Les aires marines protégées sont rarement protégées contre la pêche

Brest, 3 juin 2025 (AFP) – Fixé par les États du monde entier, l’objectif de protéger 30% des océans d’ici à 2030 peine à se concrétiser: les aires protégées couvrent moins de 10% des mers du globe et nombre d’entre elles n’existent que sur le papier.

« Il sera difficile d’atteindre l’objectif de 30% » en 2030, convient le biologiste marin Lance Morgan, directeur du Marine Conservation Institute (MCI) à Seattle, qui recense les aires marines protégées (AMP) dans un Atlas en ligne.

La cible sera d’autant plus ardue à atteindre que « nous voyons des pays comme les États-Unis faire marche arrière et abandonner des décennies d’efforts bipartisans » pour protéger l’océan, ajoute-t-il, en référence à un décret de Donald Trump autorisant en avril la pêche commerciale dans de larges portions d’une énorme AMP du Pacifique.

L’objectif de protéger 30% des océans en 2030, dit 30X30, avait été scellé en 2022 par 196 pays dans le monde, au sein de l’accord de Kunming-Montréal.

Au dernier décompte, les 16.516 AMP déclarées par les différents gouvernements ne représentaient que 8,36% des océans. Et parmi elles, les situations sont très disparates entre les aires interdisant toute forme de pêche et celles ne réglementant aucune activité ou presque.

Au niveau mondial, « il n’y en a qu’un tiers qui ont des niveaux de protection dont on peut vraiment attendre des bénéfices » pour la pêche, souligne Joachim Claudet, chercheur spécialisé en socio-écologie marine au CNRS.

Car, à l’origine, « les aires marines protégées n’ont en effet pas été proposées pour protéger la biodiversité » mais « pour augmenter les prises de poissons », explique Daniel Pauly, professeur de sciences halieutiques à l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver (Canada).

« Une aire marine protégée, qui est bien protégée, exporte les poissons vers les zones non protégées. Et ça devrait être la raison majeure pour laquelle on crée des aires marines protégées: elles sont nécessaires pour avoir des poissons », développe-t-il.

– Effet de débordement –

Quand ils ne sont plus pêchés, les poissons grandissent, se reproduisent en plus grand nombre et repeuplent les environs de l’aire protégée. Cet effet, dit de « débordement » (« spillover » en anglais), a été établi par plusieurs publications scientifiques, notamment à Hawaï, qui compte une des plus grandes AMP du monde, grande comme trois fois la France métropolitaine, où toute pêche est interdite.

Une étude publiée dans la revue Science en 2022 a montré une augmentation de 54% du taux de capture du thon jaune en bordure de cette AMP. Aujourd’hui menacée par la politique de Donald Trump, « cette aire marine protégée permettait aux stocks de thons de se régénérer et d’exporter du thon », souligne M. Pauly.

Pour produire de tels effets, une aire marine doit cependant être strictement protégée et proscrire la pêche sur une partie au moins de son territoire, selon M. Claudet. Mais ces zones entièrement ou fortement protégées ne représentent que 2,7% de l’océan mondial et sont presque toujours situées dans des territoires ultra-marins, loin des zones les plus impactées par les activités humaines.

A l’inverse, « en Europe, 90% des aires marines protégées sont encore exposées au chalutage de fond », affirme Alexandra Cousteau, porte-parole de l’ONG Oceana. « C’est un non-sens écologique. »

« Le chalutage dans les aires marines protégées, c’est comme si vous cueilliez des fleurs avec un bulldozer dans le jardin des plantes. Ce n’est pas exagéré car les chaluts rabotent les fonds marins », embraye Daniel Pauly.

Le chalutage de fond a été pratiqué pendant 17.000 heures dans les aires marines protégées françaises en 2024 et pendant 20.600 heures dans celles du Royaume-Uni, selon Oceana, qui appelle à bannir la pratique.

Dans un rapport du WWF publié mardi, « seuls 2,04% des mers de l’Union européenne sont actuellement couvertes par des AMP dotées de plans de gestion », sachant que ces plans de gestion ne définissent parfois aucune mesure de protection.

« C’est loin d’être suffisant pour protéger la santé des océans », estime Jacob Armstrong, responsable des océans au bureau politique européen du WWF. « Les gouvernements doivent joindre le geste à la parole en matière de protection marine, sous peine de voir ces sites rester à l’état de simples points sur une carte ».

aag/ico/cbn

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