Le modeste poste de police grec de l’ile de Samos, en mer Egée orientale, avait vu arriver quatre migrants en 2004 contre 900 sur les quatre premiers mois de 2014. Littéralement submergées en 2015, les autorités grecques n’ont plus eu d’autre choix que de laisser passer le flux. Et celui-ci ne va pas tarir. Les guerres en Syrie, en Irak et en Afghanistan, la pauvreté en Afrique seront toujours effectives en 2016.
Les dirigeants européens réfléchissent donc à la façon de mieux le contrôler. La piste la plus avancée est celle de l’ouverture de camps de rétention en Turquie, ce pays devant recevoir en retour une aide de trois milliards d’euros suite à un accord signé à Bruxelles, le 29 novembre 2015. Mais les conditions posées par les Turcs sont exigeantes.
Outre cette contrepartie financière – qui peut sembler naturelle pour un pays dont la croissance est passée de 9 % en 2010 à moins de 3 % aujourd’hui et qui dit devoir assumer le coût de près de deux millions de réfugiés syriens sur son sol – la Turquie a également exigé la réouverture des négociations sur son adhésion à l’UE ainsi que l’abandon des visas pour ses ressortissants voyageant en Europe. La pression migratoire est clairement devenu un levier utilisé par les Turcs pour faire plier une Europe en retrait par rapport au régime islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan.
La Turquie cherche depuis des décennies à prendre part au « grand rêve » européen. L’un des objectifs officiels de l’AKP, le parti de M. Erdogan, est de la faire entrer dans l’Union européenne au plus tard en 2023. Si l’Europe pointe du doigt la mise en œuvre d’une réelle démocratie, les atteintes à la liberté de la presse (la Turquie détient le record du monde du nombre de journalistes emprisonnés) et le problème du respect des minorités, la gestion de la problématique du flux migratoire permet toutefois à Ankara d’exercer une pression non négligeable sur ses institutions.
Le demi-million de migrants arrivé en Grèce en 2015 provenait d’une Turquie dont il est impossible de dire qu’elle ne l’a pas vu passer. La Turquie possède également une frontière commune avec la Syrie et il est de notoriété publique que les djihadistes désireux de rejoindre Daech passent par Istanbul à l’aller comme au retour. Le pays est ainsi la plaque tournante des terroristes entre l’Europe et la Syrie.
Ce qui n’empêche pas les héritiers de la « Sublime Porte » de pratiquer la Realpolitik comme le montrent leurs exigences face à une Europe prise d’assaut et traumatisée par les récents attentats du 13 novembre 2015.
Si les visas sont à ce jour toujours nécessaires aux ressortissants turcs désireux de voyager en Europe, les négociations pour une éventuelle entrée de la Turquie en Europe ont, elles, bien été ré-ouvertes en échange, pour l’Europe, d’un espoir dans un meilleur contrôle, par son ambivalent voisin, des flux migratoires.