Question: Comment la voile fait-elle son retour dans le transport maritime de marchandises?
Réponse: Au début, c’est très artisanal, une affaire de copains, de gens éthiquement convaincus, avec des vieux gréements qu’on refait naviguer pour transporter du rhum, du sucre… L’idée, c’est d’aller moins vite, c’est une forme d’altermondialisation.
Il y a aussi beaucoup de marketing. Le bateau à voile évoque tout un imaginaire plus ou moins « vintage »: c’est le retour à la grande navigation à voile, les clippers de la fin du XIXe. Il y a cet imaginaire-là et, donc, c’est effectivement assez vendeur.
Mais, pour l’instant, du fait de la cherté de ce transport, il reste dédié à des produits à haute valeur ajoutée. On n’est pas du tout dans la phase de démocratisation du transport international, tel qu’a pu le mettre en place le conteneur.
Le transport vélique propose l’inverse: un transport décarboné de quantité bien moindre. Ce sont de petites unités (1.000 tonnes d’emport pour le cargo de la compagnie Towt) et des conditions logistiques qui ne sont pas forcément celles du conteneur.
Question: Justement, comment le transport vélique marque-t-il une rupture par rapport à la logique de massification du transport maritime liée au conteneur?
Réponse: Le conteneur a imposé une norme qui est le gigantisme et ce conteneur a vocation à se polariser sur un certain nombre de ports. C’est déjà ce qui se passe depuis une quinzaine d’années: des bateaux de plus en plus grands qui vont dans des ports de plus en plus grands.
Il y a un tout un tas de ports secondaires qui trafiquaient des conteneurs et voient leur trafic se stabiliser au mieux, voire s’éroder au profit des grands points de massification, comme Anvers, Rotterdam et puis, dans une moindre mesure, Marseille et Le Havre.
Le cargo à propulsion intégrale vélique pose des problèmes au paysage portuaire actuel dans la mesure où ce paysage est fondé sur la grande quantité, les grands volumes, les grands navires. Ce modèle de cargo vélique propose au contraire des tout petits volumes.
Donc il y a un problème d’acceptabilité portuaire. On est en train de construire des cargos véliques mais où vont-ils aller? Dans quels ports?
Question: Le développement du transport à la voile ne peut-il pas aussi être une opportunité pour les ports secondaires, délaissés par les porte-conteneurs?
Réponse: Il est évident que le cargo vélique ne remplacera pas les porte-conteneurs mais il peut trouver une place en complément des conteneurs sur des ports secondaires.
Avec ses petites quantités, des marchés exotiques, des produits d’épicerie, de luxe, bio, le cargo vélique pourrait trouver une place dans des ports de proximité, qui vont toucher des villes moyennes. Il y a une géographie de ports moyens, décentralisés, qui sont à la recherche de trafic, comme Bayonne, Les Sables d’Olonne, Lorient ou Brest, dans lesquels le cargo vélique pourrait s’épanouir.
Ça touche aussi les « petits » grands ports maritimes, les ports d’État, comme Nantes, Bordeaux, La Rochelle.
Car la question du cargo-vélique, c’est: à quoi bon décarboner le transport transatlantique si, derrière, vous devez débarquer à Dunkerque ou au Havre, et ensuite faire 1.000 km en camion pour atteindre vos clients? Dans l’idéal, il faut que ces marchandises débarquent au plus près des marchés de consommation. Et ces ports décentralisés, ce sont des ports qui sont souvent au coeur des villes.
Les ports doivent inventer un terminal vélique, avec des instruments dédiés, des services dédiés, son économie dédiée.