Entretien avec Philippe Berterottière, PDG de Gaztransport et Technigaz
Propos recueillis par Bertrand de Lesquen
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L’océan Indien est-il, d’une manière générale, un espace stratégique pour le GNL ?
L’océan Indien représente actuellement entre 25 et 30% du flux mondial de GNL, principalement porté par les exportations du Moyen Orient (notamment du Qatar) vers l’Asie, région du monde qui concentre 70% de la consommation mondiale de GNL. En cas de congestion du canal de Panama, comme on a pu l’observer en 2020, l’océan Indien représente également la voie d’accès privilégiée du GNL américain vers l’Asie, via le Cap de Bonne-Espérance. L’océan Indien est donc une région indispensable pour répondre à la croissance forte de la consommation de GNL en Asie, et notamment en Chine.
La découverte d’un gisement de gaz très important dans le canal du Mozambique est en passe de faire de ce pays un géant gazier. Quel impact cela peut-il avoir d’une part sur le marché du GNL et d’autre part sur cette région de l’océan Indien ?
Le Mozambique recèle en effet un potentiel significatif pour le GNL, et devrait intégrer dans les années à venir le top 10, voire le top 5, des producteurs mondiaux de GNL. Le Mozambique a pris une décision d’investissement sur les projets de liquéfaction Coral FLNG (ENI) et Mozambique LNG-1 (Total) pour un total de plus de 16 millions de tonnes par an (mtpa) de GNL, auquel s’ajoute un autre projet majeur de liquéfaction, de plus de 15 mtpa, porté par Exxon Mobil. Mais, comme vous le savez, la situation au Mozambique est actuellement très tendue et la dégradation des conditions sécuritaires sur place pourrait constituer un frein au développement de l’exportation de GNL dans le pays.
Quelle est la situation, à ce jour, du marché du GNL dans le monde ?
En 2020, le marché a connu une croissance de la demande, malgré la crise du Coronavirus. La tendance long terme de la croissance de la demande de GNL reste très soutenue, avec des prévisions de croissance entre 3 et 4 % par an d’ici 2040, notamment portée par la performance environnementale et le coût très compétitif du GNL, comparés au charbon ou au pétrole. Cela se traduit par de nombreuses décisions d’investissement dans des usines de liquéfaction, avec une année record en 2019 (71 mtpa sanctionnés, soit 20 % de la capacité totale de production existante) ainsi que la plus grosse décision d’investissement historique en volume prise par le Qatar début 2021 (33 mtpa). Par ailleurs, le GNL reste une commodité très largement contractée sur le long terme, avec des contrats d’achats d’environ 15-20 ans. Cela contribue à stabiliser et à sécuriser ces perspectives de demande. À ce jour, le marché spot[1] ne représente que 30 % des échanges mondiaux de GNL, le reste étant contracté.
Pourquoi le marché du GNL se développe-t-il de cette manière ?
Le GNL présente de nombreux avantages, sur les plans environnemental, économique et géopolitique : tout d’abord, il permet de rapidement réduire ses émissions en divisant par 2 les émissions de CO2 par rapport au charbon, en supprimant totalement les émissions d’oxyde de soufre et de particules fines et la quasi-totalité des émissions d’oxyde d’azote. Il est également un excellent complément à l’intermittence des renouvelables grâce à la grande flexibilité des centrales électriques à gaz. Il présente aussi un avantage de sécurité énergétique pour les importateurs, qui peuvent importer leur GNL à la fois du Qatar, d’Australie, de Russie ou encore des Etats-Unis, et changer de fournisseur à l’issue de la durée des contrats. Le tout à un coût très compétitif et en forte décroissance ces dernières années, notamment grâce à l’arrivée sur le marché des Etats-Unis au milieu des années 2010.
Qu’en est-il des infrastructures nécessaires ?
Plusieurs infrastructures sont nécessaires pour pouvoir lancer un projet GNL : tout d’abord des champs de gaz. C’est la découverte de champs abondants au Mozambique qui a poussé au développement de son industrie GNL. Il faut ensuite des usines de liquéfaction, et des méthaniers, pour pouvoir transporter le GNL à travers le monde. Enfin, il faut des usines de regazéification, pour injecter le gaz sur le réseau local. Il est intéressant de noter que le Mozambique va également importer du GNL, comme d’autres pays producteurs de gaz avant lui, via un FSRU (unité flottante de regazéification) actuellement en cours de conversion. Cela s’explique par le fait que les zones de consommation au Mozambique sont éloignées des zones de production et qu’il n’existe pas de réseau de pipeline reliant ces zones. Le GNL va ainsi remplacer le pétrole pour produire de l’électricité moins cher et plus propre.
Quelle est la valeur ajoutée du groupe GTT sur ce marché du GNL et comment s’adapte-t-il à ses évolutions ?
Le marché du transport de GNL est en constante évolution, avec des navires de plus en plus efficaces, qui consomment de moins en moins de carburant, et exigent ainsi des taux d’évaporation (boil off) toujours plus bas. Ainsi, au cours de la dernière décennie, GTT a commercialisé de nombreuses technologies à basse évaporation – Mark III Flex, Mark III Flex+, NO96GW entre autres, qui ont permis de diviser par 2 ces taux d’évaporation de la cargaison (jusqu’à 0,07 %/jour aujourd’hui contre 0,15 % il y a 10 ans). Au-delà du cœur de métier de GTT, où nous continuons à innover, GTT s’est développé dans le domaine des solutions digitales, ou Smart Shipping, avec l’acquisition d’Ascenz, Marorka et OSE Engineering. Le potentiel d’optimisation de la consommation et des coûts reste très important pour les navires, et l’offre couplée technologique et digitale de GTT permet de répondre pleinement aux défis de nos clients, aujourd’hui et plus encore demain.
- Un marché spot (aussi appelé marché au comptant) est celui sur lequel les actifs négociés font l’objet d’une livraison et d’un règlement instantanés.
Photo en-tête : Le CMA CGM Jacques Saade, le plus grand porte-conteneurs propulsé au gaz naturel liquéfié de l’histoire du transport maritime, à Singapour. Crédit : CMA CGM.