Les témoignages comme celui de Pierre (prénom d’emprunt), l’infirmier du CHM, se multiplient dans l’archipel de l’océan Indien, le département le plus pauvre de France, dont la population est estimée par l’Insee à quelque 320.000 habitants.
Le soignant raconte l’appel passé concernant un homme en arrêt cardiaque. A défaut de pouvoir mobiliser une équipe hospitalière, « ce sont les pompiers qui y sont allés. Ils l’ont +choqué+ quatre fois. Je pense qu’on aurait pu le sauver. Mais le monsieur est décédé », déplore l’infirmier.
Le service des urgences tourne notamment avec 5 médecins pour 37 postes d’urgentistes hospitaliers.
Conséquence: « des décès » qui « pourraient être évités », assure un médecin dénonçant, sous couvert d’anonymat, « des retards de prise en charge à tous les niveaux ».
L’épidémie de choléra qui sévit sur le territoire depuis fin mars, avec 122 cas recensés, a encore tendu la situation. Le 25 mai, la maladie a fait une deuxième victime à Mayotte, une femme de 62 ans habitant Mamoudzou, la « capitale » mahoraise. Ce décès, là aussi, « aurait pu être évité », affirme Pierre, l’infirmier.
Le directeur général du CHM, Jean-Mathieu Defour, précise que la patiente s’était « présentée aux urgences la veille » de sa mort mais qu’elle avait été « renvoyée chez elle parce que son état, à ce moment-là, n’entrait pas dans les critères » de prise en charge.
Comme c’est la règle en cas de complication inattendue, une « revue de mortalité et de morbidité » (analyse des faits) a été lancée. Ses « résultats ne sont pas encore connus », selon le directeur.
– « Mode dégradé » –
« Le service des urgences fonctionne en mode dégradé », reconnaît le patron du CHM, qui a enclenché un plan blanc il y a un an et demi. « On arrête les activités non urgentes et certaines consultations pour recentrer les ressources médicales et paramédicales », précise-t-il.
Pour accueillir les cas de choléra et créer un espace dédié, le centre hospitalier a dû fermer son unité d’hospitalisation de courte durée. « Cela met encore plus les urgences sous pression puisqu’il n’y a plus de sas avec les autres services », poursuit Jean-Mathieu Defour.
Les cas les moins urgents sont dirigés vers les centres médicaux périphériques, situés aux quatre coins de l’île.
Mais les conditions de prise en charge n’y sont pas les mêmes qu’à l’hôpital.
« Il n’y a aucun urgentiste dans les dispensaires, seulement des médecins généralistes. Et parfois les patients y sont maintenus jusqu’au petit matin alors que leur état de santé se dégrade », relate le médecin du CHM.
Depuis un mois, le service des urgences enregistre près de deux fois moins d’admissions que d’ordinaire. Or « on sait très bien qu’il y a de la casse à l’extérieur », poursuit le patricien.
Et faute de personnel, les appels au 15 sont régulièrement transférés à La Réunion.
Le directeur concède que « la situation est compliquée », même si l’hôpital est en « capacité » de « prendre en charge les patients se présentant aux urgences », assure le CHM dans un message publié mercredi sur les réseaux sociaux.
« En métropole, on voit des services d’urgences fermer. Ici c’est impossible puisqu’on ne ne peut pas envoyer les patients à 50 kilomètres… », fait valoir Jean-Mathieu Defour. Alors les urgences de Mamoudzou restent ouvertes, quand bien même le personnel manque. « Mayotte est un territoire en crise permanente, ce n’est pas du tout attractif », souligne le directeur.
Si les difficultés de recrutement persistent, c’est aussi à cause d’un problème de « management », pointe pour sa part Benoît (prénom modifié), un autre infirmier du CHM. « Il n’y a aucune organisation. On nous dit tout et son contraire. Ça a poussé près de 20 personnes à partir ces derniers mois », calcule-t-il.
Dans ces conditions, des soignants songent à exercer leur droit de retrait, affirme le même infirmier. « Tout le monde est dégoûté. On nous maltraite et on est en train de maltraiter les patients, parce qu’on n’a pas le choix. »