L’anguille, pépite d’or des rivières, glisse doucement vers son extinction

Comme chaque printemps, les civelles – une paire d’yeux noirs greffés sur un corps blanchâtre de la taille d’un ver de terre – fraîchement arrivées du grand large, remontent les rivières le long de la côte Atlantique.

Mais de moins en moins font le voyage.

Dans la mer des Sargasses, située dans la partie occidentale de l’Atlantique nord, là où l’on pense que ces poissons se reproduisent, les Européens ont observé une chute de 95% des stocks et le Japon a placé l’anguille sur sa liste rouge des espèces en voie de disparition. Si le Canada a imposé d’importantes restrictions sur la pêche, les Etats-Unis, eux, se sont contentés pour l’heure, de la classer comme espèce menacée.

Pour Kate Taylor, membre de la Fédération de la pêche des Etats de l’Atlantique, qui rassemblent une quinzaine d’Etats américains côtiers, « la très mystérieuse » anguille est si peu connue que les autorités américaines ne savent quelle attitude adopter. De nouveaux quotas de pêche pourraient cependant être adoptés le 21 mai prochain lors d’une réunion de cette fédération.

La raréfaction de ce poisson et l’augmentation de la demande en Asie – l’anguille est très prisée au Japon en particulier – ont transformé l’anguille en pépite d’or des mers, avec des prix frôlant ceux du caviar.

Dans le Maine (nord-est), seul Etat avec la Caroline du Sud (sud-est) à délivrer des licences de pêche aux alevins d’anguille, une livre se vendait 2.600 dollars en 2012, soit environ 1 dollar la civelle. A titre de comparaison, la livre de homard s’y bradait pour 2,69 dollars.

Fécondation artificielle encore irréalisable

Les deux pieds dans le ruisseau de Quassaick à Newburgh près de New York, Chris Bowser attrape des alevins d’anguilles. Avec des étudiants de l’université voisine de Mount Saint Mary, ce spécialiste de la conservation des espèces s’est lancé dans l’étude de la migration des anguilles, « l’une des plus extraordinaires et mystérieuses de la planète », explique-t-il.

Personne ne sait avec précision où les anguilles naissent, les scientifiques s’accordant sur la mer des Sargasses. De là, des millions de larves naviguent vers l’Europe ou l’Amérique du Nord, entraînées par le Gulf Stream. Là encore, un grand mystère entoure leur migration. Comment se repèrent les larves? Comment survivent-elles?

A l’arrivée du printemps, les larves devenues des civelles parviennent à trouver les côtes puis les estuaires et remontent les eaux douces des rivières. Lors de leur migration, leur peau se pigmente et prend des teintes jaunâtres. La civelle devient une anguillette puis une anguille, un poisson mesurant 1,50 mètre, capable de ramper comme un serpent pour éviter les obstacles lors de leur remontée des eaux douces.

Puis, dix à vingt ans plus tard, sans raison apparente, leur odyssée reprend. En sens inverse.

Tout d’un coup, le poisson d’eau douce se transforme en créature des mers. Pour ce retour aux sources, l’anguille perd ses teintes jaunes et revêt des écailles d’argent, se dote d’yeux plus gros capables de voir en eaux profondes et ferme son système digestif, vivant désormais sur ses réserves de graisse. Elle gagne le large et parcourt les milliers de kilomètres jusqu’à la mer des Sargasses.

Là pour la première et la dernière fois de sa vie, l’anguille affamée se reproduit. Et meurt.

« C’est dingue », s’exclame Chris Bowser. Et encore, souligne-t-il, il s’agit d’une hypothèse car un grand mystère entoure encore la reproduction. En effet, aucune larve, ni oeuf n’ont été capturés à ce jour. « Font-ils cela par petits groupes discrets ou sous forme d’orgies? On ne sait pas », lâche-t-il.

Même les causes de leur extinction sont encore méconnues: outre la gourmandise des Asiatiques, des spécialistes évoquent la pollution et l’assèchement des rivières mais aussi les barrages ou encore les changements dans l’Atlantique et le développement de nouveaux parasites.

De fermes d’élevage se multiplient en Chine, au Japon ou encore en Corée du Sud mais il n’est pas encore possible de reproduire en laboratoire la fécondation de ce poisson, les éleveurs devant d’abord pêcher des anguilles à l’état larvaire.

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