La mer, une chance pour la France ! (par Colomban Monnier)

Deuxième zone économique exclusive mondiale et premier littoral d’Europe, la France est sans conteste un pays géographiquement maritime. L’économie de la mer y génère 119 milliards d’euros de valeur de production pour près de 500 000 emplois directs (1). Sa marine se classe au 7e rang en tonnage des flottes militaires mondiales et constitue le pilier stratégique de sa dissuasion nucléaire. Fort de cela, le maritime est-il vraiment si déterminant pour la France ?

Le maritime est au cœur des échanges

Lorsque l’on aborde ce sujet, c’est d’abord l’ampleur des flux commerciaux qui vient à l’esprit. La France a exporté pour 595 milliards d’euros de biens en 2022 selon les douanes (2). Certes les 144 400 entreprises françaises exportatrices destinent 55 % de cette valeur à l’Union européenne, mais leur troisième client n’en demeure pas moins les États-Unis, accessibles uniquement par les airs ou par la mer. Côté importations, la France a entré pour 758 milliards d’euros de biens en 2022, dont 10 % venus de Chine et 8 % des États-Unis. Là aussi, le maritime est un maillon essentiel de ces transactions.

Un effort est à faire pour capter l’essentiel du trafic commercial dans nos
ports

Les navires sont donc les artères palpitantes de notre économie globale. Les biens et les matières premières arrivent dans des ports qui irriguent le pays. 330 millions de tonnes ont transité en 2022 dans les ports métropolitains et d’outre-mer. Le compte n’y est pas ? En effet, des hubs portuaires comme Rotterdam, qui représente à lui seul 470 millions de tonnes, ainsi qu’Hambourg ou Trieste, drainent une partie des échanges commerciaux français, que l’on retrouve ensuite sur nos routes pour une portion de voyage terrestre bien plus carbonée que la partie maritime – le transport maritime émet 13 g de CO2 par tonne transportée sur 1 km, quand le transport routier en dégage 94 g – et qui souligne une réelle dépendance à l’égard d’acteurs étrangers. Si le maritime est donc déterminant pour l’économie française, un effort semble devoir être fait pour capter l’essentiel de ce trafic commercial dans nos ports et gagner en
souveraineté et en valeur.

Contrôler des terminaux étrangers permet également de créer de la valeur

Les ports français ne sont toutefois pas les seuls à revêtir un intérêt majeur. Contrôler des terminaux étrangers permet également de créer de la valeur et de l’information, et donc de renforcer une forme de « réseau et de puissance diplomatique ». A titre d’exemple, CMA CGM a massivement investi en Chine, au Moyen-Orient, en Afrique, ou au Brésil. Aux États-Unis, le groupe français contrôle une capacité de 4,5 millions d’EVP (3), dont le terminal le plus grand du pays à Los Angeles, et mène une stratégie d’expansion très ambitieuse. Les acteurs de l’économie maritime participent ainsi indéniablement de l’influence et de la diplomatie française, aux côtés de la Marine nationale.

Les câbles sous-marins : colonne vertébrale de nos échanges numériques

Les ports et les océans sont toutefois bien plus que les voies et les nœuds de la mondialisation de flux matériels. Ils placent la France sur la carte de la mondialisation digitale : 99 % des télécommunications passent par les océans, quinze câbles sous-marins relient directement Hong-Kong, la Malaisie ou les Émirats arabes unis à l’Europe, via le hub numérique Marseillais, fort de ses 5 data centers. Car ces câbles sous-marins, colonne vertébrale de nos échanges numériques croissants, sont conçus notamment par Alcatel Submarine Network, entreprise détenue à 80 % par l’État français. Ils sont aussi posés et entretenus par des navires câbliers, 60 seulement dans le monde, dont 13 sont sous pavillon français (soit plus de 20 %). À ce stade de l’exercice, il ne semble plus justifié de parler de la dépendance de la France au monde maritime, mais plutôt des opportunités incroyables que la mer lui offre et ceci pour un développement économique durable.

L’avenir réside dans la science pour une meilleure connaissance de l’Océan

30 % de l’énergie fossile est certes produite en mer et 40 % du trafic maritime mondial est dû au transport de charbon, de gaz et de pétrole, mais l’océan nous fait une nouvelle promesse : celle de fournir une manne d’énergie verte essentielle, notamment pour l’Union européenne, qui projette de produire 25% de son mix énergétique via l’éolien flottant. L’avenir réside également dans la science pour une meilleure connaissance et compréhension de l’Océan. La flotte océanographique française est l’une des plus avancée du monde, avec 17 navires, 6 sous-marins, et des milliers de scientifiques qui participent à ses missions. À titre d’exemple, 25 000 molécules marines ont été décrites ces dernières décennies, offrant la perspective de dizaines de médicaments commercialisés ou qui le seront bientôt. Quand on sait que la pharmaceutique est le quatrième secteur des exportations françaises mentionnées plus haut, la boucle est bouclée, et la nécessité d’un regain d’intérêt de la France pour son domaine maritime ne fait alors plus de doute.


NOTES :

  1. Chiffres Cluster maritime français pour 2023.
  2. Rapport annuel 2022 des Douanes françaises.
  3. EVP : Equivalent Vingt Pieds, unité de mesure des conteneurs.

Colomban Monnier, officier de marine marchande, est responsable du pôle d’innovation de la société Opsealog. Il est également enseignant en « écologie et développement durable » à l’École nationale supérieure maritime (ENSM) et Président du Conseil de gestion de la Fondation ENSM.


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