Les protestataires coupent les routes menant vers les autres provinces et surtout vers Khartoum, ont bloqué un temps l’aéroport de Port-Soudan et la quasi-totalité des docks de Port-Soudan.
Moustafa Abdelqader, chauffeur routier, est passablement énervé.
« Je suis bloqué depuis 24 jours. J’aurais pu acheminer six chargements et gagner 120.000 livres soudanaises », soient 235 euros, « alors que là, je n’ai rien pour nourrir ma famille », raconte-t-il à l’AFP.
Mais pour les manifestants, pas question de céder. Depuis le 17 septembre, ils réclament l’annulation d’un accord de paix signé en octobre 2020 entre Khartoum et des groupes rebelles et qui, selon eux, n’accorde pas à leur région la représentation qu’elle mérite au sein des autorités de transition.
– Zéro planification –
Dans un pays déjà pris à la gorge par des décennies de sanctions américaines levées récemment, ces blocages font perdre chaque jour « 50 à 60 millions de dollars », assure à l’AFP l’économiste Mohamed al-Nayer.
De son côté, l’Union des armateurs rapporte qu’en septembre seuls 27 navires ont pu accoster au Soudan, contre 65 en août. Beaucoup ont en fait été détournés, notamment vers l’Egypte, pour pouvoir décharger leurs marchandises.
Selon l’association des dockers, depuis le 17 septembre, 13.000 salariés sont au chômage technique et donc sans revenu, de même que 20.000 autres, employés indirects de l’économie portuaire.
Ahmed Mahjoub, directeur des docks sud de Port-Soudan rappelle que « 60% du commerce du Soudan, soit environ 1.200 containers par jour, transitent par Port-Soudan ».
Chaque jour de fermeture représente donc « des centaines de milliers de dollars de perte ».
Un coup dur pour l’économie soudanaise déjà à genoux et forcée à l’austérité par le Fonds monétaire international (FMI) qui a effacé sa dette en échange de la suppression de subventions, notamment sur les carburants.
Pour M. Nayer, « les autorités de transition, et l’ancien régime avant, ont échoué à planifier l’avenir et à constituer des réserves stratégiques ».
Avec cette nouvelle crise, les ménages, qui devaient déjà composer avec une inflation avoisinant les 400% et un taux flottant dirigé de la livre soudanaise continuant de flamber au marché noir, subissent désormais des pénuries nées des blocages.
– « On souffre déjà assez » –
« On passe des heures à chercher du pain mais les boulangeries ont fermé parce qu’elles n’étaient plus approvisionnées en blé », raconte à l’AFP Achgan, vendeur de thé à Khartoum.
« On n’avait vraiment pas besoin de ça, on souffre déjà assez », se lamente-t-il.
Faute de pain aussi, les écoles ont cessé d’accueillir les enfants pour le déjeuner dans un pays pourtant ravagé par la pauvreté et la malnutrition. De nombreux médicaments manquent également même si les protestataires laissent désormais passer les containers médicaux.
Le blocage de Port-Soudan a des répercussions jusqu’à l’autre bout du pays, comme au Darfour, où des habitants manifestent contre les pénuries.
Cette crise sape aussi un peu plus des autorités prises dans une difficile transition après 30 ans de dictature et qui viennent d’essuyer un putsch manqué. Elle s’ajoute aussi aux fractures qui se creusent entre civils et militaires au pouvoir.
Mais à Port-Soudan, sous les drapeaux vert-jaune-bleu-rouge du parti du Congrès Beja, entourés de branches et de pneus enflammés, les manifestants n’en démordent pas.
« On a soumis nos doléances au gouvernement », rapporte à l’AFP Abdallah Abouchar, un de leurs leaders qui veut « l’annulation de l’accord (d’octobre 2020) et de nouvelles négociations pour l’Est ».
Pour tenter de calmer le mouvement de protestation, le Premier ministre Abdallah Hamdok a parlé d’une cause « juste », reconnaissant que la région était « la plus pauvre alors qu’elle est la plus riche en ressources ».
Et il a assuré travailler à « une conférence internationale pour obtenir des financements » et réclamé « des discussions directes » au plus vite, alors que la mission de l’ONU au Soudan a passé une semaine sur place à écouter les revendications des protestataires.
Ce qu’il faut au plus vite, pour M. Nayer, c’est un accord. « Car un blocus plus long aura des conséquences catastrophiques ».