Siphonnage de pétrole à bord de cargos détournés, pêche illicite, trafics en tous genres : la zone côtière s’étendant du Sénégal à l’Angola a volé la vedette au golfe d’Aden, où le phénomène, un temps spectaculaire, a quasiment disparu devant le déploiement d’une armada militaire internationale.
Sur les neuf premiers mois de 2014, le golfe de Guinée est resté le champion africain de la piraterie, avec 33 attaques recensées – en recul toutefois par rapport à la même période de 2013 (47) – contre 10 au large de la Somalie, selon le Bureau maritime international (BMI), nombre de cas, non déclarés, passant toutefois à travers les mailles du filet.
Les pirates opérant au large du Nigeria, du Togo ou du Bénin sont généralement bien armés et violents, constate le BMI. Ils détournent parfois les navires pendant plusieurs jours, le temps de piller les soutes, et brutalisent les équipages, de moins en moins enclins à naviguer dans ces eaux.
« Dans le golfe de Guinée, la recrudescence de la piraterie a atteint une dimension inquiétante », a reconnu lundi le président nigérian Goodluck Jonathan au sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à Abuja, capitale du Nigeria, soulignant les phénomènes corollaires de « trafic de drogue, siphonnage de pétrole et trafic d’êtres humains ».
Menacés dans leur réputation et leur économie – les recettes maritimes représentent jusqu’à 20% des budgets nationaux – les Etats riverains ont décidé en juin 2013 à Yaoundé de créer un centre de coordination interrégional contre la piraterie et des centres régionaux le long de la côte.
« Les 24 chefs d’Etat présents à Yaoundé ne sont pas venus pour se balader. L’action est là, on n’est plus au stade des incantations », a estimé lundi le ministre camerounais des Affaires étrangères, Pierre Moukoko Mbonjo, lors d’un premier Forum sur la sécurité en Afrique organisé à Dakar.
Les centres créés depuis manquent toutefois encore d’ordinateurs, d’imagerie, les marines nationales de patrouilleurs et vedettes rapides, et et le dialogue interrégional n’est pas toujours au rendez-vous. Marines, polices maritimes et garde-côte se regardent en outre souvent en chiens de faïence.
– Connexions politiques –
« Au niveau des Etats, vous avez une multitude de services qui se marchent dessus. Chaque agence essaie d’avoir des prérogatives qui ne relèvent même pas de ses compétences », a déploré le chef d’état-major de la Marine sénégalaise, l’amiral Bara Cissokho, à ce même forum.
Les pays riverains ont parfois d’importants contentieux frontaliers, notamment pour le contrôle de champs pétroliers offshore.
« Comment le Ghana et la Côte d’Ivoire peuvent-ils organiser des patrouilles conjointes si la délimitation de leur frontière n’est pas finalisée ? », s’interroge Barthélémy Blédé, chercheur en sécurité maritime à l’Institute for Strategic Studies (ISS) de Dakar.
Le financement « tarde en outre à se dessiner et l’aide extérieure demeure limitée », déplore M. Blédé, regrettant aussi l’hostilité des armateurs à de nouvelles taxes sur les navires.
Pour tous les experts réunis à Dakar, le Nigeria reste en outre une grande ombre au tableau, le gros des attaques intervenant face à ses côtes.
« Les pirates qui essaiment dans toute la région viennent d’un Etat en particulier et créent des succursales dans les autres Etats », analyse Véronique Roger-Lacan, Représentante spéciale de la France pour la lutte contre la piraterie maritime.
Les ramifications sont parfois inattendues.
« Depuis le mois d’octobre, des attaques dans les eaux nigérianes suggèrent que la piraterie pourrait être utilisée pour financer des activités politiques. Les attaques sont devenues plus fréquentes et plus violentes à l’approche de l’élection présidentielle de février 2015 », constate M. Blédé.
A côté, le Golfe d’Aden passerait presque pour un havre de paix. « Tous les services spécialisés disent toutefois qu’à partir du moment où les marines se retireront, les commanditaires de la piraterie reprendront leurs activités », prévient Mme Roger-Lacan.