Entretien avec Pascal Lamy et Geneviève Pons.
Mis en place par l’Union européenne, le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe vise à apporter des solutions à quelques-uns des grands défis de notre temps, y compris à travers des missions impliquant des efforts de recherche particulièrement ambitieux. C’est dans ce cadre qu’a été élaborée la mission Starfish 2030, qui vise à restaurer les espaces marins et aquatiques européens d’ici la fin de la décennie. Entretien avec Pascal Lamy, président du Comité de mission de Starfish 2030, et Geneviève Pons, qui représente l’Assemblée qui entoure le Comité.
Propos recueillis par Yannick Smaldore
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Quelle est la genèse de cette mission Starfish 2030 et qui en sont aujourd’hui les principaux acteurs, les principaux « moteurs » ?
Pascal Lamy : La précédente Commission avait identifié cinq grands défis aujourd’hui pris en compte dans le cadre du programme Horizon Europe sur la période 2021 – 2027 : la lutte contre le cancer, l’adaptation au changement climatique, les villes vertes, la régénération des sols et enfin, la sauvegarde des systèmes marins et aquatiques. Parallèlement, à travers le concept Lab-Fab-App(1), nous avons souhaité que soient réorientés spécifiquement une partie des fonds européens de recherche vers la résolution pratique de problèmes précis, là où la norme consiste habituellement à financer la recherche fondamentale en espérant que quelques percées significatives en ressortent. Un des résultats est Starfish 2030, une mission ambitieuse qui vise à régénérer notre “hydrosphère” en développant notamment des innovations disruptives dans des délais restreints, et avec la participation des citoyens européens.
Geneviève Pons : Comme toutes les missions de recherche et d’innovation d’Horizon Europe, Starfish 2030 dispose d’un comité de mission, présidé par Pascal Lamy, et d’une assemblée, plus large, que je représente(2) constitués, comme bien souvent dans les structures européennes, d’acteurs venus de nombreux pays et horizons(3). Concernant les principaux moteurs de nos actions, je dois citer bien évidemment Pascal Lamy, qui est un président très actif et très engagé, mais aussi, côté français, Antidia Citores de la fondation Surfrider et François Galgani de l’Ifremer. Les autres membres du Comité(4) font aussi preuve d’un engagement fort dans leur pays, y compris Tiago Cunha de la Fondation Azul dont le pays assure actuellement la présidence de l’Union Européenne, ce qui lui donne une responsabilité et un rôle particuliers au cours de ces six mois. Nous sommes rapidement tombés d’accord pour adopter une approche systémique et aborder l’hydrosphère dans son ensemble, et pas uniquement les océans. Nous avons très vite eu besoin de soigner la pédagogie autour de notre projet. C’est ainsi qu’est née l’idée d’une étoile de mer et de ses cinq branches représentant les cinq axes indissociables de notre mission.
Y en a-t-il de plus prioritaires que d’autres ?
Geneviève Pons : Les différents axes sont étroitement imbriqués. Les citoyens se révèlent toutefois très sensibles aux problématiques liées à la pollution. L’enquête réalisée pour Starfish 2030 en novembre 2020 dans huit pays européens(5) illustre leur envie de s’engager au quotidien sur ce sujet. Nous comptons ainsi leur fournir des outils numériques leur permettant, par exemple, de remonter des informations sur les pollutions pouvant servir aux scientifiques ou aux associations militantes. A ce titre, l’axe consistant à enrichir les connaissances et à créer des liens émotionnels est essentiel.
Où en est la Mission à cette heure ?
Pascal Lamy : Pour l’instant, nous sommes encore dans la phase amont du projet. Nous terminons le rapport Starfish 2030 qui détaille la trentaine d’actions proposées. Les services de la Commission sont en train de le traduire en plan de mise en œuvre opérationnelle. La Commission européenne disposera de ces éléments vers le mois de mai prochain. Starfish 2030 devrait alors être validée et devenir un axe majeur de l’action européenne.
Êtes-vous confiant ?
Pascal Lamy : Les signaux sont plutôt bons. Il semble que la Commission commence à étudier et à organiser les structures de gouvernance nécessaires à la mise en œuvre de Starfish 2030. Il s’agit toujours d’une étape délicate et complexe. Le fait qu’elle soit anticipée est donc encourageant.
Geneviève Pons : L’initiative Starfish 2030 est issue de la précédente Commission mais s’inscrit parfaitement aujourd’hui dans le cadre du Pacte Vert européen(6), qui constitue la feuille de route de la nouvelle Commission. Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission et homme fort du Green Deal, s’est montré d’emblée disposé à prendre part à l’événement que nous prévoyons d’organiser au mois de mai prochain pour la Mission(7), sur lequel nous espérons également la présence de la ministre française de la transition écologique, Mme Pompili. Le soutien de la France, qui doit prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne début 2022, est probable et devrait nous permettre de faire de Starfish 2030 un projet phare de l’UE sous la bannière du Green Deal.
Quelles sont, concrètement, les premières actions envisagées ?
Geneviève Pons : Elles s’articuleront autour de trois volets thématiques : la régénération des écosystèmes, un objectif zéro pollution et une économie bleue climatiquement neutre, les aspects de gouvernance et d’éducation jouant un rôle de soutien. Dans cette perspective, la Mission pourra ainsi développer des initiatives d’ores et déjà existantes telles que l’initiative BlueMed ou la campagne Plastic Pirates, ou en lancer de nouvelles : le programme Blue Erasmus, la création d’un jumeau numérique de l’océan, la modernisation de la flotte côtière avec des moteurs propres, pour n’en citer que quelques-unes.
Pascal Lamy : Le succès de la Mission reposera également sur son intégration au sein de grandes stratégies et plans d’actions européens récemment lancés ou en préparation, tels que la stratégie biodiversité, le plan d’action zéro-pollution et la stratégie pour une économie bleue durable, ou encore la stratégie d’adaptation au changement climatique dans laquelle les Missions figurent déjà. Les services de la Commission européenne seront en charge de coordonner cette mise en œuvre.
Les acteurs français du maritime ont-ils été sensibilisés à la Mission ?
Geneviève Pons : Nous les avons bien évidemment consultés et impliqués très en amont, comme nous l’avons fait un peu partout en Europe. Nous avons réalisé de nombreuses rencontres, notamment avec les armateurs et les acteurs engagés dans les énergies renouvelables. Nous avons dû également naviguer dans les méandres de la lutte contre la surpêche, un sujet particulièrement sensible mais qu’il est indispensable d’aborder si nous voulons que la pêche devienne une activité réellement durable.
Pascal Lamy : L’une des vertus d’une mission comme Starfish 2030 est d’associer un très grand nombre d’acteurs. En France, nous avons ainsi travaillé en concertation avec plusieurs ministères, avec le secrétariat général de la mer, avec de très nombreux scientifiques, des représentants de la société civile et des filières économiques impliqués dans l’hydrosphère étant entendu, rappelons-le, que nous ne nous concentrons pas uniquement sur les océans mais bien sur l’ensemble des écosystèmes aquatiques. Le nombre des parties prenantes va donc bien au-delà des acteurs traditionnels du maritime. Le Cluster maritime français et les clusters européens sont aussi mobilisés, et appellent de leur vœux le lancement opérationnel de Starfish 2030.
Starfish 2030 a-t-elle des connexions avec d’autres initiatives internationales comme la Décennie pour les Sciences océaniques que viennent officiellement de lancer les Nations unies ?
Pascal Lamy : Nous travaillons et échangeons effectivement avec l’UNESCO et Vladimir Ryabinin, le secrétaire exécutif de la Commission océanographique intergouvernementale qui pilote cette Décennie pour le compte de l’ONU. Il y a bien évidemment un volet international dans la mission Starfish 2030, étant donné que l’hydrosphère que nous entendons régénérer au niveau européen n’est pas isolée du reste de la planète. Nous sommes donc mobilisés auprès de l’UNESCO mais aussi de la COP 15 de Kunming en Chine ou encore de la Conférence des Nations unies sur les océans. Le cadre général dans lequel nous nous situons est bien évidemment l’ODD 14(8) qui sert lui-même de base à la Décennie pour les Sciences océaniques. Tout cela étant également imbriqué avec d’autres initiatives, comme le Forum de Paris sur la Paix qui a primé l’initiative Antarctica 2020, par exemple.
M. Lamy, vous avez contribué à l’adoption, en 2015, de cet ODD 14. Quel bilan en faites-vous aujourd’hui ?
Pascal Lamy : Tout dépend des sujets et des objectifs pris en compte. Le traité sur la haute mer avance vers une conclusion qu’on espère prochaine. Les négociations visant à supprimer les subventions qui encouragent la surpêche pourraient également se terminer dans les prochains mois. En matière de protection des fonds marins, l’avancement des dossiers est en revanche nettement moins satisfaisant. Il y a également une disparité géographique préoccupante, toutes les régions du globe n’avancent pas au même rythme sur les mêmes sujets. Un nouveau bilan sera fait lors de la prochaine conférence des Nations unies sur les océans qui devrait se tenir cette année à Lisbonne.
Entretien tiré du numéro 270 de Marine & Océans (1er trimestre 2021)
Crédit photo en-tête : Alexis Rosenfeld / 1 Ocean.
Pascal Lamy est le Président du Forum de Paris sur la Paix et de la branche Europe du Groupe Brunswick. Il est Conseiller spécial à la Commission européenne sur les questions de prospective. Président du Comité national français du Conseil de Coopération économique du Pacifique (PECC), il participe également à de nombreux instituts et conseils (Institut Jacques Delors, Beijing forum, World trade forum…). Pascal Lamy a été de 2005 à 2013, Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de 1994 à 2004, Commissaire au commerce. Il est professeur affilié à la China Europe International Business School (Shanghai) et à HEC (Paris). Dernières publications : Strange new world (Odile Jacob 2020) ; Où va le monde ? (Odile Jacob 2018).
Geneviève Pons est Directrice générale de l’institut Europe Jacques Delors. Elle était en charge de l’environnement et du climat dans le cabinet de Jacques Delors durant ses deux derniers mandats de Président de la Commission (1991-1995) et est encore, à ce jour, considérée comme l’une des femmes dirigeantes les plus actives et les plus influentes dans ce domaine. Ancienne directrice du WWF Europe, Directrice honoraire de la Commission européenne, elle est une membre active de la coalition Antarctica2020 qui vise à protéger de vastes zones marines autour de l’Antarctique, et du réseau Ocean Unite qui mobilise des personnalités pour la conservation des océans. Geneviève Pons est diplômée de Sciences Po Paris, de la Sorbonne et de l’ENA.
Profil Twitter : @genevieve_pons
NOTES :
- Les trois « piliers » du programme de financement de la recherche et de l’innovation après 2020 tels que définis en 2017 par le Groupe de haut niveau sur la maximisation de l’impact des programmes de RSI présidé par Pascal Lamy : LAB : investir davantage dans la science (incrémentale et de rupture) ; FAB : accélérer le passage à la production ; APP : mettre l’innovation entre les mains des citoyens grâce au digital.
- Starfish 2030 dispose également d’un groupe de contact destiné à garder un lien avec de nombreuses ONG, comme le WWF, Greenpeace, Seas at Risk, Ocean Unite ou Pew Charitable Trust.
- L’assemblée de la mission est composée de Thomas auf der Heide, Milen Baltov, Miquel Canals Artigas, Sander Defruyt, Gonzalo Delacamara, Catherine Franche, Philippe Gaemperle, Peter Haugan, Peter Herzig, Edward Hill, James Honeyborne, Felikss Klagiss, Rudolf Koopmans, Eugenio Longo, Marko Mensink, Geneviève Pons, Markus Reymann, Anne-Christine Ritschkoff, Frank Rogalla, Alex Rogers, Raffaele Scoccianti, Ricardo Serrao Santos, Chiara Spinato, Dalibor Stys, Tarmo Tuur et Martin Visbeck.
- Le Comité est composé de Pascal Lamy (Président), Antidia Citores, Alan Deidun, Lowri Evans, François Galgani, Peter Heffernan, Aristomenis Karageorgis, Lea Kauppi, Darko Manakovski, Gesine Meissner, Valentin Moldoveanu, Maria Cristina Pedicchio, Tiago Pitta e Cunha, Klara Ramm et Boyan Slat.
- Danemark, Estonie, Finlande, Italie, Norvège, Pologne, Portugal, Suède. À la question « quelles sont les principales menaces pesant sur les océans, les mers, les lacs, les fleuves et les rivières », les participants à cette enquête, réalisée en novembre 2019 avec l’Ifremer, ont placé en tête les pollutions de tous ordres et la surexploitation des ressources naturelles, suivies plus loin, par les effets du réchauffement climatique, la sur-fréquentation et les conflits d’usage. Le résultat de cette enquête est disponible sur le site de l’Ifremer.
- Le Pacte vert (Green deal) pour l’Europe est la feuille de route de la Commission européenne ayant pour objectif de rendre l’économie de l’UE durable (source : Commission européenne)
- Cet événement, co-organisé avec la Compagnie Nationale du Rhône et Initiatives pour le Futur des Grands Fleuves, vise à mettre en lumière les objectifs et propositions de la Mission Starfish 2030 en relation avec les enjeux fluviaux à travers le cas emblématique du Rhône.
- L’ODD 14 est le 14e Objectif de Développement Durable (ODD) inscrit à l’Agenda 2030 de l’ONU : « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».