À la découverte des diazotrophes de l’océan Indien

Dans le droit fil du numéro spécial de Marine & Océans consacré à l’océan Indien (voir le numéro et son “extension numérique” sur la page d’accueil), Atlantine Boggio-Pasqua nous emmène à la découverte des diazotrophes. Ces microbes, essentiels à la santé de l’océan, font l’objet d’une étude en mer d’Arabie et dans le golfe du Bengale dans le cadre du projet IDEFIX mené par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et soutenu par la Fondation Pure Ocean. 

Par Atlantine Boggio-Pasqua

Coordinatrice scientifique de la Fondation Pure Ocean

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L’azote est un élément essentiel pour tous les êtres vivants : il permet notamment aux plantes et aux animaux de synthétiser leurs protéines et leur ADN. Il est le principal constituant de notre atmosphère (78% en volume) sous forme de diazote (N2). Par dissolution, ce gaz est également la forme la plus courante de l’azote dans l’océan. Cependant, rares sont les organismes marins qui peuvent l’utiliser tel quel pour leur croissance ! Seuls quelques microbes connus à ce jour sont capables de transformer ce diazote dissous en des formes assimilables par tous les êtres vivants marins : on appelle ces microbes les “diazotrophes”, et leur action “la fixation de l’azote”. Véritables fertilisants naturels pour l’océan, ils rendent alors l’azote accessible à toute la chaîne alimentaire, en commençant par le phytoplancton. Ce même phytoplancton qui, par photosynthèse, contribue à faire de l’océan un précieux puits de carbone. 

Colonie de Trichodesmium erythraeum, des cyanobactéries filamenteuses fixant l’azote atmosphérique dans les eaux tropicales et subtropicales. Photo : Sophie Bonnet

Un phénomène encore peu étudié dans l’océan Indien

Les différents mécanismes, acteurs et contrôles de la fixation de l’azote dans l’océan sont encore à préciser, en particulier dans l’océan Indien qui a fait l’objet de très peu d’expéditions océanographiques dédiées, comparé à l’Atlantique et au Pacifique. Son climat unique de mousson donne notamment lieu à des conditions environnementales très contrastées qui affectent probablement le cycle de l’azote. Mené par l’IRD, le projet IDEFIX (“Dinitrogen Fixation in the Indian Ocean: an interbasin and seasonal comparison”) a pour objectif de mieux comprendre le processus naturel de fixation de l’azote dans l’Océan Indien. L’étude porte sur deux bassins, la Mer d’Arabie et le Golfe du Bengale, et vise à comparer l’intensité de leur fixation d’azote ainsi que leur diversité en diazotrophes en fonction de la saison des moussons. L’océan Indien se réchauffe plus vite que n’importe quel autre bassin océanique, tout en faisant face à une pression démographique grandissante. Ses ressources vivantes étant ainsi menacées, il est urgent de mieux comprendre les processus qui alimentent les chaînes alimentaires de cette région du globe, de même que leur couplage avec le climat. Cette étude comblera des lacunes essentielles dans les modèles actuellement utilisés par les océanographes, tout en précisant le rôle joué par l’océan Indien dans la régulation du climat régional et mondial. 

Une collaboration franco-indienne

Le projet s’appuie sur une collaboration franco-indienne inédite, avec comme porteurs du côté français la chercheuse IRD Mar Benavides, basée à l’Institut Méditerranéen d’Océanologie (MIO) à Marseille, et du côté indien le chercheur Arvind Singh, basé au Laboratoire de Recherche Physique (PRL), à Ahmedabad. Leur approche transdisciplinaire mêle océanographie biologique, chimique et physique, et s’appuie sur des technologies de pointe pour identifier les espèces diazotrophes et révéler leur fonctionnement. “Avec IDEFIX, des techniques de séquençage haut débit vont être déployées notamment pour découvrir de nouvelles espèces de diazotrophes propres à l’océan Indien”, précise Mar Benavides. En cette première année du projet, son équipe au MIO s’intéresse à des échantillons collectés à bord du navire océanographique Marion Dufresne entre janvier et mars dernier. D’abord isolées, identifiées et quantifiées, des souches diazotrophes de ces échantillons sont ensuite cultivées pour étudier leur métabolisme dans différentes conditions environnementales. “Celles de l’Océan Indien étant très particulières, on peut s’attendre à un fonctionnement différent de ces diazotrophes par rapport à ceux qu’on trouve dans les autres océans”, explique Mar Benavides. En 2022 et 2023, le projet prévoit la participation des chercheurs français et indiens à la seconde Expédition Internationale dans l’Océan Indien, afin d’effectuer des mesures in situ.  “Depuis la première Expédition Internationale dans l’Océan Indien en 1962-1965, plus de 50 ans se sont écoulés”, souligne Mar Benavides, “il est aujourd’hui grand temps d’y retourner pour étudier cet océan méconnu, dynamique et fascinant, qui pourrait apporter des réponses aux questions actuelles sur le rôle des océans dans le changement climatique”.


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Photo en-tête : Échantillonnage de colonies de Trichodesmium au sud des îles Canaries, septembre 2017 (à gauche, Mar Benavides). Crédit : DR.

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