« Laissées sans contrôle, la surpêche et la pêche destructrice vont entrer en collision avec les effets du changement climatique pour produire des océans dangereusement dysfonctionnels. Les pratiques de pêche actuelles doivent être réformées pour éviter que cela ne se produise », a expliqué à l’AFP Callum Roberts, professeur de conservation marine à l’Université d’Exeter (Royaume-Uni) et auteur principal de l’étude parue dans la revue « npj Ocean Sustainability ».
Avec une trentaine de scientifiques de réputation internationale, le biologiste britannique a travaillé pendant trois ans pour définir onze « actions » destinées à minimiser l’impact de la pêche sur la vie marine, à régénérer la biodiversité, tout en renforçant le bien-être des populations vivant de la pêche.
« Gérer les pêcheries plus durablement est un impératif mondial au regard du nombre croissant de personnes vivant dans la faim », soulignent les auteurs, parmi lesquels figurent quelques-uns des experts les plus réputés dans leur discipline, comme le biologiste franco-canadien Daniel Pauly, professeur à l’Université de Colombie Britannique de Vancouver (Canada).
Les produits de la mer fournissent 15% des protéines animales consommées dans le monde et 500 millions de personnes vivent de la pêche artisanale, selon les derniers chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Mais cette source d’alimentation, indispensable à de nombreux pays pauvres, est menacée par le changement climatique, l’affaiblissement de la biodiversité et la surpêche. « De nombreux stocks de poissons dans le monde restent sur-pêchés ou en déclin », soulignent les auteurs.
Dans l’Atlantique Nord-Est, par exemple, seuls 28% des stocks étudiés ne sont ni surexploités ni à des niveaux de biomasse trop faibles, selon le Comité scientifique de la pêche (STECF) de l’Union européenne.
Et encore, ces chiffres sont-ils sans doute trop optimistes. Car, d’après une étude publiée en août dans la revue Science, les modèles mathématiques sous-estiment le nombre de stocks de poissons effondrés en raison de la surpêche.
– subventions néfastes –
Au niveau international, une pêcherie est jugée durable si elle respecte le rendement maximum durable (RMD), un indicateur fixant la quantité maximum de poissons pouvant être pêchés, sans menacer le renouvellement de la ressource.
Outre que son calcul est sujet à caution, cet indicateur est vivement critiqué par les scientifiques car il ne prend pas en compte les interactions entre espèces, ni les dégradations de l’écosystème induites par la pêche.
C’est pourquoi les auteurs appellent d’abord à « pêcher moins », à des niveaux « bien inférieurs au RMD ». « En pêchant moins, il y aura plus de poissons dans la mer, ce qui signifie que les pêcheurs seront capables de capturer plus, et de meilleurs poissons, avec moins d’efforts et à moindre coût », souligne M. Roberts.
Dans la même veine, ces scientifiques appellent à limiter la taille des bateaux et à abandonner les engins de pêche trop destructeurs, tout en luttant contre la pêche illégale et les abus aux droits humains.
Ils invitent également à supprimer les subventions néfastes, qui incitent à la surpêche, comme la détaxe du gazole ou l’aide à la construction de navires, estimées à 22,2 milliards de dollars (19,9 milliards d’euros) en 2018 au niveau mondial.
« La plupart des pêcheries les plus destructrices vont simplement devenir non rentables quand cette aide sera retirée », estiment les auteurs, qui proposent de rediriger ces fonds pour soutenir les « bonnes pratiques » de pêche ou la mise en place d’aires marines protégées.
« Il faut pêcher moins, pêcher mieux, à hauteur d’humain, pour assurer une sécurité alimentaire, tout en régénérant la santé des océans », résume Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom, qui a participé à l’étude.
Selon Bloom, aucun poisson vendu en supermarché ne respecte ces nouveaux critères de pêche durable. Mais des labels pourraient « s’en emparer », espère Mme Nouvian.
« Toutes les réformes que nous avons proposées ont été mises en oeuvre quelque part, dans certaines pêcheries », souligne M. Roberts. Mais « il n’y a aucun endroit, à ma connaissance, où toutes les réformes existent déjà », reconnaît-il.