Gérard C., chef de site, et Alain Y., chef de projet sur les contrats des sous-marins Agosta 90B, sont soupçonnés d’avoir sous-estimé les menaces qui pesaient sur les salariés de l’entreprise et ont également été mis en examen pour des blessures involontaires, selon cette source confirmant une information du Monde vendredi.
Le 8 mai 2002, l’explosion d’un bus transportant des salariés de la Direction des constructions navales internationales (DCNI) à Karachi faisait quinze morts, dont onze Français.
– Protocole « inadapté » –
Selon les juges d’instruction antiterroriste parisiens, Gérard C. aurait mis en place un protocole de sécurité « inadapté », notamment lors des déplacements entre le lieu de résidence et le chantier de construction des sous-marins, permettant d’identifier aisément les personnels et leurs itinéraires.
Son supérieur Alain Y. aurait « validé » ce protocole.
Ils auraient ainsi « sous-évalué » les risques d’attaques envers les salariés présents sur le site, alors que le contexte sécuritaire dans la région était particulièrement « dégradé » depuis les attentats du 11 septembre 2001 avec la multiplication d’attaques ciblant les étrangers ou les intérêts étrangers.
Selon Me Marie Dosé, avocate de parties civiles interrogée par l’AFP, « ces mises en examen étaient attendues de longue date par (ses) clients, qui sont à l’initiative de la plainte déposée il y a plus de 10 ans contre DCN ».
« Les manquements criants aux obligations de sécurité qui incombaient à l’employeur ont facilité l’attentat : il était temps que la justice acte enfin cette réalité. »
Lors d’une réunion en avril, les trois magistrats saisis de l’information judiciaire avaient informé les parties civiles des actes accomplis tant sur le volet proprement terroriste que sur celui des manquements en matière de sécurité à l’époque.
– Demande de déclassification –
« Nous sommes en présence de tournants importants dans ce dossier et ce d’autant plus qu’à la suite d’une demande de déclassification de notre part, les magistrats instructeurs ont saisi jeudi directement le président de la République Emmanuel Macron afin de permettre enfin la levée des obstacles à la manifestation de la vérité », a réagi auprès de l’AFP Me Olivier Morice, qui défend six familles de victimes.
« Les familles attendent 20 ans après cette tragédie que le chef de l’Etat réponde favorablement à la requête des juges » pour avoir accès aux documents jusqu’ici classés secret défense, a-t-il ajouté.
Après deux décennies, cet attentat n’a pas été élucidé et deux thèses s’affrontent.
L’attentat semble avoir été minutieusement préparé avec des moyens sophistiqués. Et la piste d’Al-Qaïda, qui n’a pourtant pas revendiqué l’attentat mais l’a approuvé, s’imposait pour le premier magistrat antiterroriste saisi des faits, Jean-Louis Bruguière.
A partir de 2009, l’enquête de son successeur Marc Trevidic s’est orientée vers l’hypothèse de représailles pakistanaises après l’arrêt des versements de commissions dans le cadre d’un contrat d’armement.
Le volet financier de cette affaire a pour sa part déjà été jugé.
Six personnes ont été condamnées en juin 2020 à Paris à des peines allant de deux ans à cinq ans de prison ferme pour avoir participé à un système de commissions occultes sur des contrats d’armement avec l’Arabie saoudite et le Pakistan qui aurait contribué à financer la campagne présidentielle malheureuse d’Edouard Balladur en 1995. Le procès en appel doit avoir lieu en 2023.
Jugés pour leur part devant la Cour de justice de la République, l’ex-Premier ministre Edouard Balladur a été relaxé en mars 2021 tandis que son ancien ministre de la Défense, François Léotard, a été condamné à deux ans de prison avec sursis.