En Ethiopie, confronté à un pompage massif, le lac Dembel meurt à petit feu

Ziway (Ethiopie), 12 juin 2025 (AFP) – Tout autour du lac Dembel, à 120 kilomètres d’Addis Abeba, un son revient en permanence : celui des groupes électrogènes reliés à des pompes qui aspirent son eau petit à petit, menaçant de l’assécher, illustration des défaillances dans la gestion de la précieuse ressource en Ethiopie.

Ces pompes ronronnantes irriguent des milliers de parcelles agricoles qui nourrissent des centaines de milliers de personnes autour du vaste lac de 255 km2. A trop puiser d’eau, elles mettent pourtant leur propre survie en danger.

« Si les choses continuent ainsi, le lac pourrait, à long terme, disparaître », sa profondeur étant passée à « environ 2 mètres », contre 4 en moyenne en 1990, s’inquiète Desalegn Regassa, un cadre de Wetlands International, une ONG militant pour la préservation de l’environnement.

Les pompes tournent « 24 heures sur 24 », sans aucune régulation, constate, dépité, M. Desalegn. « L’année dernière, nous en avons recensé 6.000, et il pourrait y en avoir davantage aujourd’hui », s’attriste-t-il.

Durant la visite de l’AFP, deux énormes camions citernes sont en outre venus remplir leurs cuves pour un projet d’autoroute à proximité.

Une bonne gestion de l’eau est pourtant essentielle pour l’Ethiopie, géant d’Afrique de l’Est d’environ 130 millions d’habitants, qui connait une forte croissance démographique.

Malgré des pluies plutôt abondantes dans le centre et l’est du pays, certaines régions, notamment dans le Sud-Ouest où vit la majorité de la population éthiopienne, sont régulièrement touchées par des sécheresses.

– « Encadrement politique médiocre » –

« Les défis liés à l’eau en Éthiopie ont été aggravés par un encadrement politique médiocre » ainsi que des « arrangements institutionnels inefficaces » pour la gestion de la ressource, pointe le Stockholm international water institute.

Et cette ONG suédoise travaillant sur la gouvernance de l’eau, active depuis des années dans le pays, de pointer des « exemples flagrants d’échecs » en la matière, avec notamment la disparition du lac Alemaya (à 500 km à l’est d’Addis Abeba) du fait, déjà, d’un pompage excessif.

Si l’agriculture assèche petit à petit le lac Dembel, elle est aussi responsable de la dégradation de la qualité de l’eau, à cause de l’utilisation de produits chimiques.

A quelques dizaines de mètres du lac, Habib Bobasso remplit un pulvérisateur qu’il met ensuite sur son dos. Le fermier de 35 ans actionne une petite pompe avant de répandre abondamment des pesticides sur sa petite parcelle d’oignons. Une odeur âcre s’en dégage.

« Il y a beaucoup de vers qui peuvent endommager les plantes », justifie l’homme à la fine moustache, qui ne porte pas de gants, hormis un châle qui lui cache le nez. Sans produits chimiques, « nous pourrions perdre l’intégralité de la récolte », affirme-t-il.

Mais M. Habib reconnaît que les pesticides et engrais sont « préjudiciables aussi bien pour les humains que pour le lac ».

Ils « dégradent également le sol. Aujourd’hui, la qualité de notre récolte n’est pas la même que les années précédentes » et les rendements sont « faibles », regrette-t-il.

– Faune extrêmement riche –

La dégradation de l’environnement touche également les pêcheurs, qui constatent une raréfaction de la ressource halieutique.

Dès l’aube, Belachew Derib prend place dans son petit bateau et pagaie plusieurs centaines de mètres pour remonter ses filets.

Et tous les jours, son constat est identique. Depuis trente ans, du fait du « nombre croissant d’activités sur les rives » et de l’augmentation de la population, les prises sont en diminution, observe ce pêcheur de 60 ans, casquette vissée sur la tête, qui exerce cette activité depuis 1988.

« Autrefois, nous pouvions attraper 20 à 30 poissons par jour. Aujourd’hui, les jeunes pêcheurs ont la chance d’en attraper deux ou trois », déplore le sexagénaire, à qui le lac a permis de « gagner (sa) vie toutes ces années », « construire (sa) maison » et « subvenir aux besoins de ses trois enfants ».

Face à cette situation, les autorités fédérales tentent de réagir. Une loi été votée en mai au Parlement éthiopien pour faire payer l’extraction de l’eau et doit encore être appliquée.

« L’objectif est de faire en sorte que tous les utilisateurs paient pour les ressources en eau, qu’ils les utilisent de manière responsable », explique Andualem Gezahegne, en charge à Batu, grande ville située près du lac, de l’administration du bassin de la vallée du Rift.

Tous les matins, avant que le cagnard ne frappe, de nombreux pêcheurs rament sur le lac pour remonter leurs filets, au milieu d’une faune extrêmement riche, où hippopotames cohabitent avec canards et autres marabouts, de grands oiseaux.

Et toujours, en permanence, le bruit des pompes.

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