Les incertitudes planant sur la prolongation du corridor d’exportation des céréales en mer Noire ou sur l’état des récoltes devraient faire monter les cours, mais c’est l’inverse qui a eu lieu ces derniers jours, constate Jake Hanley, de la société Teucrium Trading.
Des céréales au pétrole, les marchés « fatiguent des soubresauts » politiques et économiques, avec une baisse générale « liée à l’inflation galopante, au pouvoir d’achat qui s’affaiblit, et à la consommation qui ralentit », estime Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux & Associés.
Le blé a clôturé mardi à 242,75 euros la tonne sur le marché européen, « soit le point le plus bas sur la campagne actuelle depuis le 14 janvier 2022 », quelques semaines avant le début de la guerre en Ukraine, souligne-t-il.
Très volatils, les prix du blé, du colza ou du soja pourraient toutefois rebondir « avec la sortie de certains opérateurs spéculatifs actuellement positionnés à la baisse, ou en cas d’événement géopolitique important », relève M. Hanley.
Après une interruption d’environ une semaine, le transit des céréales et autres produits agricoles par la Pologne a officiellement repris vendredi.
Les interdictions provisoires sur les importations de céréales ukrainiennes, imposées depuis quelques jours par la Pologne et d’autres pays de l’Union européenne frontaliers de l’Ukraine, restent toutefois en vigueur.
« 50% du blé ukrainien a été exporté vers l’Union européenne depuis 2022, dont plus de la moitié à destination de la Pologne, de la Hongrie et de la Roumanie », indique dans une étude la fondation FARM, think-tank spécialiste de l’agriculture internationale.
La Pologne, par exemple, « fait face à un surplus de 8 à 9 millions de tonnes de céréales. Les agriculteurs constatent de fait un effondrement des prix, la tonne de blé au niveau national étant passée de 390 euros à 190 euros ».
A quelques semaines de la nouvelle récolte, et alors que Moscou menace de suspendre le 18 mai le corridor maritime permettant les exportations de céréales ukrainiennes, « les incertitudes sont désormais sur les deux fronts: en mer et sur terre », souligne-t-elle.
La Russie réclame, en échange de sa prolongation, la fin des entraves aux exportations agricoles et la reconnexion au système bancaire international Swift de la banque russe spécialisée dans l’agriculture Rosselkhozbank.
– Récoltes « asphyxiées » –
D’autre part, les opérateurs ont été alertés par l’instauration surprise d’une taxe d’importation de 130% sur plusieurs produits agricoles en Turquie, notamment blé et maïs, à quelques semaines des élections présidentielle et législatives, explique Michael Zuzolo, de Global Commodity Analytics and Consulting.
Après l’annulation d’une importante commande de maïs américain de 327.000 tonnes par la Chine, ce dernier s’affichait mardi « au plus bas depuis huit mois » à Chicago, selon le cabinet Agritel.
Autre source d’inquiétude majeure: l’accumulation des épisodes de sécheresse, qui assoiffe les récoltes de l’Argentine à la Thaïlande.
La situation est « catastrophique dans le bassin méditerranéen, avec un déficit hydrique record au Maroc, en Algérie, en Tunisie », souligne Edward de Saint-Denis.
En Espagne, le manque d’eau a poussé nombre d’agriculteurs à renoncer aux semis de printemps, notamment de céréales et d’oléagineux.
D’après le Coag, leur principal syndicat, 60% des terres agricoles sont « asphyxiées » par le manque de précipitations, avec des « dommages irréversibles » pour 3,5 millions d’hectares de céréales.
Plusieurs pays d’Asie comme l’Inde enregistrent aussi déjà des températures au-delà des 40 degrés.
Malgré une récolte annoncée comme abondante avec environ 104 millions de tonnes de blé, le ministère américain de l’Agriculture misait une nouvelle fois en mars sur un reflux des exportations indiennes.
Initialement très prometteuse, la moisson de l’an dernier avait finalement été amputée après une canicule dévastatrice, conduisant New Delhi à instaurer un embargo temporaire sur les exportations de blé en mai 2022.
« On est dans une situation très similaire », estime M. de Saint-Denis, d’autant que le pays dispose, selon lui, de son plus faible stock de blé depuis 2016, évalué à 8,6 millions de tonnes.