Propos recueillis par Bertrand de Lesquen
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Quelles sont l’histoire et la vocation de Modalis ?
J’ai fondé Modalis en 2002 avec pour objectif la location d’équipements dédiés à la logistique intermodale qui consiste à transporter des marchandises au moyen de conteneurs ou de semi-remorques spécialisées. Cette activité économe en énergie et à faible impact carbone me permettait d’être en phase avec ma volonté d’avoir un impact sur l’environnement, en particulier sur le secteur du transport de marchandises. Le transport intermodal permet en effet de massifier les flux, de sécuriser les acheminements de matières dangereuses, d’économiser de l’énergie et de limiter fortement les émissions nocives. Pour une tonne de marchandise transportée, c’est 4 à 6 fois moins d’énergie dépensée, environ 7 fois moins de particules nocives émises et, 8 à 12 fois moins de CO2 dégagé. C’est donc un levier très puissant de décarbonation. Le Groupe Modalis a pour vocation la mise en œuvre de ce report modal, quel que soit le type de fret sous-jacent, et contribue ainsi à la transition écologique et énergétique.
Quels sont aujourd’hui les principaux métiers du Groupe Modalis ?
Le Groupe Modalis décline auprès des compagnies maritimes, des transitaires, transporteurs, logisticiens et industriels-chargeurs une gamme d’activités autour de l’intermodalité. Tout un écosystème de services dont le centre est la fourniture de matériels de transport intermodal.
En particulier, Modalis gère une flotte d’environ 4 000 matériels (soit environ 7 000 EVP) dont 1 500 contenants aptes au transport de produits vrac (liquide, gaz et solide), 2 000 caisses mobiles aptes au transport de marchandise générale ainsi que des châssis porte-conteneurs (droits et basculants), et plus de 1 200 plateformes wagons porte-conteneurs. Cette flotte très diversifiée permet d’adresser différents secteurs dont l’agroalimentaire : transport de denrées alimentaires (céréales, farine, sucre, produits périssables), de matériaux du BTP (sable, chaux, graviers), de la chimie/pétrochimie (plastiques, matières dangereuses), de la métallurgie, de la pharmacie, de l’industrie du bois, de tout ce qui touche à l’environnement (la valorisation de déchets, etc.)
Au fil des années, Modalis a enrichi son offre et propose aujourd’hui des solutions logistiques intermodales intégrées, allant de la fabrication et vente à la location-maintenance de matériels (conteneurs, caisses mobiles, wagons intermodaux), l’ingénierie et en particulier les travaux liés aux installations logistiques et de stockage, la gestion de terminaux intermodaux, l’organisation de transports ferroviaires réguliers ou sur-mesure, et l’adjonction, le cas échéant, du dispositif des certificats d’économie d’énergie.
Cette approche holistique originale permet d’offrir une alternative aux propositions des loueurs traditionnels adossés à de puissants fonds d’investissement internationaux. A l’inverse, Modalis se positionne agilement sur des niches à forte valeur ajoutée et mise sur l’innovation et l’optimisation des matériels. Régulièrement de nouveaux équipements plus productifs, plus ergonomiques sont conçus, testés et exposés lors d’événements professionnels, avant d’être proposés à la location.
En outre, depuis le rapprochement l’été dernier avec Air Flow, acteur majeur de la logistique des gaz comprimés et cryogéniques dans le monde (avec des filiales en Espagne, Belgique, Houston et Singapour, toutes situées dans des grands ports maritimes), gérant une flotte de plus de 500 conteneurs cryogéniques et haute pression, le groupe Modalis accentue son développement vers la logistique des nouvelles énergies (hydrogène et GNL) sans oublier celle du dioxyde de carbone, à travers la filière en construction de la captation, du stockage et de l’utilisation du carbone (CCUS).
Nos principales filiales sont :
- Modalis : location d’équipements pour le transport intermodal
- Delta Rail : opérateurs de trains
- Airflow : logistique des gaz comprimés et cryogéniques
- CCFC : fabrication de conteneur, caisses mobiles et semi-remorques
- Terminaux multimodaux : exploitation de terminaux de transfert modal
- ALTECH : ingénierie logistique et industrielle
Quels sont les enjeux de la décarbonation et quelles perspectives cela vous offre-t-il ?
Rappelons que les enjeux de décarbonation sont précisément inscrits dans un cadre réglementaire défini par des politiques locales, nationales et européennes. À l’échelle européenne, le Pacte Vert pour l’Europe vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avec une réduction significative des émissions de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. En France, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) fixe des objectifs similaires, imposant à tous les secteurs d’activité y compris l’industrie et le transport de réduire progressivement leurs émissions de CO2, respectivement -35 % et -28 % d’ici 2030.
Modalis inscrit sa dynamique de croissance dans ce contexte et de notre point de vue, la complémentarité entre les écosystèmes logistiques, portuaire et ferroviaire en est un des enjeux majeurs. Les ports maritimes ont en effet un rôle essentiel à jouer dans les arbitrages intermodaux : 80 % des marchandises arrivent par eux, et c’est là que se font les choix d’utiliser en- suite le rail, la voie d’eau, ou le transport routier. Doter les ports d’infrastructures de report modal et d’engins de manutention performants, c’est garantir une demande de fret massifiée partout en France.
D’autre part, les ports jouent un rôle central dans le secteur de l’énergie puisque le réseau de transport de l’énergie a été organisé à partir des grands ports maritimes, et demain le réseau de décarbonation s’organisera également à partir de ces mêmes ports : production de carburants décarbonés, solutions de captage, stockage et utilisation du carbone.
Autre exemple, l’enjeu lié au Gaz Naturel Liquéfié. Ce gaz – destiné à remplacer les carburants à plus forte intensité d’émissions jusqu’à ce que les technologies d’énergie renouvelable puissent fournir une alternative énergétique à zéro émission nette -, transporté par mer dans des navires-citernes spécialisés, est devenu un élément de plus en plus important de l’approvisionnement énergétique européen. Les grands ports de France, de Belgique et d’Espagne reçoivent des cargaisons de GNL, qui sont ensuite reconverties en gaz et distribuées encore trop souvent par la route sur tout le continent.
Dans l’optique d’accompagner cette période de transition énergétique, nous sommes capables de concevoir des solutions logistiques combinées rail-route au départ des ports, grâce à notre flotte de wagons intermodaux (plus de 1200 plateformes) combinée à une flotte de conteneurs cryogéniques sous la coordination de notre opérateur ferroviaire, Delta Rail, filiale du Groupe. Compte tenu de la politique de Donald Trump visant à accroître les forages aux Etats-Unis et la hausse des exportations de GNL vers l’Europe, cette tendance devrait se poursuivre. A nous de proposer des solutions fiables et bas carbone de transport de GNL.

Vous avez beaucoup investi dans un projet de terminal de transport combiné à Fos-sur-mer et y avez finalement renoncé. De quoi s’agissait-il précisément et pourquoi ce retrait ?
A Fos, MODALIS souhaitait réaliser un terminal rail-route, complémentaire des installations existantes. En effet, le Port de Marseille- Fos ne possède pas les infrastructures nécessaires au traitement de caisses mobiles, ni de semi-remorques non-accompagnées. Notre idée consistait à remettre en état une installation terminale embranchée (ndlr une voie ferrée privée) vétuste à proximité du terminal méthanier ELENGY du Tonkin. Tout le monde était favorable à ce projet, les services de l’État, le GPMM, la Région… puisqu’il devait permettre d’enlever des camions de la route pour les mettre sur le chemin de fer. Sur la zone, l’enjeu est réel avec 8 000 camions par jour. Comme de nombreux projets industriels souhaitent s’y implanter, il n’était pas question d’en rajouter, à tel point que le terminal MODALIS était cité en référence dans les concertations publiques menées sur la ZIP. Toutefois après avoir dépensé plus de 600 000 euros en études techniques diverses, de nouvelles contraintes continuaient d’apparaître par manque de coordination et d’aménagement concerté préalable. L’incertitude liée au coût des compensations environnementales a fini par mettre un terme au projet dont le budget avait plus que doublé. Le Port de Fos est sur le delta du Rhône, l’aménagement et en particulier le sujet des compensations environnementales ne peut pas être traité à la parcelle et confié aux porteurs de projets. L’État reste très silencieux sur le sujet, comment se fait-il que les terminaux rail-route ne fassent pas l’objet de mesure d’accompagnement prioritaires dans un contexte d’urgence climatique ? MODALIS continue d’y croire mais plusieurs sujets d’aménagement du territoire doivent être clarifiés au préalable.
Vous avez en revanche un projet de terminal à Dunkerque directement connecté aux ferrys. De quoi s’agit-il ?
Avec un trafic de l’ordre de 50 MT / an, Dunkerque Port est l’un des principaux ports du range Nord européen. L’écosystème portuaire dunkerquois intègre de nombreuses activités maritimes, logistiques et industrielles. Son modèle économique s’appuie sur plusieurs axes de développement dont l’activité conteneurs, le développement des activités logistiques et les échanges et la production des énergies nouvelles bas carbone et de transition. Dunkerque Port nous est apparu comme une plateforme idéale pour la massification et l’éclatement des marchandises. Aussi, à la lecture de l’appel à manifestation d’intérêts paru en juillet 2024 pour l’occupation d’un terrain visant à construire et exploiter un terminal de ferroutage, nous nous sommes mobilisés et avons proposé un projet conçu comme un centre multi-services intégrant des activités à valeur ajoutée destinées à créer de la complémentarité entre les activités portuaires et ferroviaires. En particulier, le projet offrira une base de vie agréable aux utilisateurs et une plateforme logistique avancée permettant de traiter des trains complets de 750 m et de livrer de façon fiable et quotidienne le marché britannique du Sud de l’Angleterre, l’Irlande et l’Ecosse.
Le projet phasé envisage l’installation d’un portique de manutention permettant de suppléer les grues mobiles dès le franchissement du seuil de 50 000 UTI /an afin de contenir les coûts sans péjorer la croissance à long terme.
Notre approche a convaincu les dirigeants de Dunkerque Port permettant d’améliorer la qualité de l’offre logistique régionale qui est en région Hauts-de-France un des principaux leviers économiques et d’emploi : notre projet bien que fortement automatisé, permettra de créer 8 emplois directs dès 2026, 15 en 2030 et 19 à l’échéance de 8 ans. Le démarrage des opérations est prévu pour mars 2026.
Quels sont les autres grands projets de Modalis et de ses filiales ?
Dans la continuité de notre propos, le renforcement de la desserte ferroviaire des ports, des grands ports maritimes et de leur hinterland est un défi sur lequel nous souhaitons intervenir malgré le contexte difficile des grèves. A ce titre, l’opérateur multimodal DELTA RAIL, filiale du Groupe est au centre de toute notre attention.
DELTA RAIL est un vecteur essentiel de notre modèle puisque son rôle consiste à faire naître de nouveaux flux multimodaux. Actuellement, plusieurs trains sont opérés par DELTA RAIL depuis et vers les ports du Havre, de Lyon et Fos et de nouveaux services ferroviaires internationaux sont à l’étude pour lesquels nous faisons tous nos efforts pour obtenir des engagements annuels de volume afin de limiter les risques financiers. La confiance et la communication sont indispensables pour mutualiser les risques et permettre le lancement d’un nouveau train depuis/vers un port, aussi l’appui des compagnies maritimes est un élément essentiel, et certaines acceptent de jouer le jeu à nos côtés.
Le sujet de la décarbonisation ouvre encore de multiples opportunités de développement, et le mariage avec le Groupe Air Flow a libéré des énergies en particulier sur les thématiques de la logistique du CO2 capté, et de l’hydrogène. Nous sommes extrêmement sollicités sur ces sujets complexes qui requièrent beaucoup d’accompagnement, et mobilisent plusieurs expertises (ingénierie, logistique ferroviaire, gestion d’actif). Les schémas opérationnels sont analysés, décortiqués, des projets pilotes initiés et des matériels innovants développés. Nos équipes pluridisciplinaires déploient beaucoup d’énergie pour faire progresser les filières CCUS et hydrogène et maintenir notre avance technique.
Cela nous encourage également à développer sur les ports un réseau d’ateliers de maintenance des conteneurs citernes, notamment cryogéniques, dans des ateliers spécialisés : opérations de contrôle technique, inspection, test, remplacement des connexions et soupapes, etc.
Pour la troisième fois, après 2022 et 2024, MODALIS a été classé parmi les Champions de la Croissance 2025 par Les Echos et Statista. Que signifie pour vous cette nouvelle reconnaissance ?
Cette grande enquête vise à répertorier les 500 entreprises françaises ayant réalisé les plus belles trajectoires de croissance sur la période 2020-2023 et permet d’avoir un aperçu des entreprises les plus performances.
Cette reconnaissance traduit avant tout l’engagement et l’esprit de conquête des équipes à tous les étages. La culture d’entreprise est forte au sein du groupe MODALIS et nous demandons à nos cadres d’insuffler cette énergie. Nous sommes très fiers de maintenir dans la durée cette dynamique qui nous permet d’attirer de nouveaux talents et de nouvelles compétences.
En particulier, à l’heure ou le nombre de défaillances d’entreprises progresse de plus de 17% en rythme annuel selon la Banque de France (décembre), notre modèle économique diversifié nous protège. La bonne santé financière de nos activités est soutenue par nos partenaires bancaires privés et la BPI qui se mobilisent à nos côtés et nous permettent d’investir dans des matériels « verts » aux meilleures conditions de marché.
La Région PACA est fortement valorisée dans ce classement, malgré une année 2023 très chahutée par les grèves liées à la réforme des retraites. Nous sommes très fiers de participer au rayonnement de notre territoire qui compte désormais une nouvelle entreprise de taille intermédiaire.
En 2024, le Groupe totalisera un chiffre d’affaires de 115 millions d’euros (vs. 51 millions d’euros en 2023) et s’appuie sur plus de 200 collaborateurs. Nous devrions être au rendez-vous en l’année prochaine !
Quelle place accordez-vous à l’innovation chez Modalis et dans vos filiales ?
L’innovation est centrale dans notre organisation, nous aimons résoudre les casse-têtes et proposer des matériels optimisés, parfois sur-mesure pour pouvoir répondre à des schémas logistiques très variés. Notre force réside dans notre capacité à intégrer l’ensemble de ces caractéristiques techniques dans nos propositions pour gagner des mètres cubes supplémentaires en respect des règlementations routière, ferroviaire et maritime.
Par exemple, lors du dernier salon Transport Logistique de Munich, nous avons présenté le wagon intermodal le plus rapide et moderne d’Europe, capable de circuler à 140 km/h, et 160 km/h sans équipement supplémentaire. Les trains sont limités en longueur et poids, nous cherchons naturellement à optimiser la longueur de la rame et à transporter un maximum de conteneurs/fret. Les wagons plus courts et plus légers sont plébiscités pour optimiser la charge utile. A ce titre, nous proposons le wagon 40 pieds, le plus léger du marché, développé pour accueillir deux conteneurs de 20 pieds lourds chargés de vrac dense afin d’optimiser la charge utile (jusqu’à 66 tonnes de produit par wagon). Le wagon surbaissé 60 pieds avec une hauteur de chargement de 1 095mm, présente quant à lui un empâtement plus court et un carénage innovant limitant les nuisances sonores (-20 décibels par rapport aux wagons existants).
L’innovation n’est pas en reste côté conteneur, puisque nous avons dévoilé lors du dernier salon Green Logistics Expo en Italie la caisse mobile open top 20 pieds éco-conçue baptisée Butterfly. Ce conteneur breveté par MODALIS équipé d’un toit automatisé fabriqué en panneaux composites recyclables simplifie et sécurise le process de chargement de vrac (poudre, déchets par exemple). En effet, les modèles à toit bâché sont fastidieux et lents à ouvrir, et les conteneurs équipés d’un hard-top sont compliqués à manipuler en hauteur et en raison de leur poids. Grâce à l’utilisation de panneaux composites résistants et légers, les capots s’ouvrent et se ferment en seulement 20 secondes et garantissent une étanchéité totale, l’opérateur quant à lui peut travailler au sol en sécurité.
D’autres projets d’innovation sont à l’étude, une caisse mobile à parois coulissantes allégée, une solution alternative aux fonds mouvants des semi-remorques, un conteneur frigorifique de nouvelle génération, etc. Nous sommes très attentifs aux besoins de nos clients en matière de sécurité, ergonomie ou charge utile et nous nous rendons régulièrement sur site pour observer attentivement les processus logistiques et identifier des pistes d’amélioration de nos équipements. Cette expertise est notre signature.
A l’heure où l’on ne parle que de ça, quelle place accordez-vous à l’intelligence artificielle et quel enjeu pour vous ?
A l’intelligence artificielle, nous pourrions ajouter d’autres technologies dont l’impact est significatif dans notre industrie. Notamment, le cloud computing facilitant le stockage de nos données, la 5G améliorant la connectivité et l’internet des objets permettant la surveillance en temps réel via des capteurs connectés, installés sur nos équipements. Toutes ces technologies sont des catalyseurs qui nous bousculent et nous incitent à transformer nos pratiques vers plus de durabilité.
De façon très pragmatique, nous conduisons des initiatives ciblées sur ces technologies pour optimiser nos opérations. L’IA joue un rôle central quant à elle dans l’analyse des données, notamment les données de maintenance et d’utilisation de notre flotte. Cela doit nous permettre d’anticiper des opérations de maintenance par le biais de recommandations intelligentes afin de minimiser les temps d’arrêt non planifiés, maximiser la durée de vie des équipements et réduire les coûts d’entretien.
Nous équipons également nos infrastructures (terminaux multimodaux) de systèmes de gestion intégrés et intelligents, notamment via les portiques qui utilisent diverses technologies, notamment des capteurs, des caméras, l’identification automatique. Les données collectées par les portiques sont analysées à l’aide de l’intelligence artificielle et des algorithmes d’apprentissage automatique. Cela permet d’identifier des modèles, d’optimiser le flux de trafic, de prédire les temps d’attente et les arrivées de camions, et de prendre des décisions éclairées pour améliorer l’efficacité opérationnelle.
Notre prochaine initiative dédiée à l’IA consistera vraisemblablement à analyser des tendances de marché, des prévisions économiques, nos données marketing internes afin d’optimiser et planifier nos approvisionnements et la croissance de notre flotte d’équipements.
Sur ces sujets de transformation, notre attitude est plutôt orientée vers la collaboration avec des partenaires technologiques et des institutionnels afin de partager les bonnes pratiques et mutualiser les ressources.
En savoir + : www.modalis.com