Terres, commerce, or: les dessous stratégiques de la guerre au Soudan

Paris, 21 nov 2025 (AFP) – Terres fertiles, corridor stratégique, soutien aux belligérants, or, eau: derrière la guerre qui déchire le Soudan depuis plus de deux ans, les ressources du pays aiguisent les alliances et rivalités régionales.

Le conflit, qui oppose depuis avril 2023 l’armée du général Abdel Fattah Al-Burhane aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) de son ex-adjoint Mohamed Hamdane Daglo, s’est exacerbé avec la prise fin octobre par les FSR de la grande ville d’El-Facher au Darfour.

L’armée bénéficie de l’appui de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, de l’Iran et de la Turquie, tandis que les FSR comptent sur celui des Emirats arabes unis (EAU), selon des experts de la région. Officiellement, tous nient tout soutien direct à l’un des camps.

– Terres fertiles et carrefour stratégique –

Les terres agricoles fertiles du Soudan, troisième plus grand pays d’Afrique, aiguisent l’appétit des pays désertiques du Golfe de l’autre rive de la mer Rouge, qui lorgnent ce « grenier à blé ».

Avant la guerre, les EAU ont investi à grande échelle au Soudan, où leurs entreprises contrôlaient des dizaines de milliers d’hectares. En 2023, les graines oléagineuses et les cultures fourragères étaient les principaux produits exportés du Soudan vers les Emirats après l’or. Mais le conflit, et les accusations de collusion entre Dubai et les FSR, a changé la donne.

Avant le coup d’Etat de 2019, les Saoudiens et les Qataris avaient également négocié des investissements parfois massifs dans l’agriculture au Soudan.

Par ailleurs, « grâce à son littoral sur la mer Rouge, reliant la Méditerranée à l’océan Indien, le Soudan a la possibilité d’influencer le trafic maritime mondial, la sécurité et le commerce via ses ports et bases navales », souligne Alia Brahimi, chercheuse à l’Atlantic Council.

Ce corridor stratégique par où transitent 10 à 12% des flux maritimes internationaux de marchandises est également suivi de près par les pays du Golfe, mais pas que.

Russie, EAU et Turquie ont ces dernières années tenté d’y construire une base navale ou d’obtenir des concessions portuaires, mais les négociations ont avorté ou ont été suspendues.

– Les Emirats et leurs alliés –

Peu après le début du conflit, le gouvernement pro-armée a rompu ses liens diplomatiques avec les Emirats. Il les accuse d’avoir pris fait et cause pour les FSR et de les soutenir avec des armes et des mercenaires envoyés via le Tchad, la Libye, le Kenya, l’Ethiopie ou la Somalie, par voie terrestre ou aérienne – ce qu’Abou Dhabi nie.

En mai dernier, Amnesty international a publié une enquête montrant, à partir de photos de débris de bombes, que des armes chinoises ont été fournies aux FSR par les Emirats arabes unis.

Depuis le début de la guerre, l’aéroport d’Amdjarass dans l’est du Tchad, pays officiellement neutre, a été une plaque tournante d’avions cargos en provenance des Emirats vers la région voisine du Darfour, bastion des FSR, selon des rapports de l’ONU et plusieurs experts.

Plus récemment, l’est de la Libye contrôlé par le puissant maréchal Haftar a supplanté le Tchad comme « principale route d’approvisionnement » émiratie vers le Soudan, affirme Emadeddin Badi, chercheur à la Global Initiative Against Transnational Organized Crime.

Depuis juin, « environ 200 vols cargo militaires ont atterri dans l’est de la Libye, entre Benghazi et Koufra, livrant vraisemblablement des armes aux FSR », dit-il.

Selon un rapport de l’ONG américaine The Sentry, le camp Haftar, « redevable » à Abou Dhabi qui le soutient depuis 2014 en Libye, est « un fournisseur clé de carburant pour les FSR », qui grâce à cet « approvisionnement continu » ont pu se déplacer et mener des opérations au Darfour.

– La soif de l’or –

Après l’indépendance en 2011 du Soudan du Sud, où se concentrait les plus vastes champs pétroliers du Soudan, l’or s’est imposé comme la ressource centrale des exportations soudanaises.

Avant la guerre, le Soudan produisait un peu plus de 80 tonnes d’or par an, selon la Banque centrale. Une partie était exportée, pour une valeur qui a atteint 2,85 milliards de dollars en 2021. Depuis le début du conflit, la production d’or déclarée a chuté, au profit des réseaux parallèles d’extraction et d’exportation, selon une étude récente du Chatham House.

« La rivalité économique entre les FAS (forces armées soudanaises) et les FSR dans l’extraction et le commerce de l’or est un facteur déterminant dans la guerre actuelle », estime cet institut de recherche.

L’or soudanais fini souvent à Dubai aux Emirats, qu’il vienne du côté FAS (et transite alors via l’Egypte, allié de l’armée soudanaise) comme du côté FSR (extrait notamment des mines de Jebel Amer, Hashaba et Songo au Darfour, et exporté ensuite par le Tchad, la Libye, le Soudan du Sud et d’autres pays africains).

Les Emirats ont importé l’an dernier près de deux fois plus d’or qu’en 2023 (29 tonnes contre 17), selon l’ONG Swissaid qui les accuse d’être une « plaque tournante de l’or issu de conflits ».

« L’or ne se contente pas d’assurer la loyauté des combattants, le trafic de missiles ou l’achat de drones: il confère aussi un intérêt économique évident à la poursuite du conflit », résume Alia Brahimi.

– Guerre des drones –

La Turquie – comme l’Iran – a fourni à l’armée soudanaise des drones longue portée qui ont joué « un rôle déterminant » dans sa reconquête de la capitale Khartoum, aux mains des FSR jusqu’en mars, selon Emadeddin Badi. Mais ces appareils destinés à épier ou bombarder l’ennemi ont été moins efficaces ces derniers mois car les FSR ont modernisé leur défense anti-aérienne, « ce qui explique en partie la chute d’El-Facher », ajoute-t-il.

Début novembre la branche politique des FSR a accusé sans le nommer « un pays voisin » de viser ses troupes avec des drones meurtriers. Selon les médias pro-FSR, il s’agit de l’Egypte.

De son côté, le gouvernement pro-armée accuse les Emirats d’avoir livré des drones, notamment chinois, aux FSR.

Enfin, « les FSR ont, dès le début du conflit, recruté tout un contingent de mercenaires à l’étranger », russes, mais aussi syriens, sahéliens et colombiens, affirme Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales.

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