Dans l’obscurité et le froid piquant de février, l’étrave du navire pulvérise la couche de glace séparant la Finlande de la Suède dans le golfe de Bothnie, épaisse par endroits de 50 centimètres.
Surpuissant, il déplace 10.000 tonnes, soit davantage que le poids de la Tour Eiffel.
« Avant, je pilotais des avions, mais ça ne me manque pas du tout. Ici, c’est comme conduire un vaisseau spatial! », s’amuse Valtteri Salokannel, le second capitaine du navire, un oeil sur les écrans où oscillent les images satellite de la couche de glace.
La superstructure vibre légèrement, mais le vacarme métallique de la glace fracassée par l’acier ne monte pas jusqu’au pont.
Construit en Finlande en 2016 pour 128 millions d’euros par le chantier naval Arctech Helsinki Shipyard, le Polaris est en fonction depuis janvier 2017 et accueille une quinzaine de membres d’équipage.
Le froid hivernal venu, il a pour mission de maintenir les voies de navigation accessibles aux cargos chargés d’acier, de produits chimiques, de bois et de papier « made in Finland ».
Pour le capitaine du navire Pasi Jarvelin, c’est le brise-glace le plus écologique au monde: « Nous ne rejetons rien en mer, ni eau de douche ni eaux usées – nous rapportons tout ça à terre. Et les hélices du bateau sont lubrifiées avec de la graisse biodégradable », déclare-t-il à l’AFP.
Il s’agit du premier brise-glace au monde à fonctionner au gaz naturel liquéfié (GNL), une alternative moins polluante que le diesel lourd qui alimente la plupart des grands navires.
« Le GNL est le carburant connu le plus propre que nous puissions utiliser » à ce jour, assure le commandant Jarvelin, faisant l’impasse sur l’épineuse question du nucléaire, mode de propulsion controversé de plusieurs navires russes.
– Enclave –
La glace blanche immaculée de la mer Baltique, presque entièrement enclavée par neuf pays, cache l’une des mers les plus polluées de la planète, selon les experts. Très peu d’eau neuve y circulant, les produits chimiques provenant de l’agriculture et des industries y restent emprisonnés jusqu’à atteindre des concentrations élevées.
Jusqu’à récemment, le Polaris utilisait du diesel faiblement soufré ou était alimenté en gaz naturel acheminé par camion.
Depuis février cependant, pour la première fois, le navire de 110 mètres a fait le plein de GNL au terminal de Manga, un dépôt construit au bout d’un port désolé et balayé par la neige à Tornio, situé dans le nord de la Finlande.
Le terminal a ouvert il y a 15 mois afin d’alimenter en gaz naturel une aciérie locale et d’autres industries voisines.
Le ravitaillement du Polaris a pris huit heures. Pendant l’opération, les ingénieurs n’ont pas quitté les écrans de contrôle des yeux, ajustant parfois le débit des vannes qui remplissent les deux vastes réservoirs du navire afin de corriger la pression et la distribution du carburant.
Bien que le GNL soit un combustible fossile et donc considéré comme non renouvelable, il est généralement jugé plus écologique que le charbon ou le pétrole, car il brûle plus efficacement et émet moins de carbone.
– Sauna –
« Seul brise-glace dans le monde à carburer au GNL », plus cher que les autres en termes d’investissement, le Polaris est aussi un peu plus fragile que les brise-glaces diesel, relève Pentti Kujala, spécialiste d’ingénierie marine à l’université d’Aalto.
« Les grandes variations de puissance nécessaires pour briser la glace peuvent mettre les moteurs GNL à l’épreuve », explique-t-il à l’AFP.
Le Polaris est équipé de pompes, de filtres et de barrages gonflables afin de réagir en cas de marée noire en eaux glacées.
Le risque élevé de pollution au pétrole s’explique en grande partie par la densité du trafic dans le sud de la mer Baltique, un corridor maritime parmi les plus fréquentés d’Europe.
La Finlande est le seul pays au monde dont tous les ports peuvent être pris par la glace en hiver – cela arrive d’ailleurs régulièrement -, rendant les brise-glaces indispensables.
Le pays a acquis un précieux savoir-faire en la matière et deux tiers des principaux brise-glaces en service dans le monde sortent de ses chantiers navals, selon l’opérateur public du Polaris, Arctia.
Mais contrairement au Polaris, tous ne sont pas équipés d’un… sauna. La fameuse étuve, sacrée en Finlande, permet de garder l’équipage au chaud pendant les vingt jours de rotation.
« En réalité, les officiers n’ont pas besoin de sortir très souvent », admet Valtteri Salokannel. « Mais je m’aventure parfois dehors, juste pour le plaisir, afin de respirer l’air et voir ce qui se passe ».
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