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Spécial SOFINS 2025 : Entretien avec le contre-amiral Samuel MAJOU (ALFUSCO)

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Dans un contexte de durcissement et d’hybridité des conflictualités, l’innovation est pour les Forces Spéciales Mer une nécessité et un atout pour vaincre.

Propos recueillis par Frédéric Fontaine pour Marine & Océans dans le cadre du Salon des Forces Spéciales SOFINS 2025.

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Crédit : Marine nationale.

Amiral, quelles sont les caractéristiques du contexte géopolitique et stratégique auxquelles sont confrontées les Forces Spéciales Mer aujourd’hui ?

L’évolution du contexte stratégique est marquée par un retour des rapports de force comme mode de régulation des relations internationales. Cela se traduit par une élévation rapide du niveau général des menaces et par l’avènement d’une conflictualité durable notamment sous des formes indirectes et dans les espaces peu ou pas régulés des zones grises. Sans forcément aller jusqu’à l’affrontement direct et de nature militaire, nos adversaires utilisent à plein tous les leviers de l’hybridité à leur disposition pour atteindre leurs buts de guerre : sabotages, agitations sociétales, campagnes d’influence, pressions économiques et même instrumentalisation du droit. La politique apparait désormais comme la continuation de la guerre par d’autres moyens.

En tant qu’ALFUSCO, vous avez en charge la mise en condition opérationnelle des opérateurs des Forces Spéciales Mer. Leurs missions évoluent dans ce contexte de durcissement et d’extension du champ de la conflictualité. Comment cela se traduit-il dans les domaines de la formation, de la préparation opérationnelle et du développement capacitaire ?

La force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO) s’est adaptée à l’évolution du contexte stratégique. Son action poursuit l’intention suivante : tout en entretenant une capacité réactive et flexible de réponse aux crises (notamment en mer), développer une aptitude native à opérer dans les zones grises pour y délivrer des effets stratégiques, être enfin prêt à l’engagement de haute intensité au sein de la Marine nationale et aux côtés des autres armées comme avec nos alliés. Cette orientation comporte de fortes exigences et un triple défi : celui du maintien au meilleur niveau de notre capacité éprouvée de contre-terrorisme et d’action contre les menaces asymétriques ; celui de la montée en gamme des savoir-faire de la guerre spéciale permettant d’opérer en autonomie, en discrétion, sous le seuil d’attribution, pour porter des coups inattendus sur des vulnérabilités stratégiques adverses ; enfin celui du plein durcissement des capacités historiques de l’action commando, à savoir pénétrer en profondeur les dispositifs adverses pour fournir des accès ou frapper avec précision et létalité. Naturellement et par construction, les Forces Spéciales Mer (FS Mer) produisent des effets dans tous les milieux et tous les champs, seules ou en combinaison avec d’autres composantes Forces Spéciales, et bien sûr nativement avec la marine pour les actions spéciales navales.

Ce triple défi a imposé de revoir en profondeur certaines briques fondamentales, pour les adapter à ces enjeux :

  • Sans rien céder sur la sélectivité qui fait la réputation et la force du système FS Mer, le recrutement s’est diversifié et la formation s’est densifiée, pour répondre aux attendus de l’intégration dans un environnement multi-milieux/multi-champs (M2MC) et gagner en polyvalence et en létalité dans les unités ;
  • L’entraînement multiplie à la fois les scenarios en zones grises où sont mobilisés en mer comme à terre des procédés non standards, des moyens inhabituels et des acteurs relais, et aussi les scenarios de confrontation durcie face à des adversaires symétriques, en mer prioritairement et en interopérabilité avec les autres armées et nos alliés ;
  • Enfin, au plan capacitaire, il est apparu qu’il faut désormais pénétrer plus vite, plus discrètement et plus en profondeur les espaces adverses, qu’il faut tirer tout le bénéfice de la dronisation multi-milieux et multi-champs, qu’il faut frapper plus fort et plus précis, enfin que la confrontation requiert une bonne maîtrise des outils numériques et cyber.

En bref, la FORFUSCO est et doit rester une force redoutée de ses adversaires et respectée de ses partenaires. L’excellence est pour nous d’abord une exigence, celle de le rester. Ce mantra est un driver fort au quotidien pour tous nos commandos, qu’ils soient opérateurs, cadres ou en poste en état-major. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller à leur rencontre dans les allées du SOFINS !

Crédit : Marine nationale.

A quels défis technologiques les Forces Spéciales Mer sont-elles confrontées aujourd’hui dans l’accomplissement de leurs missions ?

Le premier défi est avant tout humain ! Derrière chaque innovation, derrière chaque matériel, c’est une compétence ou une expertise pour le mettre en œuvre efficacement. La bataille des ressources humaines est ma préoccupation première. Pour garantir au COS et à la Marine que le système FS Mer répondra aux attendus opérationnels, il faut en permanence identifier les compétences nouvelles nécessaires, dénicher et attirer en notre sein les talents qui les détiennent.

Le deuxième défi est de concilier supériorité technologique et rétro-résilience. Certes, il faut en permanence améliorer la performance des équipements, pour gagner en létalité et conserver la supériorité, notamment en recourant aux avancées scientifiques et aux technologies de rupture ou émergentes. Mais il faut également conserver des moyens résilients, durcis et autonomes, capables de résister à l’abrasivité du milieu adverse et aux risques de détection et de neutralisation, dans le champ cyber et numérique notamment. L’interopérabilité avec certains partenaires peut être aussi rendue plus difficile lorsque les moyens mis en œuvre ont des standards technologiques trop élevés.

Quelles technologies doivent être développées en priorité par les Forces Spéciales Mer ? Leur développement est-il conçu de manière autonome ou intégré de manière plus globale au sein de la Marine ou en interarmées ?

Pour la FORFUSCO, le développement capacitaire s’inscrit dans celui de la Marine nationale, première d’Europe, et seule véritablement capable d’engager des moyens d’action à portée stratégique en toute indépendance ou au bénéfice des alliés. C’est ce qui garantit l’interopérabilité native des FS Mer avec les forces navales, offrant au COS des capacités d’actions spéciales navales de premier rang. Grâce à ce système opérationnel intégralement interopérable, ce sont en réalité la plupart des moyens de la marine qui peuvent être mis au service d’une opération spéciale aéromaritime commandée par le COS. Certains moyens des FS Mer, très spécifiques pour opérer en zone grise ou requérant une approche sur-mesure, sont aussi développés en autonome par la FORFUSCO. C’est le cas de certains drones de surface ou aériens, c’est le cas de certains moyens numériques et de communication, c’est le cas de certains dispositifs létaux.

Comme nombre de nos unités partenaires, il est évident que la dronisation et la robotisation constituent deux segments démultiplicateurs d’effets devant faire l’objet d’un effort soutenu au risque sinon du déclassement. Tout va très vite, les avancées technologiques sont hyper rapides et, très clairement, tout retard aurait probablement un impact immédiat sur la réussite de nos opérations. La priorité porte ensuite sur les systèmes d’information et de communication, et plus largement ceux de commandement. Il faut que nos capacités gagnent en sécurité, en agilité et en performance, tout en restant interopérables avec celles de nos alliés. L’intelligence artificielle et le quantique y prendront toute leur place.

Evidemment, il n’est pas réaliste de porter seul ces efforts capacitaires. D’une part, les synergies se sont accrues avec les autres forces organiques de la Marine et les forces spéciales des trois Armées, pour partager les idées et les percées, et améliorer la performance collective. Le COS fédère à cet égard les efforts des composantes sur plusieurs segments, ce qui permet de peser collectivement plus fortement vis-à-vis des structures capacitaires. Nous partageons aussi beaucoup avec nos alliés, y compris européens, sur la base du retour d’expérience opérationnel de chacun.

Crédit : Ewan Lebourdais.

Comment l’innovation est-elle appréhendée au sein de la FORFUSCO ? Quels sont les approches, outils ou procédures favorisant son foisonnement et sa mise en œuvre ?

Conçues pour agir autrement et offrir au décideur politique des options militaires différentes et complémentaires de celles de forces conventionnelles, les forces spéciales développent par nature des modes d’action et utilisent des techniques inédites, disruptives. L’innovation est au cœur de leur ADN, elle forge leur identité. Les commandos marine n’échappent pas à cette règle. L’innovation provient d’abord de l’expérience pratique, du terrain, de la confrontation à un problème ou à un défaut de performance. Les opérateurs imaginent et proposent alors une solution pour améliorer, résoudre. Ils sont aussi connectés au monde et en comprennent les mutations technologiques. Ils imaginent donc aussi et proposent d’intégrer ces technologies à leur « boîte à outils » technique et tactique, comme des démultiplicateurs d’efficacité. Et comme pour imaginer et tenter il faut être créatif et audacieux, les processus de recrutement et de sélection ont pour objectif de détecter et de favoriser ces types de profils.

Ce foisonnement créatif des commandos peut parfois se heurter à certains mécanismes trop lents, trop normés, en un mot mal adaptés aux spécificités des forces spéciales qui ont besoin de liberté d’action et d’agilité. Pour rester cohérents avec les enjeux du moment qui nous bousculent et nous prennent de vitesse, et conserver l’ascendant, le temps est sans doute venu d’accroître la subsidiarité financière et réglementaire dont peuvent bénéficier les Forces Spéciales : davantage de crédits délégués pour couvrir davantage de besoins et pouvoir tenter davantage, une capacité d’achat en propre, une capacité à concevoir, fabriquer, tester et qualifier plus vite et sans doute aussi par nous-mêmes. La révolution dans les affaires capacitaires et d’innovation des Forces Spéciales en somme !

Quelle-est aujourd’hui la place du FuscoL@b dans la démarche d’innovation des Forces Spéciales Mer ? Envisagez-vous de faire évoluer les structures dédiées à l’innovation dans la FORFUSCO dans les années à venir ?

Inauguré fin 2019, le FuscoL@b a été un outil précurseur pour mettre des moyens techniques et financiers à la disposition des commandos pour réaliser leurs projets. Avec un esprit start-up, cette structure d’incubation a été particulièrement efficace pour mettre en relation des opérateurs, au cœur des besoins opérationnels, et des entreprises innovantes, aptes à apporter des solutions techniques performantes. Je constate que notre L@b a fait des émules, car des « répliques » ont vu le jour un peu partout dans la Marine et dans les autres Armées. On ne peut que s’en réjouir. Le SOFINS est aussi depuis 2013 l’expression visible de l’esprit d’innovation des Forces Spéciales.

Après l’incubation et le développement de petits projets, et après la mise en place d’un petit atelier de fabrication additive, la FORFUSCO veut franchir une nouvelle étape et s’inscrire pleinement dans la dynamique ministérielle de révolution des affaires capacitaires : c’est le projet de « FUSCO F@ctory », qui représentera une capacité autonome et internalisée de conception, de fabrication et de test d’équipements innovants à forte plus-value opérationnelle. Ces équipements sont ceux que le cadre actuel peine à financer et produire dans le respect précis de nos spécifications et dans les délais requis. L’opportunité d’y ajouter une prérogative de qualification des équipements sera aussi étudiée. Et toujours dans l’optique de gagner en réactivité et en performance sur toute la palette des objets sur-mesure qui permettent de faire la différence et de vaincre en opérations.

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