, de pressions et de quantités diverses. C’est un vrai parcours d’obstacles. Il y a des tuyaux partout et les jauges jouent cache-cache avec moi… Il me faudra plus d’une heure pour tout trouver et tout enregistrer. Il est temps maintenant de finir mon week-end !  

Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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