Soirée annuelle d’Armateurs de France du 30 novembre 2021 – Discours de Jean-Emmanuel SAUVÉE, Président d’AdF

Crédit : François LEFEBVRE.

Madame la Ministre de la Mer, Monsieur le Secrétaire Général de la Mer,  Monsieur l’Ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes, Amiral, Mesdames et messieurs les parlementaires, Chers amis armateurs, Cher Philippe, Chère Tanya, Chers amis,

Il y a environ 50.000 ans, il est avéré que les premiers navigateurs de notre genre humain prirent la mer, au‐delà de l’horizon, à destination de l’Australie afin de s’établir sur ce continent.

Depuis, des flottes très puissantes ont été constituées par les Égyptiens, par les Phéniciens, par les Perses, par les Carthaginois, par les Grecs, par les Romains et plus tard, même par les Chinois, avant l’arrivée de Vasco de Gama en Océan Indien.

En ce qui nous concerne, il y a 2.600 ans, un équipage grec accosta sa pentécontère de 50 rameurs dans la calanque du Lacydon que nous appelons aujourd’hui le Vieux‐Port.

Selon la tradition locale, la princesse Gyptis aurait choisi comme époux le capitaine grec Protis. Cette alliance donna naissance à la ville de Marseille. Les historiens affirment qu’il s’agit là du début de l’histoire maritime de la France…

300 ans plus tard, Pythéas partit de ce même port pour découvrir des régions inexplorées et arriva jusqu’à Thulé dont on dit qu’il s’agissait de l’Islande.

Plus tard encore, les Vénètes, nos ancêtres bretons, furent battus au large du Morbihan par les galères romaines par manque de vent, qui pourtant ne manque pas en général sur ce littoral. Ce jour‐là, cette particularité météorologique changea peut‐être le cours de l’histoire…

Au Moyen‐Age, Jacques Cœur, le premier armateur français connu, lança des routes maritimes nouvelles entre Aigues‐Mortes et le Levant.

Les heures de gloire de la Marine Marchande française se sont enchainées avec des périodes plus contrastées.

Beaucoup disent que l’ambition maritime de notre pays n’a été qu’une succession d’occasions manquées, au fil du temps.

Il y a un siècle, nous passions de la voile à la vapeur. Aujourd’hui, nous sentons bien qu’une nouvelle ère s’ouvre pour nous. Une terra incognita enthousiasmante, certes, mais aussi un océan d’incertitudes et de risques.

Toutefois, une nouvelle volonté maritime au plus niveau de l’état a été affirmée.

À Montpellier, en novembre 2019, nous avons entendu notre Président de la République dire que le XXIe siècle sera maritime ; alors, c’est peu dire que les armateurs français doivent en être !

Incontestablement, nous devons être le fer de lance d’une nouvelle et grande ambition maritime pour la France.

En effet, comment imaginer ce grand dessein sans une Marine Marchande française puissante, une flotte jeune, variée, aux avants postes des questions environnementales, sociales, sociétales
et sécuritaires ?

Quelles traces notre profession veut‐elle laisser aux générations futures ?

Si notre siècle doit être maritime, nous devons continuer à inventer l’armateur de ces temps nouveaux.

Nos forces seront l’expertise de nos équipages, nos projets innovants imaginés par nos ingénieurs et le dynamisme de nos équipes commerciales. C’est toute l’idée du Fontenoy du Maritime !

Cette dynamique, non encore complètement aboutie, Madame la Ministre, doit nous permettre de mettre en œuvre ce grand projet.

J’ai connu une période très sombre pour la marine marchande dans les années 80, nous parlions à l’époque de l’option zéro (0 navire, 0 marin, 0 armateur). C’est ce qui a été choisi pour la marine marchande américaine.

L’effort collectif qui a imposé, alors, de remplacer 75% des effectifs français de nos navires par des équipages étrangers moins coûteux et qui fût, malheureusement, d’une violence extrême pour nos marins, a été, malgré tout, fondateur.

À cette époque, les pouvoirs publics et les armateurs ont probablement sauvé notre marine de commerce, tandis que personnellement, j’ai réussi, dans le même temps, à lancer ma propre compagnie.

Qui dit marine, dit « de la suite dans les idées, du temps et de la volonté… »

Nous, les Armateurs de France, nous appliquons cet engagement au quotidien, et bien au‐delà de
nos propres affaires.

Faire flotter le pavillon français sur toutes les mers du monde, tel est notre idéal. En conséquence, notre volonté est de faire toujours nos meilleurs efforts pour développer notre flotte sous pavillon national.

Cette dernière ne sera jamais une des plus importante au monde, mais elle peut être une des plus emblématique, jeune, moderne, diversifiée, sûre, propre, et innovante. C’est aussi l’idée du Fontenoy du Maritime !

Comment imaginer cette Marine Marchande française sans cette longue tradition maritime, pas toujours suffisamment appliquée, de respect et de co‐construction entre les marins, les armateurs et nos autorités de tutelle. Depuis juillet 2020, grâce à la volonté de notre Président de la République, ce rôle, que nous saluons, est assuré par vous, Madame, notre Ministre de la Mer.

Cet état d’esprit nouveau que nous avons observé lors des travaux du Fontenoy du maritime, ce tripartisme revisité, cette navigation au long cours qui n’a pas encore atteint son port de destination… Nous continuerons à l’incarner et à y mettre beaucoup d’espoir.

Nous devons continuer à réinventer notre métier et les relations avec nos équipages, en tendant la main à nos organisations syndicales. Je souhaite saluer particulièrement leur présence aujourd’hui afin d’élaborer un nouveau contrat social, basé sur la confiance entre partenaires et le développement vertueux de notre flotte.

Comment ne rappeler pas la feuille de route de chacun d’entre nous, issue de la Charte Bleue (merci mon cher Philippe), que nous avons inscrit dans nos statuts, et qui place l’humain et l’environnement au cœur de nos engagements.

Cette année, c’est l’ensemble de nos marins que nous voulons honorer. Pour la première fois, nous leur remettons collectivement ce trophée de la Charte Bleue. C’est Nolwenn Cazé, une jeune officière, qui a été tirée au sort pour représenter, ce soir, l’ensemble de nos équipages que nous remercions, encore une fois, pour leur comportement exceptionnel pendant cette période si troublée.

L’armement maritime, toujours ouvert sur le monde, peut se concevoir en un laboratoire d’idées et d’énergies nouvelles.

C’est la raison pour laquelle nous avons signé, en septembre dernier, deux chartes majeures, l’une avec nos partenaires techniques et industriels représentés par la GICAN pour nous aider à innover ; l’autre avec les représentants de nos clients, les chargeurs, l’AUTF.

Notre quotidien est tourné vers ces derniers qui nous font confiance et que nous ne remercierons jamais assez pour leur fidélité. Mais nous devons faire encore d’avantage ensemble !

Notre projet commun repose sur plus de solidarité économique entre tous les acteurs de la filière maritime et logistique.

De notre côté, saluons notamment les efforts faits pour la stabilisation des taux de fret ou les augmentations des capacités de transport sur nos lignes conteneurs pour que les perturbations actuelles sur les chaînes logistiques n’affectent pas trop nos concitoyens. Merci Tanya, Merci Rodolphe, pour ces gestes forts qui honorent notre profession.

Comment, à titre d’exemple de cette solidarité économique que nous souhaitons relancer, accepter, encore, que seulement 5 % des 350 millions de tonnes de marchandises qui rentrent et qui sortent de nos ports chaque année soient opérées sous pavillon français ?

Nous avons des projets, il nous faut les construire, sur le long terme, avec nos clients et partenaires.

Cette solidarité économique, nous la pratiquons, aussi, entre armateurs. Je voudrais à ce titre saluer le geste emblématique de CMA CGM envers Brittany Ferries.

Les difficultés de ce monde maritime qui se transforme à vive allure sont nombreuses et les risques sont grands. Comment faire des choix stratégiques aujourd’hui qui vont nous engager pendant les 30 prochaines années compte tenu des incertitudes qui nous entourent.

Le LNG, l’hydrogène, les bio carburant, l’ammoniac, le vent, la propulsion électrique, les échappements catalytiques, le branchement à quai, il ne faut pas se tromper quand nous investissons.

Notre volonté en faveur de la décarbonisation du shipping est totale mais nous avons besoin d’être accompagné par des moyens spécifiques. Ne manquons ce rendez‐vous de notre temps !

Aussi, je rappellerai quelques engagements forts pris dans l’accord de performance et de compétitivité que nous avons signé officiellement avec notre ministre de la Mer.

Je cite « La flotte de commerce étant considérée dans son ensemble comme stratégique, nous aurons désormais la possibilité d’utiliser conjointement le crédit‐bail fiscal et la garantie des projets stratégiques de la BPI. »

Si les mots ont un sens cela veut dire que les dettes bancaires de la flotte de commerce sous pavillon français, dans le cadre de son renouvellement, pourront être garantie par l’État. Une sorte de PGE maritime long terme.

C’est une avancée majeure dont nous devons nous assurer de la bonne finalisation.

De même, je cite encore « Les contraintes qui pèsent sur le mécanisme du suramortissement vert qui le rendait inopérant ont été supprimées en l’alignant sur les critères de la taxe au tonnage ».

Cela veut dire, que nous devrions pouvoir accélérer le renouvellement et le verdissement de notre flotte, seul moyen d’atteindre les objectifs extrêmement ambitieux fixés par l’OMI. Vous savez que les modalités précises de mises en œuvre de cette mesure restent à acter et nous comptons sur vous, Madame la ministre.

Je vous rappelle, que dans les 8 prochaines années, nous devons réduire à l’échelle mondiale nos émissions de CO2 de 40% et encore bien davantage, après. Nous parlons de 1 000 milliards d’investissement dans le monde.

Comment espérer, nous, français, y arriver sans un dispositif financier extrêmement puissant.

Nous souhaitons aboutir également à, je cite toujours, « la mise en œuvre d’outils de financement alternatifs et citoyens au profit de la flotte de transport et de services maritimes ; tel que le certificat d’investissement maritime CIM (n’est‐ce pas Fernand), qui pourrait permettre, à terme, de proposer des modes de financement complémentaires au système bancaire ». Sur ce sujet aussi, notre attente est forte, Madame la ministre. Je souhaiterais à cette occasion remercier nos partenaires financiers, toujours fidèles à nos côtés.

Cette flotte sous pavillon français, nous voulons aussi l’armer avec le maximum de marins français. Aujourd’hui, heureusement, aucun d’entre eux n’est en mal d’embarquement, mais nous avons besoin de davantage d’équipage pour cette croissance souhaitée. Aussi, il a été acté par nos accords « l’objectif de doublement des officiers qui sortent de l’ENSM d’ici 2027, avec un volet important de promotion sociale qui sera intégré », bien entendu en partenariat avec les armateurs et les organisations syndicales.

Pour davantage de compétitivité, nous saluons également la « création d’une aide à l’emploi maritime (pour tous) correspondant à l’extension du dispositif de netwage mis en place en 2021 »

La mission prévue et indispensable pour les transporteurs de passagers, qui ont tant souffert de la pandémie, doit être mise en place au plus vite. Ce savoir‐faire français, cette excellence dans l’hôtellerie embarquée, sous toutes ses formes, doit être valorisée.

Sur tous ces sujets, il est indispensable de ne pas attendre !

Au‐delà de ces mesures techniques nécessaires, nous devons également encourager les vocations armatoriales, nous devons favoriser les projets nouveaux pour notre beau métier.

Armateurs de France, doit être un facilitateur d’initiatives maritimes et promouvoir les nouveaux et futurs armateurs.

Nos investissements doivent aussi être orientés vers une plus grande digitalisation et connectivité de nos navires et de nos opérations.

L’armateur français est depuis toujours, tourné vers le grand large, mais notre territoire maritime national est un océan de richesses qui représente 20 fois la superficie métropolitaine. Cet espace gigantesque qui recèle d’infinies ressources pour la croissance, l’emploi et l’innovation, doit être considéré comme une opportunité majeure pour nos armements, dans l’hexagone et dans nos outre‐mer. Madame la ministre, vous m’avez dit un jour, il y a déjà longtemps, que dans « Outremer » il y avait « mer ». Nous savons combien vous aviez raison.

Comment imaginer cette politique maritime sans des armateurs puissants mais responsables.

Comment ne pas rêver, pour la France, d’une thalassocratie moderne et pacifique ? Mais l’idée d’une Europe maritime nous est chère aussi.

Nos activités individuelles nous dépassent. Avec nos équipages, nos équipes commerciales et nos
ingénieurs, nous sommes la Marine Marchande française et cette responsabilité nous engage. Elle
nous engage en termes de sécurité et de sûreté, en matière sociale et sociétale, dans lesquels nous devons rester très avancé et, bien entendu, en matière environnementale, domaine dans lequel nous devons être exemplaire.

Cette exemplarité environnementale doit aller encore plus loin et je voudrais saluer 3 illustrations de nos actions récentes :

La mise en service du CMA CGM Jacques Saadé, premier porte conteneur au monde de 400 m de long, 23 000 EVP, l’équivalent de 12 000 semi-remorques sur un même navire, propulsé par un moteur de 85 000 chevaux, alimenté au LNG. Je voudrais rendre hommage à ce grand armateur, bâtisseur d’un groupe mondial de 110 000 collaborateurs et d’une flotte de plus de 550 navires, auprès duquel qui j’ai eu l’honneur de travailler pendant 8 années et dont ce navire porte le nom.

Jamais, même à l’époque de la compagnie des Indes, aucune compagnie de navigation maritime française n’a été aussi puissante sur les mers. Nous devons tous nous inspirer de cette volonté
farouche d’aller de l’avant.

Comment ne pas citer d’autres fleurons, ce navire, Wind of Hope, « ce vent de l’espoir », mon cher Philippe, inauguré à Saint‐Nazaire, issu des réflexions de la plus ancienne compagnie française, créée il y a 170 ans, mais toujours aussi moderne, dont le modèle, particulièrement dans l’éolien en mer, est en constante évolution.

Il y a quelques semaines pour la première fois dans l’histoire, je voudrais souligner aussi l’exploit
de la compagnie qui a été créée il y a presque 35 ans grâce aux idées novatrices d’un groupe de jeunes officiers de la Marine Marchande, partis d’une page blanche, et opérant, aujourd’hui, 13 paquebots sous pavillon français. Ce commandant Charcot, navire hors norme, LNG-électrique, premier navire dans l’histoire, à avoir touché le pôle Nord géographique et y faire flotter le pavillon français par 90 degrés de l’attitude Nord.

Je pourrais également citer la livraison aujourd’hui même du 1er ferry GNL de la Brittany Ferries que nous pouvons tous saluer.

D’ailleurs, nos compagnies de ferries crées par des entrepreneurs visionnaires (Alexis Gourvenec, Pascal Lota, Jean Rousset et bien d’autres…), nos champions du pétrole et du gaz, nos compagnies de services, nos vraquiers, nos navires poseurs de câbles sous‐marin, de soutien à l’éolien en mer, nos compagnies de remorquage, de l’offshore, de travaux maritimes, notre flotte océanographique, l’excellence de nos pilotes, nos pionniers dans la propulsion vélique, l’ensemble de nos armements petits ou grands, régionaux ou internationaux, globaux ou ayant une stratégie de niche : cette diversité est une richesse pour notre économie bleue.

Je souhaite aussi saluer tous nos partenaires : parlementaires nationaux et européens qui nous assurent de leur soutien constant, banquiers, assureurs, courtiers, chantiers, professionnels des Energies Marines Renouvelables, nos administrations et particulièrement celle des Affaires Maritimes, et bientôt notre Direction Générale de la Mer…

Notre grande famille du maritime, au sens large, (n’est‐ce pas Frédéric) est une chance pour notre pays…

Comment ne pas souligner l’aspect très souvent familial des compagnies de navigation maritime ? Il n’y a pas de geste plus beau que de transmettre ce savoir‐faire armatorial entre les générations.

Ce projet pour Armateurs de France, nous le mettons en œuvre, avec le soutien de notre délégué général, Jean‐Marc Lacave, dont je salue vivement le travail exemplaire depuis plus de 2 ans et bientôt Jean‐Philippe Casanova, qui a toute notre confiance, entouré d’une équipe d’experts, jeune, professionnelle et très féminine.

Je mets le métier d’armateur très haut dans la hiérarchie des entrepreneurs.

Nous, les Armateurs de France, que j’ai la fierté de représenter, nous voulons contribuer à créer cette nouvelle ambition maritime pour notre pays, et faire que la France soit encore longtemps présente sur les mers et les océans du monde.

Notre marine marchande est ma passion et je souhaite la servir en y consacrant toute mon énergie.

Madame la Ministre, il est certain que vous n’en manquez pas non plus, nous le savons, nous partageons la même vision, avons les mêmes objectifs, et, pour ce faire, malgré les écueils, vous pourrez toujours compter sur nous, les armateurs, à vos côtés.


Merci de votre attention.

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