A chaque sortie de conseil de surveillance, à chaque réunion en préfecture, les micros se tendent vers lui. Rompu à l’exercice, l’homme aux airs de grand échalas livre ses réactions et se laisse parfois emporter par sa verve. Un casse-tête pour les journalistes radio et télé, sur le mode: « comment faire au montage? ».
Dans le feu médiatique, alors que le gouvernement a lâché l’ancienne présidence pour privilégier l’option redressement judiciaire, synonyme d’au moins 800 suppressions d’emplois sur 2.000, Alpozzo dénonce avec son accent marseillais tranché une « faillite organisée » ou des « dirigeants politiques fous, criminels ».
Dans son minuscule bureau au siège des marins CGT, sur le quai de la Joliette d’où partent les bateaux pour la Corse, l’homme se montre tout aussi bavard, sur son parcours cette fois, sans chercher à se « mettre en avant ».
D’où lui vient cette « tchatche »? Peut-être de son enfance dans la cité de La Solidarité — « quel beau nom! » — dans les quartiers nord de Marseille. « Ce sont mes meilleurs souvenirs, j’ai grandi avec tous les enfants issus de l’immigration. On ressentait un profond bonheur d’être ensemble, de la fraternité. On dormait les uns chez les autres, on allait au ciné… Ados, on refaisait le monde: autour de la musique, mais aussi de la politique, c’était l’éveil des consciences, on pensait que tout était possible, il y avait de l’espoir », raconte ce fils d’un cheminot d’origine italienne et d’une mère femme de ménage.
– chemin « chaotique » –
Des quartiers nord à la SNCM, le chemin fut « chaotique ».
Au collège d’enseignement technique maritime, qu’il intègre pour « entrer vite dans la vie active », il obtient certes un CAP d’électricité marine en 1992, et le privilège émerveillé de quelques « vrais jobs d’été » en tant que « novice » à bord des bateaux de la compagnie, où il fait le mousse.
Il en tire « l’attachement à notre métier, où tout s’apprend, dans une rigueur quasi-militaire, car il en va de la sécurité des gens qu’on transporte, sur laquelle on ne peut mégoter aujourd’hui pour économiser sur les équipages ».
Mais il se passera plus de 10 ans avant d’exercer le métier auquel il a été formé. Dix ans « où ma vie c’était CDD et chômage ». Alpozzo touche à tout: il vend des téléphones, fait le saisonnier à la SNCF, de la maçonnerie, ou de la manutention à la SNCM.
C’est le temps de la précarité, « dont on ne voit jamais le bout ». Le temps de « l’injustice » aussi, lorsque la direction de la SNCM décide en 2004 de privilégier l’embauche des membres du STC (Syndicat des travailleurs corses). « On ne construit pas une société sur des passe-droits! », assène-t-il.
Il s’investit alors « pleinement » à la CGT. Il est délégué du personnel à bord du Méditerranée, où, enfin, il travaille comme électricien. « Il était très sérieux, il inspirait la confiance, et en plus, il connaissait parfaitement son métier », se souvient Jean-Paul Israël, leader historique de la CGT SNCM.
« Finalement, défendre les droits et le métier, cela m’est venu naturellement », explique aujourd’hui le syndicaliste, qui est également conseiller du salarié depuis 2007 « pour aider les personnes menacées de licenciement dans les petites entreprises sans représentation syndicale ».
Son credo: « dans une démocratie, on peut changer les choses, à condition de se faire entendre et de faire respecter les valeurs républicaines qui sont tout sauf la loi du plus fort ».
Dans l’inextricable dossier SNCM, il faut aussi maîtriser droit et réglementations. Bosseur, il s’est notamment « farci » les traités européens, les études sur les services publics, les rapports divers… « Il s’approprie les dossiers, il en fait une analyse juridique, c’est un vrai pro! », confirme l’avocate du CE, Christine Bonnefoi.
« C’est un homme pragmatique, avec qui on peut discuter, loin des dogmatiques, staliniens, pour qui les patrons sont des horreurs et les politiques de droite totalement infréquentables. J’ai les meilleurs rapports avec lui », corrobore l’adjoint UMP aux Finances de Marseille, Roland Blum.