Nous sommes invités — pressés — à revisiter radicalement nos modes de fonctionnement, de comportement, de consommation, de développement mais également de recherche et de collaborations. Ce besoin d’accélérer et de changer d’échelle, pour changer d’époque, nécessitera aussi de revoir nos méthodologies et nos modes de collaborations et de production d’idées, notre capacité à repérer et à faire grandir les idées de demain… qui pour certaines, sont déjà là. Nous devons accélérer la transition, écologique et climatique, mais aussi économique et sociale, pour revivre et survivre, pour nous adapter et changer, plus vite. Faire grandir les solutions innovantes de transition, changer d’échelle pour changer d’époque, en conjuguant les regards et les expertises, en démultipliant comme jamais les actions à impacts positifs et reconstructifs. Avec la crise du Covid-19, les échéances se sont rappelées à nous de façon brutale. La balle n’est pas passée loin. Depuis plusieurs années nous savons que les enjeux environnementaux et climatiques ne sont plus ceux des générations futures, nous avons abusé de ce terme comme pour nous débarrasser de ces questions. En réalité, depuis quelques années, lentement mais sûrement, ces enjeux se sont rapprochés de nous, tant sur le plan temporel que spatial : ce ne sont plus les générations futures mais nous aujourd’hui qui sommes impactés, et ce ne sont plus des problèmes pour des pays lointains, éloignés de nos quotidiens, mais pour nous chez nous. Nous ne sommes pas et ne serons pas épargnés.
Passer d’une rive à l’autre
Car c’est aussi l’autre grande leçon de la crise que de prendre conscience que nous sommes parties prenantes de la biodiversité, que détruire la biodiversité, c’est contaminer l’Humanité. Quand, depuis longtemps, nous nous préoccupons de protéger la biodiversité, certains pouvaient penser qu’il s’agissait de protéger des paysages, au mieux l’habitat d’espèces sauvages, de préserver un patrimoine d’espèces. Il faut souhaiter que cette crise actuelle fera prendre conscience que protéger la biodiversité, c’est protéger l’Humanité. Et ceci pour une autre raison assez simple mais qui, là aussi, nous a peut-être un peu échappé : nous sommes une espèce, et comme toute espèce, nous sommes mortels, pas seulement en tant qu’hommes et femmes, mais en tant que communauté, en humanité. Pauvres homo sapiens sapiens, seulement 250 000 ans, et déjà en péril, quand la plupart de nos contemporains ont plusieurs millions, voire dizaines ou centaines de millions d’années ! Si nous n’y prenons garde, nous aurons été l’espèce, sans doute la plus brillante et soi-disant intelligente, mais aussi sans doute la plus prétentieuse et égoïste, et finalement la plus éphémère sur terre ! La vie n’est que dynamique et mouvement, rien n’est figé. Il en va de même pour notre propre humanité qui doit sauvegarder son destin. Pour nous sauver nous-mêmes, nous devons passer d’une rive à l’autre, quitter le ponton d’un système dévastateur mais connu et bien rôdé, suicidaire collectivement mais rentable et confortable à court terme, pour l’inconnu d’une nouvelle terre d’avenir, d’un nouveau temps. Nous le savons et le redoutons à la fois. Nous vivons ce moment particulier où la nécessité avérée de changer de paradigme précède le nouveau paradigme lui-même. Nous avons un futur à inventer. Mais si nous regardons bien, ce futur est déjà là, autour de nous et en chacun d’entre nous.
Notre futur est déjà là
La vie existe sur Terre depuis 3,8 milliards d’années, c’est à la fois notre passé et notre avenir. Le modèle de développement durable que nous savons devoir inventer existe déjà, tout autour de nous. S’inspirer du génie du vivant, à toutes les échelles, depuis la nanostructure de surface de l’aile de papillon Morpho aux qualités de coloration structurale, d’hyper-hydrophobie ou d’auto-régulation thermique, aux écosystèmes forestiers ou coraliens développant des interactions écosystémiques bénéfiques en passant par l’intelligence collective des colonies d’insectes, la bio-inspiration ou biomimétisme est une extraordinaire voie de réinvention de nos sociétés humaines. En raison d’une série d’accélérateurs conjoncturels favorables (essor de la connaissance du vivant, seuils technologiques, attentes sociétales, reconsidération de notre rapport Homme-Nature, enjeux environnementaux pressants la quête d’innovations à impacts positifs, …), le biomimétisme est en plein développement. Les innovations bio-inspirées se multiplient. Les entreprises et startups de la Biomim DeepTech sont en pleine croissance (déjà plus de 300 millions d’euros de levées de fonds d’après la pré-étude de NewCorp Conseil pour créer Biomim’Invest). Mais au-delà des innovations et autres investissements d’avenir, l’approche du biomimétisme est déjà en soi paradigmatique en cela qu’elle nous propose un changement de regard à 180 degrés sur notre appréhension du vivant, pour ne plus considérer la nature comme un paysage mais comme une cité des sciences, un paysage comme un décor de vacances mais comme un modèle de résilience écosystémique, un insecte comme la meilleure des startup du CES Las Vegas, l’écologie comme une solution et non plus comme un problème, le vivant comme un émerveillement. « Je ne l’avais jamais vu comme ça », « vu sous cet angle »… Nous le savons : changer de regard, c’est changer d’approche, c’est rouvrir d’autres champs du possible. S’inspirer du vivant, modèle de technologie, de sagesse et de résilience, c’est s’appuyer sur le meilleur et le plus puissant des alliées, la Nature, pour nous aider à reconstruire ce fameux « monde d’après » qui, en réalité, nous précède.
La crise nous pousse à accélérer
La nécessité de ce monde d’après à inventer n’a pas démarré avec le Covid-19 ! La société est déjà en mouvement, depuis longtemps, via des associations, mouvements citoyens mais également, bien sûr, bon nombre d’entreprises ou laboratoires de recherche qui oeuvrent, depuis bien longtemps, à la recherche de solutions meilleures. La crise du Covid-19 nous pousse à accélérer, à changer d’échelle, pas toujours à créer ex nihilo. Si le biomimétisme nous invite à regarder mieux le vivant, regardons mieux aussi la société pionnière qui a déjà engagé cette transition, aidons-la à grandir. Tout n’est pas à jeter, demain sera aussi fait de ce que nous déciderons de faire grandir d’aujourd’hui. Des initiatives, innovations, transformations pionnières ont déjà été lancées. Si demain doit être réinventé, il n’a pas attendu aujourd’hui pour démarrer. Ce nouveau monde devra aussi s’appuyer sur la recherche et les connaissances scientifiques, considérables et en progression exponentielle, notamment par l’essor des coopérations internationales, et par — enfin — le développement de démarches de plus en plus pluridisciplinaires, extraordinairement créatives et productives. Mêler les savoirs et les regards, c’est se donner plus de chances de voir, de comprendre, d’imaginer. C’est en cela d’abord un effort sur soi, d’acceptation de l’autre, d’une autre discipline, d’une autre façon de travailler ou d’appréhender les choses, académique, culturelle aussi. La recherche est sous-évaluée et méconnue, du grand public, mais aussi des autorités en charge car ne correspond pas à leurs cursus et logiciels de pensée, elle doit être revalorisée et réintroduite au cœur du système de production du nouveau paradigme. La puissance de frappe du génie humain, mal exploité au service d’un système obsolète, est aujourd’hui dans une dynamique positive, de recherche de solutions de résilience, et par un effet de mondialisation positive, de la connaissance. Cette puissance de frappe de la recherche n’a jamais été aussi grande. Tout ce qui peut contribuer à inventer ce monde d’après doit être revalorisé, tout ce qui ne le sert pas doit être reconsidéré voire banni. Nous avons eu un certain génie pour la futilité ou la destruction, pourquoi aurions-nous moins de talents et de génie à bâtir, reconstruire, régénérer ? L’innovation est omniprésente et obsessionnelle. Elle l’a toujours été, et ces dernières décennies mal orientées pour créer de la nouveauté artificielle et consumériste, mais aujourd’hui elle est de plus en plus souvent orientée vers des gains de performance globale, de réduction d’empreintes écologique, énergétique et climatique. L’innovation positive, l’innovation à impact, sont et seront de plus en plus les moteurs de créativité de ce monde d’après.
L’intelligence collective computationnelle
Les révolutions industrielles et technologiques sont nées d’innovations de rupture (le fer, le charbon, l’électricité, le digital), le monde d’après naitra aussi de ces innovations de rupture, écologiques, énergétiques et comportementales. Mais avec une grande différence majeure : une seule innovation majeure, même disruptive, n’y suffira pas, c’est un leurre qu’il faut oublier. Même si une innovation majeure intervient dans la sphère énergétique, la mère de tous nos enjeux, elle ne suffira pas à elle seule à changer le monde. L’innovation sera aussi comportementale, sociologique, politique (gestion du monde), alimentaire (production et consommation) … c’est la confluence des innovations de transition qui créera le monde d’après, où chaque changement, chaque nouveauté, chaque expérimentation positive rentrera en résonance avec une dynamique globale, contribuera au mouvement et en tirera parti en retour pour grandir elle-même. Cette dynamique vertueuse est aussi un changement de paradigme économique, c’est « l’autre main invisible » : si Adam Smith nous a enseigné dans « La richesse des nations », en 1776, que chacun en cherchant son intérêt individuel contribue au bien-être collectif, il faut aujourd’hui prôner l’approche inverse, anti-Adam Smith, où chacun en cherchant l’intérêt collectif contribuera à son bien-être personnel. Cette transition, que nous pourrions davantage appeler renaissance ou refondation, ne sera pas un ajustement du passé. Son urgence exigera aussi davantage d’intelligence collective et pluridisciplinaire, révélant de nouvelles idées par la force créative des regards croisés, mais également en reconsidérant ou en déployant des solutions et alternatives nouvelles… parfois déjà existantes ! Car, en réalité, si cette quête est un saut vers l’avenir, ce n’est pas un saut dans l’inconnu. Nous avons, en effet, déjà beaucoup de pistes prometteuses qui n’attendent qu’à grandir, mais ce corpus est aussi une base de stimuli pour la créativité, pour favoriser l’hybridation créatrice, quand trois bonnes pistes actuelles en font naître une quatrième, innovante et composite, hybride. Cette généalogie des idées donne alors une nouvelle branche, une nouvelle descendance, inspirée par le temps et l’histoire. Parfois, demain est déjà né, et peut grandir plus vite si nous prenons soin de bien nous connaître. C’est aussi ça l’intelligence collective, que nous pouvons aussi appeler l’intelligence collective computationnelle, combinant observations, connaissances, data, projections et générations de nouvelles projections. Beaucoup d’alternatives d’avenir sont en effet déjà prêtes ! beaucoup d’innovations prometteuses sont là, encore en phase de recherche, ou déjà expérimentées, voire lancées à petites ou grandes échelles, ici ou là, ou en gestation dans des têtes qui n’attendent que de pouvoir s’exprimer, chez des porteurs de projets en attente de partenaires et mentors, ou encore sur des paillasses prêtes à éclore et à grandir. Ces cocons d’innovations peuvent éclore pour faire fleurir un nouvel avenir, à condition de devenir les jardiniers de cet avenir. Aujourd’hui nous inspire déjà demain.