Deep Ocean Search, l’expertise majuscule des grandes profondeurs – Entretien avec son Directeur des opérations Nicolas Vincent.

Deep Ocean Search (DOS) est l’un des acteurs majeurs du très petit et très sélectif monde de l’exploration sous-marine. Spécialisée dans la prospection et l’intervention jusque dans les très grandes profondeurs, 11 000 mètres, la société regroupe, à l’image de Nicolas Vincent, d’incroyables talents, majoritairement français, à l’origine de nombreux exploits humains, techniques et technologiques au plus profond des océans. Récit. 

Propos recueillis par Bertrand de Lesquen

***

Deep Ocean Search (DOS) a été créée en 2010, à l’aube d’une nouvelle étape de l’exploration des océans qui a vu apparaître de nouvelles technologies qui entrouvraient alors la porte des très grandes profondeurs. Qui est à l’origine de cette entreprise, pour quel projet et quelle ambition ?

A l’origine, DOS est le résultat d’une réflexion issue d’une branche du célèbre groupe COMEX qui fut le leader international du subsea (Ndlr, l’intervention sous-marine) de la fin des années 60 jusqu’au milieu des années 1990. L’idée était d’employer l’ingénierie créée pour les marchés pétroliers sur des applications de sauvetage grand fond.  Ces technologies furent d’abord utilisées sur les épaves du Böhlen, ou du Tanio avant de s’étendre à tout type de sauvetage en mer. Plus tard, avec le progrès des technologies, ce seront aussi l’Erika, le Prestige etc. Plus tard encore, ce seront de nombreux marchés civils et militaires, mais aussi les incidents aériens. Dès le milieu des années 80, le président fondateur de COMEX, Henri Delauze, confia cette structure à John Kingsford qui au fil des années transforma cette division en société indépendante. Aujourd’hui c’est plus de 40 années de savoir-faire qui sont réunis chez DOS. Depuis peu, une nouvelle structure est même revenue en France, The Deep Company SAS afin de réintégrer le pays qui nous a vu naitre.

Pouvez-vous nous présenter les différentes expertises de DOS avant que nous ne revenions plus loin sur certaines de vos missions les plus exemplaires. 

Nous opérons divers services. La prospection des très grands fonds reste notre prestation primaire, notamment pour les projets spéciaux, les relocalisations d’éléments perdus en mer ou les prélèvements en plaine abyssale. Notre expérience est quasi unique. En 2016, nous avions déjà parcouru l’équivalent de 1,3 fois la circonférence de la terre avec un véhicule à plus de 4500 mètres de profondeur et nous étions capable d’intervenir jusqu’à 6000 mètres quotidiennement. C’est une expertise incomparable dans la profession. Notre seconde activité se concentre sur le service survey  (hydrographie et prospection) pour l’industrie, notamment pétrolière ou de l’éolien en mer. Enfin, nous avons également un important secteur de conseil, de veille et accompagnement technologique.


L’épave de l’Endurance, le trois-mâts de l’explorateur anglo-irlandais Sir Ernest Shackleton, écrasé par les glaces au large de l’Antarctique en 1915 et retrouvé en 2022 par 3 000 mètres de fond. Credit : Falklands Maritime Heritage Trust.

A ce jour, quel est le modèle économique de la société ? Comment se répartit son chiffre d’affaires par secteur d’activité et quelles sont les perspectives pour les années à venir ? 

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Nos diverses activités sont très déséquilibrées d’une année à l’autre. Ces dernières fournissent des revenus très disparates. Nos chiffres d’affaires peuvent varier d’environ 2 à 3 millions d’euros par an à environ 20 à 25 millions d’euros par an. Les activités de récupération d’éléments perdus en mer reposent sur un modèle économique très particulier appuyé sur des investissements et partenariat sur plusieurs années. Cela explique ce delta sur nos résultats.

DOS prospecte également dans le domaine des mines. De quoi s’agit-il précisément et quelle part cela prend-t-il dans l’activité de l’entreprise ? 

A ce jour, si DOS a historiquement participé à l’élaboration de cahiers des charges de campagnes de détection, d’exploration et d’inspection de champs sous-marin, nous n’avons jamais opéré sur site. Nous espérons en revanche à partir de 2025 offrir des solutions à bas coûts et faible empreinte carbone, de prospection et inspection pour les organismes nationaux et/ou ONG souhaitant des mesures environnementales complémentaires sur ces zones méconnues. Pour cela, nous lançons notre nouveau robot sous-marin de travail (Work Remote Operated Vehicle ou WROV) ultra compact mais capable de travailler jusqu’à 6000 mètres de profondeur.

Vous avez participé à la recherche de nombreuses épaves. Prenons en quelques-unes parmi les plus symboliques pour le public français en commençant par celle du sous-marin la Minerve(1). Comment avez-vous été mobilisés pour cette recherche, quelles ont été les difficultés majeures, quels équipements et technologies avez-vous mis en œuvre ? 

Dans ses activités de conseils, DOS a accompagné de 2016 à 2023, l’énorme groupe américain Ocean Infinity(2), le premier à avoir été capable d’aligner une meute de 8 drones sous-marins de type Hugin6000, le plus performant au monde, sur le même navire. Travailler en meute est alors une avancée technologique absolument pionnière. A partir de 2016, DOS accompagne donc ce groupe dans la maitrise de ses moyens innovant. En parallèle, nos équipes guident en mer ses opérations pour un transfert de savoir. C’est dans le cadre de cette collaboration que DOS a établi la relation avec le SHOM pour la recherche de la Minerve. Pour cette opération, nous avions annoncé notre capacité à couvrir la zone de recherche établie par la Marine nationale en seulement sept jours au lieu des quelques mois prévus par le programme prévisionnel. Et nous avons finalement détecté, identifié et inspecté la Minerve en seulement 5 jours. Les équipes DOS à bord ont eu la charge de l’analyse sonar et de la liaison avec le SHOM. Il convient de spécifier que les travaux de la Marine nationale dans la détermination du secteur de recherche ont été absolument remarquables. La découverte de la Minerve reste une fierté pour le personnel DOS notamment pour l’expertise en analyse sonar. Nos analystes sonar sont des vétérans de la guerre des mines ou des détecteurs de la Marine nationale. Nous avons clôturé notre relation avec Ocean Infinity en septembre 2023, ce groupe n’ayant désormais plus besoin d’accompagnement et poursuivant seul sa stratégie d’innovation.


Le S.A. Agulhas II se fraye un chemin à travers la glace à la recherche de l’épave de l’Endurance. Credit : Falklands Maritime Heritage Trust/Nick Birtwistle.

Vous avez également participé à la découverte de l’avion P38 d’Antoine de Saint-Exupéry qui s’est écrasé le 31 juillet 1944 en Méditerranée. Quelle part avez-vous prise dans cette recherche ? Selon le site du Parc national des calanques (calanque-parcnational.fr) « la simulation informatique de l’accident à partir des pièces déformées montrerait un piqué, presque à la verticale et à grande vitesse, dans l’eau« . Vos recherches ont-elles permis d’en savoir plus sur les causes de ce crash ?

C ‘est effectivement deux ans de travail notamment pour moi qui ai conduit les opérations en mer. A cette époque, la recherche est dirigée par Henri Delauze en personne dont nous avons parlé précédemment. Ce fut une très longue opération car l’avion a été disloqué par des décennies de chalutage. C’est justement grâce à la découverte de la fameuse gourmette de Saint-Exupéry par un pêcheur(3) que la recherche de son avion a été entreprise. L’identification de l’épave par son numéro de série (2734 L) est absolument incroyable. Cela nécessita des recherches en archives chez Lockheed aux Etats-Unis et une validation de la méthode par le relevé du numéro de série équivalent sur l’épave du P38 de Lieutenant James. G Riley en baie de la Ciotat. Je recommande la lecture du livre du véritable inventeur de cette épave M. Luc Vanrell(4). Luc est intimement lié à cette histoire. Il a réalisé une incroyable investigation digne des plus grands détectives jusqu’à la découverte du pilote allemand qui aurait abattu Saint-Exupéry en vol.

Vous avez aussi été mobilisés pour la recherche de nombreuses épaves d’avions à la suite de crashs. Comment se sont déroulées vos interventions ?

DOS réunit en effet dans son groupe tous les acteurs ayant participé à la recherche de l’ensemble des incidents aériens civils à plus de 1000 mètres de profondeur depuis 2004. DOS est à cet égard référencé par le Bureau Enquêtes Accidents pour la sécurité de l’Aéronautique d’État (BEA). Nos implications sont diverses dans ces recherches. Pour le FS604 en 2004, nous avons obtenu les félicitations du Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin. Nous avons réalisé le sauvetage de tous les éléments d’enquête. Les boites noires ont été entendues et localisées par le groupe CEPHISMER de la Marine nationale. Le commandant de la cellule grand fond de CEPHISMER de l’époque, Jean-Christophe Caillens, a depuis rejoint DOS. Il va devenir, entre temps, le représentant de l’Etat français sur la localisation de l’AF447. Il sera le contrôleur des opérations à bord des navires de recherches. Nos équipes, dont Jean-Christophe, vont ensuite déployer la meute d’Ocean Infinity pour la recherche titanesque du MH370, et enfin, localiser (en 24h cette fois) puis remonter les boites noires du vol MS804, le Paris-Le Caire perdu en mer, en 2016 par 3000 mètres de fond. Cette dernière opération sera réalisée depuis notre navire de l’époque le M/V John Lethbridge qui était équipé de moyens subsea calibrés pour 6000 mètres de profondeur. 


Jérémie Morizet (à gauche sur l’image) est devenu en octobre 2024 l’océanaute français le plus profond de l’histoire avec une plongée à 10 806 mètres dans la fosse des Tongas, dans le Pacifique, à bord du submersible Bakunawa. A ses côtés, le pilote australien Luke Siebermaier. Crédit : Deep Ocean Seach et Inkfish.
 

Autre mission extraordinairement symbolique, la recherche de l’épave de l’Endurance, le trois-mâts de l’explorateur anglo-irlandais Sir Ernest Shackleton, ainsi (re)nommé en référence à la devise de sa famille « By endurance we conquer (nous vainquons par l’endurance) », écrasé par les glaces au large de l’Antarctique en 1915 et retrouvé en 2022 par 3 000 mètres de fond. Cette épave mythique était, dit-on, celle la plus difficile à localiser au monde. Pouvez-vous nous raconter les moments les plus forts de sa recherche et de sa découverte ? 

Là encore, c’est pour moi trois ans de travail à la mesure de l’héritage de Shackleton. Si Sir Ernest est peu connu en France, il est en revanche considéré au Royaume-Uni comme le plus grand explorateur de tous les temps. L’Endurance génère dans les pays anglo-saxons plus d’engouement que pour le Titanic. Shackleton est reconnu avant tout pour son leadership : il a échoué dans toutes ses expéditions polaires mais toujours en sauvant la vie de ses équipes. Pour l’Endurance, une première expédition avait échoué en 2019 avec la perte d’un drone Hugin6000 sous la glace. C’est de cet échec que nous avons construit le succès de notre expédition de 2022. Il a fallu inventer de nouvelles solutions jamais utilisées auparavant dans l’industrie subsea car les conditions de glace dans cette zone sont épouvantables. La glace de mer dérivante contrôle toutes les opérations en mer de Weddell. A la place du Hugin6000 qui est la formule 1 des fonds marins, nous avons donc plutôt conçu un 4×4, plus adapté à la glace. Ce sera le Sabertooth du constructeur SAAB. Puis les Allemands de la société Drift+Noise Polar Services ont conçu un logiciel de prédiction de glace nous permettant d’anticiper les dérives. Avec toutes ces solutions technologiques, il nous a fallu, pour rechercher l’Endurance à une profondeur comparable à celle du Titanic, combattre des conditions météorologiques extrêmes et une glace pouvant atteindre cinq mètres d’épaisseur dans cette région du monde. La zone de recherche à couvrir s’est avérée équivalente à la ville de Londres ce qui nous donne le record du monde de couverture géophysique des fonds marins en mer de Weddell. Il reste bien évidement de cette aventure les émotions intenses de la découverte de cette épave mythique de l’exploration polaire. La découverte a eu lieu le 5 mars 2022 soit exactement 100 ans jour pour jour après les obsèques de Shackleton en Géorgie du Sud. Il semble donc qu’il veillait sur nous pour donner son aval à cette découverte. Cette incroyable aventure est décrite dans le documentaire de National Geographic, Endurance, prochainement disponible en France sur Disney+, mais aussi dans mon livre Endurance, The Discovery of Shackleton’s legendary Ship aux éditions National Geographic.

En 2013, vous menez une opération de récupération, la plus profonde alors jamais réalisée, à 5 150 mètres, dans l’Atlantique Sud, au large de la Namibie : 100 tonnes de pièces d’argent enfermées dans l’épave d’un cargo britannique, le City of Cairo, torpillé par un sous-marin allemand en 1942. Que pouvez-vous nous raconter de la découverte et de la remontée de cet incroyable trésor, propriété de la couronne britannique ? Comment l’entreprise qui remonte un si fabuleux trésor est-elle rémunérée ?  

Il convient effectivement, au préalable, d’insister sur le fait que ce projet a été réalisé pour le compte du gouvernement britannique, propriétaire de la cargaison. DOS a été rémunéré comme prestataire de service ayant opéré les opérations en mer. Il arrive dans ce type de contrats que le propriétaire accorde un faible pourcentage de la valeur de la cargaison à l’opérateur, sous réserve seulement que les coûts opérationnels soient couverts. Ce sont des contrats extrêmement complexes. Ce projet représente une décennie d’efforts. Il a fallu en effet s’assurer des données historiques, effectuer des recherches de navigation poussées, s’assurer des parties légales, négocier les contrats avant de pouvoir mettre un pied à la mer. Il a fallu ensuite, avant d’entamer le sauvetage de la cargaison, localiser et identifier l’épave. Et alors qu’il avait déjà fallu une maitrise opérationnelle pointue pour permettre sa détection à cette profondeur, il a également fallu réaliser un tour de force d’ingénierie pour permettre une production efficace de son exploitation. Une partie de la cargaison était dispersée sur le fond marin car la torpille du U-boat avait touché la cale où se trouvait la cargaison. Il a donc fallu mettre au point une méthode rapide et efficace de ramassage sur la plaine abyssale. Il a fallu également ouvrir la cale du navire comme on ouvre une boite de conserve pour en extraire la cargaison restante. Je rappelle qu’il s’agissait d’un cargo moderne en acier, que nous étions par 5 150 mètres de fond et qu’à cette époque, moins de 10 opérateurs au monde étaient capables d’atteindre et de travailler à cette immersion…


Nicolas Vincent en mars 2024, au Yacht Club de Monaco, lors d’une journée dédiée à l’exploration organisée par The Explorers Club dans le cadre de la 7ème édition de la Monaco Ocean Week. A sa droite, Victor Vescovo, le premier homme à avoir atteint les cinq points les plus profonds de la planète.
Photo Bertrand de Lesquen.

DOS peut également s’enorgueillir d’avoir découvert, le 22 juin 2022, l’épave la plus profonde au monde, celle de l’escorteur USS Samuel B. Roberts. Que pouvez-vous nous en dire sachant que cela a été pour DOS l’occasion de tester le premier sonar à balayage latéral 11 000 mètres de l’histoire. Est-ce bien cela ? 

En effet, c’est au beau milieu de la préparation du projet Endurance que je reçois un appel de Victor Vescovo en personne. A ce stade, Victor a besoin d’un sonar capable de plonger par toute profondeur, un sonar FOD pour Full Ocean Depth, pour son submersible Limiting Factor, à ce jour presque le seul au monde à pouvoir atteindre le point le plus profond des océans, soit 11.000 mètres. Victor veut partir à la recherche des épaves de la bataille de Samar, cette célèbre bataille navale de la 2e Guerre mondiale qui a notamment impliqué le fameux cuirassé japonais Yamato. Il veut aussi participer au projet Seabed2030 de la fondation japonaise GEBCO qui consiste à cartographier l’ensemble des océans.  Il a donc besoin d’un sonar FOD. L’équipe projet DOS, dirigée par Sébastien Bougant, va donc concevoir un sonar à balayage latéral unique au monde pour cet engin. L’équipement est gréé sur le submersible quelques jours avant notre départ en Antarctique pour la recherche de l’Endurance. Une campagne d’essais est conduite à notre retour. C’est alors que l’équipe de Victor réalise qu’elle ne dispose pas de personnel capable d’interpréter les données. Nous décidons avec Sébastien d’envoyer à bord notre ingénieur Subsea, Jérémie Morizet. Victor et Jérémie vont finalement trouver l’USS Samuel B. Roberts pendant la campagne de recherche du porte-avions USS Gambier Bay qui, lui, reste toujours à découvrir.

Comment évoluent les technologies sous-marines ?

Les progrès technologiques vont à une vitesse hallucinante. La performance des véhicules sous-marins évolue à la vitesse de l’éclair. Pendant notre période de collaboration avec Ocean Infinity, l’autonomie des drones Hugin6000 a quasiment doublé. En parallèle, les capteurs sont devenus de plus en plus performants. L’équipement utilisé pour réaliser un jumeau numérique de l’Endurance avec 1mm de résolution, n’existait pas en 2020 quand je l’ai désigné sur le projet. De nombreux fabricants proposent aujourd’hui ce produit qui est maintenant de nouveau révolutionné par l’IA. Le SLAM (Simultaneous localisation and mapping) est une méthode de cartographie technologique qui permet aux robots et autres véhicules autonomes de simultanément construire une carte et de se localiser dessus. Cela change complètement la donne en milieu immergé. DOS disposera en 2025 d’un WROV capable d’intervenir à 6000 mètres de profondeur, résultat de 20 ans d’expertise quasiment unique au monde. Nous avons voulu un véhicule compact sans pour autant réduire ses capacités d’emport. Il pourra être mobilisé sur des navire de petites tailles, à partir de 50 mètres, là où il faut habituellement d’énormes moyens avec des navires de plus 80 mètres. Il sera donc accessible pour des budgets réduits et pour une plus faible empreinte carbone. Après l’incident du Titan, et pour répondre à la situation géopolitique complexe du moment, nous tâchons de rendre cet ensemble compatible avec les transports aériens militaires.

Vous évoquez le Titan… Explorer les grandes profondeurs n’est toujours pas une promenade de santé comme l’a illustré l’accident de ce sous-marin lors de sa plongée sur l’épave du Titanic, le 21 juin 2023. DOS a participé aux opérations de sauvetage. Comment analysez-vous ce drame sur lequel Victor Vescovo, qui est, rappelons-le, le premier homme à avoir atteint les cinq points les plus profonds de la planète à bord de son submersible Limiting Factor, a été très sévère ? 

DOS a offert son soutien et ses conseils gracieusement à la force de sauvetage mais n’a pas participé aux solutions déployées sur le site. Nous n’étions pas capables de répondre dans les temps. Ce constat a beaucoup joué dans nos choix stratégiques pour l’avenir. Concernant le Titan, Victor a parfaitement raison sur ses positions. J’ajouterai que James Cameron, qui n’est pas seulement un cinéaste célèbre, mais aussi un océanaute accompli ayant plongé dans la fosse des Mariannes, a pris des positions encore plus sévères. L’ensemble de la profession était très critique contre les choix d’OceanGate depuis plusieurs années. Il faut souligner que cette société a refusé de se plier aux organismes de classification qui sont très stricts, sous prétexte de choisir des solutions technologiques pas encore reconnues. On sait hélas désormais pourquoi. Il faut savoir que cet incident est le seul dans l’histoire des bathyscaphes. Je ne peux qu’ajouter qu’il est inacceptable de faire subir ce risque à des passagers ou à des tiers. J’ai une pensée particulière pour Paul-Henri Nargeolet(5) pour qui nous avions tous un immense respect et une grande admiration. En avril dernier, j’ai pu exposer avec Victor nos positions communes à Monaco en présence du Prince Albert II, lors d’une table ronde publique avec Richard Garriott, président de The Explorers Club.

En octobre 2024, Jérémie Morizet, ingénieur projet chez DOS, que vous venez de citer, est devenu l’océanaute français le plus profond de l’histoire, en plongeant, à bord du submersible Bakunawa, l’ancien Limiting Factor de Victor Vescovo, à 10 806 mètres de profondeur dans la fosse des Tongas, dans le Pacifique. Quel était l’enjeu, sur le plan technique, de cette plongée et quel en était surtout l’objectif ? 

Il s’agissait de poursuivre la collaboration initiée avec Victor Vescovo pour le sonar, vers un système de géolocalisation Full Ocean Depth (FOD). Même si entre temps, Victor a cédé le submersible Limiting Factor à la fondation Inkfish qui l’a renommé Bakunawa. Inkfish apporte son soutien au monde scientifique pour la connaissance des océans, et continue les programmes de Victor. Parmi ceux-là, demeure l’idée de cartographier les fosses océaniques. Pour géo-référencer les imageries sonar latéral, il est nécessaire que le véhicule soit correctement positionné dans les trois dimensions quelle que soit la profondeur d’eau. DOS travaille donc à créer un positionnement capable d’atteindre 11000 mètres de profondeur car aucun constructeur ne propose de solution FOD. La campagne dans la fosse des Tongas consistait à réaliser une première série de tests en mer. Le programme va se poursuivre prochainement afin d’obtenir un produit stable et sécurisé.

La France est à la pointe de l’exploration des océans qui sont au moins aussi difficiles si ce n’est plus difficiles à pénétrer que l’espace. Pourtant les océanautes français, comme Jérémie Morizet, sont moins médiatisés que les astronautes français. Comment expliquez-vous cela ? Les fonds marins font-ils moins rêver que l’espace ? 

Disons que les Français au sens large ont, peut-être, quelques difficultés à s’intéresser aux océans. Pour autant la France est effectivement une grande nation maritime qui porte des innovations et continue à faciliter la pénétration de l’homme sous la mer. Le monde moderne va vite. On peut regretter que l’on oublie nos grands explorateurs. Je constate que les jeunes générations ne savent déjà plus qui sont Tazieff, Cousteau ou même Paul-Émile Victor alors même que l’Institut polaire français porte son nom. Par conséquent, si le nom des astronautes reste, il faut d’abord s’en réjouir. Il n’existe quasiment aucune structure culturelle en France pour porter l’histoire de l’homme sous la mer, à part, la Cité de la Mer de Cherbourg(6) qui effectue un travail remarquable sur le sujet. Concernant l’exploit de Jérémie, nous aimons dire chez DOS, que nos réussites sont le résultat de notre groupe avant tout. Il en est de même, par exemple, pour la découverte de l’Endurance.  Nous devons garder en tête que sans la gestion de Sébastien Bougant ou le soutien surface de Clément Schapman, mais aussi de tous les équipages, la plongée n’est pas possible. Pour autant le parcours de Jérémie reste inspirant pour les jeunes générations et c’est ce qui nous tient à cœur. Il y a environ 20 ans, j’ai embauché Jérémie à la sortie de l’école d’Intechmer de Cherbourg alors que je dirigeais le Département des Operations Marines de COMEX, en relation directe avec Henri Delauze. Pour mémoire, Henri Delauze était aussi, depuis 1962, le Français le plus profond avec le bathyscaphe Archimède. Si le « président » était encore parmi nous, il tenterait déjà de surpasser Jérémie. J’aime à penser qu’il doit quand même être fier de nous voir marcher dans ses traces.

Quels sont les enjeux aujourd’hui dans les grandes profondeurs. Que peut-on y découvrir ? Que peut-on y faire au regard de la technologie existante ? Et surtout que pourra-t-on y faire demain ?

Tout reste à faire dans les profondeurs océaniques. La plus grande partie des océans reste à découvrir et les moyens pour le faire n’arrivent que maintenant. Pour comparer à l’aviation, si la plongée côtière est un vol en ULM, il faut se poser sur la lune pour atteindre l’Endurance et sur Mars pour atteindre Challenger Deep dans la fosse des Mariannes. Très peu d’opérateurs ont ces capacités aujourd’hui. Qui se doutait, il y a encore quelques années, que SpaceX se poserait sur une barge en mer et réutiliserait les lanceurs ?

2025 va être une année cruciale sur le sujet de l’exploitation minière des grands fonds marins ? Que pense, sur ce sujet, celui qui travaille depuis si longtemps à donner à l’homme l’accès aux grandes profondeurs ? 

Il s’agit d’un sujet complexe. Si on en croit encore Victor Vescovo qui n’est pas seulement un explorateur des océans mais aussi un économiste à la tête de puissants réseaux financiers, le subsea mining ne serait peut-être pas une approche économique défendable. Victor s‘appuie sur les coûts opérationnels pour maintenir des moyens de production capables d’intervenir à des immersions dépassant 3000 mètres, et, sur l’évolution du marché, notamment automobile, pour qui les technologies de batteries s’éloignent des matériaux en plus haute concentration en plaine abyssale (ex : cobalt et nickel). De notre expérience en extraction grand fond sur les épaves de nos clients, on ne peut que confirmer que les coûts de production sont colossaux et que c’est un modèle économique complexe. Par ailleurs, le marché mondial des matériaux non ferreux est lui aussi très instable. Et enfin, l’industrie automobile va effectivement extrêmement vite et s’oriente déjà vers des solutions utilisant des nouveaux matériaux.  L’année 2025 sera, en effet, un tournant avec l’arrivée imminente des codes miniers internationaux de l’Autorité Internationale des Fonds marin. Il y a beaucoup de positions très tranchées sur le sujet. Pour autant, même si de nombreux contrats d’exploration ont été fournis, disposons-nous de suffisamment de données ? Il est inquiétant de voir que certains parviennent à entrer en production via des failles juridiques. Il conviendrait d’augmenter les données environnementales et de les confronter aux résultats d’exploration afin de parfaire les connaissances pour prendre des décisions rationnelles et non partisanes dans cette course aux ressources. Et si l’humanité doit prendre la décision, ou pas, de protéger les grands fonds d’exploitation industrielle, cela doit être unanime et réfléchie, et non pas à partir des choix individuels de certains pays voire d’entreprises privées. Prenons l’exemple du Traité de l’Antarctique qui montre que les nations savent prendre des décisions communes pour tous quand cela est indispensable pour la protection de notre planète. Quelle que soit la décision finale sur l’exploitation minière des grands fonds marins, elle doit avant tout être une décision planétaire unilatérale.

DOS collabore avec la célèbre société de géographie américaine The Explorers Club (TEC), fondée en 1904, qui rassemble toutes les stars de l’exploration dans tous les domaines (terre, montagne, mer…). Quels projets développez-vous ensemble ? 

Nous avons de nombreuses discussions avec TEC et sommes très fiers d’avoir été accepté dans ce cercle restreint des plus grands explorateurs de la planète allant d’Ernest Shackleton à Neil Armstrong.  Nous abordons divers sujets notamment sur le soutien aux fondations pour les océans, les navires d’exploration du futur, l’aide à l’intervention sous-marine et même des sujets d’exploration qui vont nous sortir de notre zone de confort. Mais je n’en dis pas plus. Reparlons-nous dans quelques mois.


Ingénieur sous-marin, géomètre et plongeur, Nicolas Vincent a cofondé et dirigé pendant plus de 15 ans, dans les années 1990, le Département des opérations maritimes de COMEX. Il a ensuite rejoint en tant que directeur des opérations Subsea Resources PLC, spécialisée dans le sauvetage en eaux très profondes. Avec ses 25 ans d’expérience, il gère l’ensemble des besoins techniques actuels et futurs de DOS, ainsi que le personnel et les opérations en mer. Il est l’auteur de Endurance, The Discovery of Shackleton’s legendary Ship. Editions National Geographic.


En savoir + sur Deep Ocean Search  : deepoceansearch.com 


Notes

  1. Sous-marin français disparu au large de Toulon avec ses 52 membres d’équipage le 27 janvier 1968, retrouvé en 2019 par 2230 mètres de fond à 45 km au large du port militaire.
  2. oceaninfinity.com
  3. Jean-Claude Bianco, « Le mystère englouti Saint-Exupéry », Éditions Ramsay, 2006.
  4. Saint-Exupéry, l’ultime secret. Enquête sur une disparition, avec Jacques Pradel, Éditions du Rocher, 2008 (réédité chez Litos en juin 2024).
  5. Plongeur et explorateur sous-marin français. Il était un spécialiste du Titanic et directeur du programme de recherches sous-marines sur l’épave.
  6. citedelamer.com

 

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