Asie du Sud-Est : la guerre navale aura-t-elle lieu ?

Ces deux puissances se faisaient face et se disputaient alors la suprématie des mers du Nord. D’énormes croiseurs et d’imposants dreadnoughts sortaient des chantiers navals, destinés à l’affrontement ultime, la fameuse bataille décisive chère à l’orthodoxie de l’amiral américain Mahan.

Lorsque la Chine évoque la multiplication du budget de sa marine par un et demi avant 2016, ou que le Japon annonce la mise en service de deux porte-hélicoptères supplémentaires, l’analogie est tentante, surtout dans un contexte de tensions sur les îles Diaoyu/Senkaku ou sur les archipels Paracels et Spratleys, objets de revendications contradictoires par tous les riverains de la zone.

En Asie du Sud-Est, tout le monde s’équipe. L’arme sous-marine est partout privilégiée. La Malaisie a acquis deux sous-marins de la classe Scorpène auprès de DCNS, et le Vietnam six Kilo auprès de la Russie. Singapour qui dispose d’une certaine avance sur ses voisins, poursuit ses acquisitions de sous-marins Archer achetés à la Suède. L’Indonésie a passé commande auprès des Coréens, puis a annoncé, en juin 2013, vouloir disposer des infrastructures pour construire les siens propres.

D’aucuns craignent que la prolifération de ces armes dans les bassins semi-fermés d’Asie du Sud-Est ne conduise à des dérapages. La mer de Chine méridionale, avec son système de détroits, est une nasse pour d’éventuels SNLE chinois basés sur l’île de Hainan. Les sous-marins acquis par les pays d’Asie du Sud-Est pourraient rééquilibrer la dissymétrie qui s’installe de plus en plus avec la Chine, mais rendre la nasse plus dangereuse encore.

Enfin, dernier élément qui renforce, sinon une « course aux armements », du moins une émulation régionale : l’annonce des Américains d’augmenter la présence de leurs capacités en Asie-Pacifique. La préoccupation des États-Unis de protéger leurs intérêts dans la région en assurant stabilité et sécurité pourrait se heurter aux ambitions chinoises, focalisées sur des revendications de souveraineté. Cette dynamique américaine ne risque-t-elle pas d’alimenter à Pékin une propagande d’ingérence et d’injustice ? D’aucuns pourraient craindre une « prophétie auto-réalisatrice ».

Une flotte chinoise en majorité vieillissante 

Malgré cette course aux équipements, les pays de la région obéissent dans l’immédiat à une logique différente : rattraper leur retard, car leurs forces navales sont anciennes et peu étoffées, en conséquence de quoi il leur faut aguerrir les équipages pour maîtriser ces nouveaux moyens. Surtout, plutôt que d’encourager une quelconque escalade en mer, les pays d’Asie du Sud-Est tout comme la Chine doivent d’abord faire face à de sérieux troubles intérieurs comme, par exemple, le terrorisme du groupe Abu Sayyaf sur l’île de Mindinao aux Philippines ou la question du Tibet en Chine.

Les réelles motivations de Pékin demeurent en fait complexes, au-delà des déclarations d’intentions : les discussions de la très puissante commission militaire centrale, le véritable organe de décision, sont drapées de la plus grande discrétion. Sa politique est par ailleurs partagée au gré de luttes d’influences entre les institutions – parti communiste, armée populaire – et déterminée par les intérêts du pays lui-même et de son développement économique. Contenir Taïwan demeure central, avant toute expansion vers l’Océan Pacifique, objectif à plus long terme. Les caprices de la géographie en font un véritable défi. Enfin, la flotte chinoise demeure en majorité vieillissante, et sort peu à la mer.

Pour ne pas alimenter l’idée d’une Chine seule contre les autres, Washington n’oublie pas de maintenir un dialogue avec Pékin. La flotte chinoise est ainsi invitée à participer à l’exercice RIMPAC 2014. La construction régionale, à l’oeuvre en Asie du Sud-Est, suscite également une mise en réseau et un espace de dialogue. Une Chine plus intégrée aux règles du jeu international implique qu’elle prenne conscience de sa position de Grand et des responsabilités que cela implique. C’est le meilleur moyen d’éviter la guerre. Pour tous les pays de la région, une guerre navale aurait des conséquences économiques immédiates, tant ils sont dépendants des routes maritimes pour leur croissance.

Source : Centre d’études supérieures de la Marine.

Contact : cesm.editions.fct@intradef.gouv.fr

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