La Corée du Sud déclare la guerre à la pêche illicite chinoise

« La Corée du Nord, ce n’est rien comparé aux bateaux de pêche chinois », résume Choi Won-Jin, qui travaille dans les eaux riches en crabes de l’île de Daecheong depuis des décennies.

Daecheong est l’une des cinq îles situées dans la zone maritime sensible proche de la frontière avec la Corée du Nord. Des milliers de soldats sud-coréens sont déployés sur ces îles hérissées de pièces d’artillerie et d’abris anti-bombes.

Mais les armes ne peuvent rien contre ce que Choi Won-Jin qualifie d' »invasion », celle des chalutiers chinois qui menacent selon lui la survie des pêcheurs du cru.

D’après les estimations officielles, plus d’un millier de bateaux chinois se sont rendus illégalement dans les eaux territoriales sud-coréennes autour de Daecheong en 2014, où officient seulement quatre bâtiments de gardes-côtes.

– ‘Il ne reste plus rien’ –

Ces chiffres sont en constante augmentation. L’opulence croissante de la population en Chine et son appétit pour tout ce qui vient de la mer poussent ses pêcheurs à aller chercher le poisson au-delà de ses propres eaux dégarnies par la surpêche.

Pendant longtemps, les petits bateaux de bois chinois ont été tolérés car la priorité numéro un était de se prémunir d’éventuelles incursions nord-coréennes.

Mais ces embarcations ont cédé la place à de grands bâtiments d’acier qui pratiquent le chalutage de fond et « ramassent tout sur leur passage », dit Choi Won-Jin à l’AFP. « Une fois partis, il ne reste plus rien, pas même nos nasses. »

Environ 2.200 navires chinois ont été mis à l’amende pour pêche illégale au cours des quatre dernières années. Alors que deux pêcheurs chinois avaient été arrêtés en 2010, ils étaient 66 en 2013.

Les équipages chinois sont bien organisés, accuse le garde-côte Lee Kyung-Hak. Ils enchaînent fréquemment leurs bateaux les uns aux autres pour former des sortes « de grandes villes flottantes » dissuasives. Les équipages sont armés de couteaux. Parfois, des bouteilles de gaz enflammées sont lancées sur les gardes-côtes, ajoute-t-il. « On fait de notre mieux pour les repousser hors de notre territoire mais (….) leur nombre nous paraît parfois écrasant », dit-il à l’AFP.

D’après une étude publiée en 2014, 675.000 tonnes de produits de la mer d’une valeur totale de 1.300 milliards de wons (1,07 milliard d’euros) ont été prélevées illégalement par les pêcheurs chinois dans les eaux sud-coréennes en 2012.

« La situation s’est aggravée depuis », juge Lee Kwang-Nam, directeur de l’Institut des politiques de pêche de Séoul et auteur de l’étude. D’après lui, moins d’un pour cent des braconniers chinois sont pris.

– Gardes-côtes en sous-nombre –

« Nos ressources halieutiques sont assez bien préservées grâce à nos règles strictes (…) mais si cela continue, elles risquent d’être menacées », dit-il à l’AFP.

Sous pression, les autorités sud-coréennes affirment qu’elles vont sévir en ce début de saison de pêche. « L’année dernière, nous étions en sous-nombre, mais nous en avons assez », déclare Yun Byoung-Doo, chef des gardes-côtes d’Incheon, dont la juridiction s’étend aux îles frontalières de mer Jaune.

« Si nécessaire », les gardes-côtes n’hésiteront pas utiliser des armes à feu, prévient-il.

Le ministère chinois des Affaires étrangères, interrogé par l’AFP au sujet des menaces de Séoul, se borne à dire que la Corée du Sud doit « appliquer la loi de manière raisonnable et assurer la sécurité et les droits » des pêcheurs chinois. « La Chine continuera à renforcer l’éducation de ses pêcheurs », dit-il.

Depuis 2012, deux pêcheurs chinois ont été tués lors d’affrontements violents avec les gardes-côtes sud-coréens, suscitant l’ire de Pékin. Séoul accuse les Chinois d’être à l’origine des violences et en veut pour preuve un incident lors duquel un garde-côte sud-coréen avait été poignardé à mort en 2011.

Les Sud-Coréens n’ont pas toujours eu un comportement irréprochable en la matière, allant pêcher illégalement jusqu’en Afrique occidentale. Mais les autorités sont montées au créneau pour faire cesser cette pratique, si bien que la Corée du Sud a été retirée en février de la liste américaine des pays se livrant à ce type d’activité, puis de la liste européenne en avril.

Les pêcheurs de Daecheong espèrent la même efficacité envers les Chinois.

« C’est l’une des plus graves crises que j’aie jamais vues », souligne Kim Neung-Ho, dont le père et le grand-père gagnaient leur vie dans les eaux de Daecheong. « On n’espère même pas qu’ils s’en aillent tous car cela serait impossible. Nous espérons simplement qu’ils seront moins nombreux. Juste un petit peu moins nombreux… »

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