Le président américain a déployé un important dispositif militaire dans les Caraïbes depuis le mois d’aout, officiellement pour une opération antidrogue, mais, à l’évidence, en arraisonnant mercredi le pétrolier, Trump touche au nerf de la guerre : la principale source de revenus du pouvoir vénézuélien, au budget déjà restreint.
Caracas vit depuis des années sous un régime de sanctions économiques et un embargo pétrolier depuis 2019, durci en 2025.
« Les sanctions ont leurs limites. Les pays sanctionnés s’adaptent au bout de quelques années, le Venezuela ne fait pas exception à la règle » rappelait récemment un économiste vénézuélien devant un parterre d’intellectuels à l’Université catholique de Caracas.
– Réserves et production
Le pouvoir vénézuélien parle de « vol éhonté » du pétrolier prouvant que « l’objectif (américain) a toujours été de s’emparer du pétrole vénézuélien ».
Le pays dispose des plus grandes réserves du monde avec 303.221 millions de barils, selon l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), devant l’Arabie saoudite (267.200 millions) et l’Iran.
Toutefois, des années de mauvaise gestion et de corruption ont fait chuter la production d’un pic plus de 3 millions de baril/jour (bj) à un bas historique de 350.000 bj. Le pouvoir a fait des efforts pour redresser la barre et atteindre 930.00 bj en 2025, selon l’Opep.
La plupart des analystes estiment qu’il sera difficile d’augmenter sensiblement la production à court terme, l’appareil nécessitant des investissement massifs, impossibles avec les sanctions.
Les progrès sont donc lents malgré l’arrivée d’acteurs chinois et russes.
– Bateaux fantômes
Sur le plan pratique, pour échapper à l’embargo, Caracas a recours à des « pétroliers fantômes » qui utilisent de nombreuses ruses, arborant parfois faux pavillons, éteignant leurs transpondeurs ou annonçant de fausses routes.
Toutefois, la circulation de ces bateaux est visible et tolérée, confient certains experts.
Le Skipper, arraisonné mercredi, faisait partie de cette flotte. Selon le site internet spécialisé MarineTraffic, il a été sanctionné par le Trésor américain en 2022 pour des liens présumés avec le Corps des gardiens de la révolution islamique iranien et le Hezbollah. L’Iran est un des grands alliés du Venezuela.
Selon certaines observateurs, le bateau battait pavillon guyanien, pays producteur de pétrole, voisin du Venezuela.
– Cryptomonnaies et nature
Quelque 5% de la production vénézuélienne va vers Cuba (où se rendait le Skipper) au titre d’accords entre les deux pays, Cuba payant en nature ou en services.
Les autres acheteurs de brut vénézuélien s’exposent aux sanctions américaines et le Venezuela est obligé de vendre sous le prix du marché, avec des rabais de 10% voire 20%.
On estime que la Chine achète 80% de la production vénézuélienne en passant par la Malaisie, autre producteur de pétrole qui sert en quelque sorte d’écran.
Pour éviter les sanctions, les échanges se font en cryptomonnaie, en stablecoins, principalement USDT.
Par ailleurs, Chevron, qui opère toujours avec une licence spéciale et représente quelque 10% de la production, n’a plus le droit de verser de l’argent à l’Etat vénézuélien et paye donc taxes et autres en pétrole brut.
Les conséquences sur l’économie vénézuélienne sont importantes. Le marché des changes s’est asséché de dollars. Sur 380 millions de dollars au premier semestre seuls 43 millions étaient de la cryptomonnaie. Au deuxième semestre, les stablecoins vont représenter 310 millions, soit plus de 80%.
Cette pénurie de dollars a créé un écart important entre le billet vert officiel et au noir dans une économie largement dollarisée. Une poussée inflationniste fait craindre un retour à l’hyperinflation.
– D’autres pétroliers ?
Avec cette « capture », Trump envoie « un message dur à Maduro, en lui disant +on peut continuer à saisir des bateaux+ », explique Elias Ferrer, de Orinoco Research.
Selon lui, la question est de savoir si l’arraisonnement du Skipper est un « coup de bluff » ou s’il annonce d’autres saisies. Avec la perte du Skipper, Caracas a perdu entre 50 et 75 millions de dollars, selon des estimations.
Pour Francisco Monaldi, du Baker Institute, si les saisies se généralisent « cela amènerait la flotte qui opère sur le marché noir à craindre de se rendre au Venezuela, de perdre ses navires. Cela augmenterait la prime de risque et donc les rabais (…) qui seraient très élevés. Des tankers décideraient aussi de ne plus aller au Venezuela ».
« Le double impact de rabais et de volumes exportés plus faibles pourrait alors avoir un effet très important » sur la vie économique, précise-t-il.
« S’il n’y a pas d’exportations pétrolières, cela va affecter le marché des changes, les importations du pays… Il peut y avoir une crise économique. Pas seulement une récession, mais aussi une pénurie de nourriture et de médicaments, parce qu’on ne peut pas importer », souligne M. Ferrer en référence au plus fort de la crise vénézuélienne (2016-2018) avec des magasins vides.
« Et c’est là qu’on verra jusqu’à quel point des pays comme la Chine, l’Iran, la Russie sont prêts à prendre des risques pour soutenir le Venezuela », ajoute-t-il.
Et de rappeler que « Maduro a survécu avec une production pétrolière de 300.000 barils et à une inflation d’un million pour cent ».




